La cinquième journée du Fitheb (Festival international de théâtre du Bénin) a vu la représentation, en avant-première, de « Brenda Oward ». Dans cette pièce originale, écrite par Camille Amouro, l’auteur a voulu parler des maux qui minent le Bénin. Afrik.com a tendu le micro à ce passionné de théâtre, fondateur de la compagnie Prométhée, qui n’a jamais cessé de porter sa plume dans des horreurs, quitte à déplaire ou à choquer.
De notre correspondant Arnold Senou
Afrik.com : « Brenda Oward » n’est pas à proprement parlé du théâtre. Comment le définiriez-vous ?
Camille Amouro : Vous avez raison. Je fais du Salamè, qui veut dire, « dans le quartier ». Dans le salamè, il y a souvent un homme qui donne l’impression d’en savoir plus sur la cité que les autres. Cet homme blague beaucoup. Un autre lui pose des questions et cela relance le « dialogue ». Le Salamè n’est donc jamais linéaire, et on passe couramment d’un univers x, à un autre y. Mes pièces sont une quête de ce type d’expression, une expression très commune à tout le Sud du Bénin.
Afrik.com : Pourquoi un tel titre à une telle pièce, qui parle beaucoup plus du quotidien du Béninois et de ce à quoi il est confronté ?
Camille Amouro : J’étais au Libéria en 1993, et j’ai vu cette jeune fille, du nom de Brenda Oward, qui venait de tout perdre: parents, amis, biens, en quelques semaines. J’ai proposé, en fait, trois titres dont celui-ci au metteur en scène Franck Taponard (qui a voulu travaillé avec moi, après avoir lu une de mes nouvelles dans le Monde), et c’est après son choix, que j’ai voulu raconter ce qui est arrivé à cette fille, brièvement. On pourrait y voir un hommage!
Afrik.com : Qu’avez-vous concrètement voulu dire avec « Brenda Oward »?
Camille Amouro : « Brenda Oward » a été pour moi, une occasion de décrire la quête de l’individu. Ici, l’individu est seul malgré tous ses efforts. Cela m’a aussi permis de parler de la solitude. Motolari, le Noir, est seul, car il a sa vision de la société et il ne veut pas changer cette vision-là, alors, il est seul. Elie, le Français, est seul, car il aurait pu rester dans son Occident là-bas, mais par ignorance, arrivé ici, il a été abusé (par les femmes, …). Car il voulait s’intégrer, alors qu’ici chacun se bat pour lui-même. L’illusion de la vie communautaire que l’on donne est créée en fait par une cohésion de nos vies solitaires.
Afrik.com : Que voulez-vous dire?
Camille Amouro : Prenez par exemple une cérémonie de décès ici au Bénin. Il y a du monde qui s’affaire autour de l’affaire. De loin, vous avez l’impression de voir un groupe uni. Mais de plus près, vous remarquerez que tel voudra s’occuper de la location de la tente, devant abriter les convives. Pour tel autre, ce sont les divers mets qui l’intéressent,… En fait, chacun veut bouffer sur le dos du défunt, d’où cet aspect individualiste dont je parle.
Afrik.com : Vous vous attaquer aussi, longuement, aux nombreuses failles et bêtises que renferme le système hospitalier du pays.
Camille Amouro : Aussi bizarre que cela puisse paraître, je n’ai rien inventé dans cette séquence. Quand j’écrivais « Brenda Oward », j’ai malencontreusement renversé une petite fille comme il y est dit. Arrivé à l’hôpital, l’urgentiste que j’ai vu n’a même pas cherché à consulter la fillette, pour un diagnostic en bonne et due forme avant de me donner une ordonnance. Et j’ai été acheté les médicaments, sans qu’il l’ai auscultée.
Afrik.com : On sent à certains endroits, cette volonté de dire les choses, de rétablir la vérité en somme.
Camille Amouro : Je sens que vous faites allusion à cette scène où, quand Motolari, le Noir, dit arriver en France, Elie, le Blanc, croit un instant qu’un personnage aussi miséreux et qui plus est noir, ne pouvait pas y faire grand-chose. Et Motolari qui lui dit avoir fait une thèse sur le chiffre zéro. Je crois qu’il est temps que les choses soient dites, clairement.
Afrik.com : Vous écrivez aussi, des choses dures, sur les Noirs et les Blancs: N’avez-vous pas peur de choquer?
Camille Amouro : Je suis connu pour ça au Bénin. Quand les autres n’arrivent pas à dire quelque chose, c’est moi qu’on envoie le dire, dans les médias. Et vous savez, de toute façon, comme l’a dit Artaud, je ne vais pas réingurgiter, ce que j’ai dégurgité.
« Brenda Oward » sera longuement joué, à Lyon (France), bientôt.