Ce n’est pas une maison de retraite, mais ça y ressemble. Le Centre humanitaire Béthanie Viacam est l’une des deux institutions camerounaises qui prennent en charge les personnes âgées du pays. Elle s’occupe en priorité « des vieillards invalides et abandonnés » en leur fournissant un toit, de la nourriture et surtout l’attention dont ils ont besoin. Sœur Raphaëlle-Marie Ondoa, responsable de la structure, explique le fonctionnement du centre.
Les vieux du Cameroun abandonnés et invalides ne sont pas seuls. Depuis près de vingt ans, les sœurs du Centre humanitaire Béthanie Viacam les logent, les nourrissent et leur donnent de l’attention dont ils ont besoin. Les deux sœurs de l’établissement, situé à Nkolmessang, l’un des quartiers de Yaoundé 5, s’occupent en priorité des « vieillards invalides du Cameroun », d’où le nom Viacam. Béthanie renvoyant au nom d’un village où Jésus se retirait parfois pour se reposer et rendre visite à des amis. Cette institution, fondée par sœur Gertrude Avouzoa, fonctionne donc un peu comme une maison de retraite. Mis à part que les vieux, qui sont originaires de tous les coins du pays et parfois même des Etats limitrophes, n’ont rien à payer. Sœur Raphaëlle-Marie Ondoa, responsable de l’institution, explique le fonctionnement de Béthanie Viacam, qui a déjà accueilli 275 personnes âgées depuis sa création.
Afrik.com : Comment est né le Centre Béthanie Viacam ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Au début des années 80, la fondatrice était en charge de faire de l’évangélisation auprès des vieux. Lors de ce service, elle a constaté que certains avaient fait plusieurs semaines sans avoir mangé ou bu. Certains restaient même dans leurs excréments. Elle a donc décidé de faire une case pour les y garder et s’en occuper. Finalement, un prêtre lui a donné un terrain. Les gens, touchés par la bonne volonté de sœur Gertrude Avouzoa, ont fait des dons pour que la case devienne un centre construit en dur. Le centre est né en 1981, mais ce n’est qu’en 1985 que nous avons reçu le premier vieux.
Afrik.com : Sylvie Mana Bougani, sous-directrice de la promotion des personnes handicapées et des personnes âgées, explique que le phénomène des vieux abandonnés est un problème « émergent ». Comment l’expliquez-vous ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Certains n’ont pas eu les moyens de faire construire une maison et à la retraite ils se retrouvent obligés de mendier en ville. Des étrangers des pays limitrophes qui espéraient faire fortune se sont trompés et se retrouvent aussi à la rue. Les enfants partent en ville pour travailler et ne reviennent pas s’occuper de leurs parents. Et les parents qui restent au village n’ont personne pour les nourrir et s’occuper d’eux s’ils sont malades. Par ailleurs, le sida a tué beaucoup d’enfants, ceux-là mêmes qui devaient prendre en charge les vieux.
Afrik.com : De quoi est composé le centre ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Le centre est composé de six dortoirs de six lits : trois pour les femmes et trois pour les hommes. Il y a une salle où nous les lavons car la plupart ne peuvent pas le faire seuls. Il y a une cuisine, mais pas de réfectoire car les vieux ne peuvent en général pas marcher. Ils mangent donc sur leur lit. Il y a aussi une salle de loisirs où ils peuvent regarder la télévision, écouter la radio et jouer au sogo, un jeu où il faut lancer des cailloux dans une balle trouée. Pour les visiteurs, nous avons un parloir. Il y a aussi une chapelle pour faire les prières et la messe et un jardin pour faire pousser quelques légumes.
Afrik.com : Quel rôle jouez-vous auprès des personnes âgées ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Nous faisons le ménage, les lavons et leur préparons à manger. Nous prions avec eux tous les matins et tous les soirs. Le samedi nous essayons de leur parler de Dieu. Mais nous n’obligeons personne. Certains sont témoins de Jéhovah ou autre et ne veulent pas prier avec nous, alors nous les laissons. Mais certains se sont aussi convertis et ont même été baptisés.
