A l’occasion de la 19e édition du Fespaco, une campagne d’affichage pour le commerce équitable a été lancée à Ouagadougou. Affiches sur lesquels les Burkinabès peuvent voir des visages familiers : celui de chanteurs, de réalisateurs et d’un comédien de leur pays. Une stratégie qui doit, selon l’organisation Oxfam International, qui gère l’effort de guerre, permettre une sensibilisation réussie.
De Ouadadougou
« Ça suffit ! » Mais qu’est ce qui suffit ? Bien des Burkinabès se sont posés la question en voyant déambuler dans les rues des hommes et des femmes portant un tee-shirt portant cette interjection. Ces hommes et des femmes font en fait partie des 120 volontaires formés pour mener une campagne mondiale pour un commerce équitable, une initiative gérée par l’organisation Oxfam International. La croisade pour le commerce équitable a été lancée en 2002, date depuis laquelle circule une pétition destinée à défendre les petits producteurs. Et ce, quel que soit le pays où ils vivent. Au Burkina Faso, c’est à l’occasion du lancement de la 19e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco, 26 février au 5 mars 2005) que les Ouagalais ont pu voir les tee-shirts si intrigants et les affiches, petites et grandes, sur lesquelles figurent des personnalités de leur pays. Une recette qui a pour but de sensibiliser plus efficacement la population. Et le succès semble au rendez-vous.
Le bureau régional pour l’Afrique l’Ouest a travaillé avec plusieurs partenaires pour battre campagne au Burkina, notamment avec la confédération paysanne du Faso et le Réseau des organisations paysannes et de la production agricole de l’Afrique de l’Ouest. « Pour cette campagne, nous avons un budget de 19 millions de FCFA, qui comprend tout : les affiches, le recrutement des volontaires, leur formation, la production des tee-shirts et la logistique qui nous permet de travailler ici (au Burkina Faso, ndlr). Le Fespaco a été pour nous l’occasion de lancer la problématique du Burkina, mais aussi celle de l’Afrique », souligne Valérie Traoré, chargée de l’information et de la communication dans le bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest d’Oxfam America.
Cible sur les produits visés par le dumping
Quelle problématique ? Celle du dumping occidental (ventes en dessous du prix de revient[[<*>Donc soit des produit subventionnés, soit des produits comme le poulet dont les découpes -pattes, ailes, croupion- se sont pas consommés en Europe dont bradés en Afrique)]], qui empêche les petits agriculteurs d’écouler leurs marchandises. Un dumping qui n’affecte pas les pays de la même façon. D’où des affiches qui ciblent le produit victime de cette pratique de concurrence déloyale. « Au Burkina, c’est le coton et le riz. Au Sénégal, le poulet. En Éthiopie, le café. En Afrique australe, le sucre », donne pour exemples Dominique Jenkins, coordinatrice de mobilisation populaire et média pour le même bureau d’Oxfam que Valérie Traoré.
Pour mieux sensibiliser les Africains aux problèmes auxquels sont confrontés les agriculteurs de leur pays, Valérie Traoré a eu l’idée de faire des affiches présentant des personnalités qu’ils connaissent et qui les touchent. « Si nous mettons sur les affiches Chris Martins, le chanteur de Cold Play, les Africains ne vont pas réagir parce qu’ils ne le connaissent pas. Par ailleurs, nous ne voulions pas que d’autres personnes (non-africaines, ndlr) parlent en notre nom », souligne-t-elle.
Sensibilisation africaine pour public africain
Plusieurs personnalités se sont prêtées au jeu au mois de novembre, mois au cours duquel elles ont été photographiées pour défendre le riz et le coton burkinabé. On peut ainsi voir le grand réalisateur et producteur Idrissa Ouédraogo et le comédien Hippolyte Ouangrawa submergés par du riz, avec sous leurs photos ce message : « Ça suffit ! Le gouvernement américain verse un milliard de dollars par an à ses agriculteurs, pour produire des excédents de riz qu’ils déversent dans les pays pauvres à des prix défiants toute concurrence. »
Pour ce qui est du coton, c’est la réalisatrice burkinabé Apolline Traoré, les rappeurs du groupe Yeleen (un Burkinabé et un Tchadien), mais aussi le musicien malien Habib Koité et le rappeur sénégalais Didier Awadi qui ont posé devant l’objectif de Stéphane Tourne. Car même les non-Burkinabés sont les bienvenus, tant qu’ils peuvent avoir un impact positif. Ainsi, Angélique Kidjo (Bénin) et Youssou N’Dour (Sénégal) ont aussi accepté de prêter leur image pour la campagne ouest-africaine. Sous les clichés prônant la défense de l’or blanc du « Pays des hommes intègres », une autre explication, tout aussi éloquente que celle du riz : « Ça suffit ! Dix millions de familles de producteurs de coton en Afrique sont poussées vers la pauvreté, à cause du commerce inéquitable qui profite seulement à quelques centaines d’entreprises américaines. »
Après l’appréhension, l’enthousiasme
Au départ, lorsqu’elles ont été sollicitées, certaines personnalités se sont engagées sans vraiment savoir où elles mettaient les pieds. Hyppolite Ouangrawa était sensibilisé aux difficultés que vivent les agriculteurs en jouant dans une série de sensibilisation burkinabé. « Je me suis dit que si on ne poussait pas un cri du cœur, nos agriculteurs seront obligés de fermer leurs kiosques et c’est nous qui devront les nourrir. Mais avec quoi, s’ils ne produisent plus ? », s’interroge le comédien, qui a également monté une pièce de théâtre pour éduquer la population.
« Lorsque l’on faisait les photos, on se demandait à quoi cela allait servir, mais en voyant le résultat, nous avons compris que ça allait être bon », a confié, lors d’une conférence de presse sur la campagne, Mawndoé, membre du groupe de rap Yeleen. « Habib Koité et Didier Awadi avaient aussi des appréhensions. Ils regardaient les sacs de coton et leurs cheveux (ils ont des locks, ndlr) en se demandant ce que nous allions faire. Mais en voyant le résultat, ils ont tous ont été conquis. D’ailleurs, nous avons demandé à Habib Koité, qui était en tournée aux Etats-Unis, de parler du problème du dumping sur le coton lors de ses concerts. Et il l’a fait à chaque prestation », se souvient Dominique Jenkins.
Appoline Traoré a avoué être très peu sensibilisée au problème avant que l’on ne l’approche. Mais une fois au fait des conséquences du dumping, elle n’a pas hésité. « Je suis contente de mettre mon image et mon métier au service de la sensibilisation. Car les paysans que l’on néglige, ce sont eux qui nous nourissent. Sans eux, nous ne sommes rien », a souligné la jeune réalisatrice lors de la conférence de presse.
Objectif : 15 millions de signatures en Afrique de l’Ouest
Le choix de ces visages africains semble avoir interpellé efficacement. Ce qui s’explique par le fait que « les Burkinabés étaient déjà sensibilisés au problème », estime Dominique Jenkins. Preuve qu’ils ne sont pas insensibles, Oxfam et son partenaire Onriz, qui voulait 80 volontaires pour faire signer la pétition pour un commerce équitable, en a en fait vu arriver environ 150 candidatures. Au final, seuls une trentaine se sont désistés. « Ce sont surtout des étudiants qui se sont dit qu’ils ne pouvaient pas rester assis alors que les producteurs de leur pays sont étouffés. Ils convainquent les gens d’adhérer à leur cause et ils commencent même à nous donner des stratégies. Ils ont par ailleurs des idées pour poursuivre l’effort de mobilisation après le Fespaco. Ils sont capables de s’en sortir, même si nous ne sommes plus là », assure Valérie Traoré.
Autre preuve de la prise de conscience burkinabé : ils ont été 80 000 à signer la pétition qui circulait trois semaines avant le dernier sommet de l’Organisation mondiale du commerce, à Cancùn (Mexique). A la même période, dans tout l’Afrique de l’Ouest, il y en a eu 200 000. « Ce n’est pas assez. Nous avons pour objectif de recueillir cinq millions de signatures fin 2005 en Afrique de l’Ouest et espérons en avoir dix millions de plus au terme de l’année 2006. Ce qui fera quinze millions de signatures sur les 100 millions que nous voulons avoir à cette échéance », indique Valérie Traoré. Avec une campagne qui parle vraiment aux Africains, on est en droit de croire que l’objectif sera atteint. Mais pour protéger vraiment les agriculteurs du continent, il faudra que les Africains consomment local.
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