Afrik.com : Les religieuses sont-elles formées pour apprendre à s’occuper des personnes âgées ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Sœur Gertrude Avouzoa est en train de préparer sa relève pour que le centre de ne meure pas lorsqu’elle va disparaître. En 1996, l’évêque nous a donné son approbation pour mettre en place le centre de formation des religieuses, situé à Mbalmayo, dans la banlieue de Yaoundé. Elles y suivent deux ans de postulat. Ensuite, celles qui souhaitent se spécialiser dans le service des vieux viennent à Béthanie Viacam pour nous aider sur le terrain. Nous les évaluons, et si nous voyons qu’elles peuvent tenir le coup, qu’elles supportent le caractère acariâtre et ingrat des personnes âgées et le fait qu’elles soient pour beaucoup incontinentes, elles suivent deux années de noviciat pour plus tard nous rejoindre.
Afrik.com : Comment les personnes âgées arrivent-elles dans votre centre ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Lorsque nous voyons un vieux dans la rue, nous menons une petite enquête pour savoir s’il est vraiment abandonné. Si c’est le cas, nous le prenons avec nous. Mais nous ne pouvons pas le faire aussi souvent que nous voudrions parce que nous n’avons pas de voiture. Parfois, ce sont des gens qui ont entendu parler du centre qui nous les amènent parce qu’ils ne peuvent pas marcher. L’Etat nous envoie aussi des cas dont il a connaissance. Il arrive également que des vieux viennent à nous spontanément, seuls ou accompagnés.
Afrik.com : Vous arrive-t-il de prendre en charge des vieux qui ne sont pas abandonnés ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : La priorité reste les vieux invalides et abandonnés. Mais quelques couples ou les deux époux travaillent et où les enfants vont à l’école viennent nous voir pour que nous prenions en charge leur parent pour qu’il ne reste pas seul la journée. Ils sont parfois gênés de le faire, mais ils n’ont pas le choix. Nous demandons 10 000 FCFA par mois et ils viennent récupérer leur parent le week-end ou lui rendent visite pour les fêtes.
Afrik.com : Pourquoi faire payer les personnes âgées qui ont encore de la famille ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Ce n’est pas la même démarche. Ceux qui sont invalides et abandonnés n’ont personne vers qui se tourner. Alors que les personnes âgées qui ont encore de la famille recherchent une vie communautaire. Par ailleurs, si nous traitions les deux catégories de personnes de la même façon, cela encouragerait les familles à abandonner leurs parents au lieu de s’en occuper.
Afrik.com : Avez-vous eu des cas de personnes qui venaient chez vous pour « se débarrasser » d’un parent dont ils ne veulent plus s’occuper ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : C’est déjà arrivé. Mais cela reste rare. Le fils d’une femme est venu un jour déposer sa mère, mais il ne voulait pas payer les 10 000 FCFA par mois. Nous avons donc eu recours au délégué provincial des Affaires Sociales. L’homme avait le choix entre payer ou reprendre sa mère. Il a fini par nous payer.
Afrik.com : Comment se passe l’enterrement des personnes âgées abandonnées du centre ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Nous avons des cercueils de réserve et nous les enterrons sur les terres municipales. Avant de les mettre en terre, nous les lavons, les habillons bien.
Afrik.com : Vous êtes deux sœurs à assurer cette tâche. Arrivez-vous à vous en sortir ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Il y a beaucoup de travail, mais nous nous débrouillons toujours pour nous occuper des vieux, les rendre heureux et répondre aux questions des visiteurs. Car certains étudiants qui font une thèse sur le troisième âge viennent nous demander des renseignements. D’autres sont des gens qui veulent savoir comment ils peuvent nous aider à nous occuper des vieux. Nous recevons des visites de personnes qui veulent savoir comment nous fonctionnons.
Afrik.com : Que vous faudrait-il pour fonctionner comme vous le souhaitez ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Pour que le centre fonctionne comme il se doit, il faudrait qu’il soit plus grand et qu’un plus grand nombre de sœurs y travaillent. Il nous faudrait aussi des annexes dans d’autres villes pour que les vieux puissent venir plus facilement à nous.
Afrik.com : Aspirez-vous à devenir une maison de retraite comme on en voit en Occident ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Nous aimerions bien, même si nous n’en avons pas les moyens. Mais nous savons que c’est l’évolution vers laquelle nous irons inévitablement, étant donné que de plus en plus de personnes âgées sans enfants ont de l’argent qui pourrait leur permettre d’intégrer une structure de ce type. Nous voudrions entrer en contact avec des maisons de retraite européennes pour bénéficier de leur expérience, car nous avons encore peu d’expérience. Toutefois, en ce qui nous concerne, lorsque nous aurons une maison de retraite, elle ne sera pas intégrée dans le service des vieux invalides et abandonnés. Les deux structures seront bien distinctes.
Afrik.com : Observez-vous un changement sur le visage des personnes âgées quelques jours ou semaines après leur arrivée au centre ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Quelquefois, le manque d’entretien, de nourriture peut vieillir les gens prématurément. Mais une fois lavés et nourris tous les jours, certains reprennent des forces et arrivent à se déplacer et à se laver seuls. Ils deviennent rayonnants. Quelques-uns uns demandent même à partir du centre pour retourner mendier dans la rue. Alors ils s’en vont et parfois ils reviennent lorsqu’ils se retrouvent dans la même situation que la première fois où nous les avons vus. Beaucoup se considèrent ici à l’hôpital et disent qu’ils vont partir pour mourir chez eux.
Afrik.com : Quels sont vos moyens de subsistance ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : L’Etat nous accorde une subvention de 300 000 FCFA, mais elle ne vient pas tous les ans. Ce n’est pas assez pour assurer tous les frais, car il faut laver le linge tous les jours, acheter des bombes désodorisantes pour camoufler les mauvaises odeurs. Il donne parfois un sac de riz et la Première dame (Chantal Biya, ndlr) paie par ailleurs chaque mois notre facture d’électricité. Les Camerounais font peu de dons, mais nous apportent du riz, des harengs, des arachides, surtout au moment des fêtes.
Afrik.com : Organisez-vous des repas spéciaux pour les fêtes ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Pour Noël, Pâques, le 15 août et la Journée mondiale du troisième âge, nous faisons une fête. Les vieux sont bien habillés pour cette occasion, nous mettons de la musique. Ils ne peuvent pas danser, mais certains bougent la tête. Nous faisons par ailleurs un bon repas et nous leur offrons un verre de vin rouge.
Afrik.com : Compte tenue de vos faibles ressources, avez-vous déjà souffert de la faim ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Nous n’avons jamais dormi sans manger. Même si ce sont de petits repas, nous faisons le déjeuner et le dîner. Nous comptons sur la providence. Quelquefois nous nous demandons comment nous allons manger le lendemain, et c’est là que les gens nous apportent de quoi tenir sans que l’on leur ait rien demandé.
Afrik.com : Comment la population camerounaise perçoit votre structure ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : les opinions sont divisées. Certains sont contre, car ils estiment que c’est aux enfants de s’occuper de leurs parents. Mais d’autres estiment que c’est une bonne initiative.
Afrik.com : Avez-vous déjà eu envie d’arrêter ce travail ?
Raphaëlle-Marie Ondoa : Non. Ce qui m’aide à tenir, c’est que je n’espère rien des vieux, parce qu’ils sont très ingrats, mais j’attends une récompense de Jésus. J’estime qu’à travers les personnes âgées, c’est Jésus que je sers.