L’un des piliers d’un régime démocratique est la possibilité offerte aux acteurs politiques de participer à « l’animation » du jeu politique, avec un rôle central pour l’opposition. Or, au Cameroun, que ce soit en période électorale ou non, les partis d’opposition semblent tout faire pour se décrédibiliser davantage auprès des électeurs qui perdent foi en ces acteurs censés les représenter. Après l’éclatement récent du regroupement « G7 » des leaders de l’opposition, un « Pacte républicain », réunissant trois partis politiques a vu le jour. Comment comprendre cette animation trouble des partis de l’opposition ?
Jusqu’ici l’ensemble des regroupements initiés par les partis politiques de l’opposition Camerounaise se sont déroulés sur fond de radicalisme envers le parti politique au pouvoir et paradoxalement aussi sur fond de méfiance réciproque entre les partis membres de ces regroupements. S’opposer de façon systématique au parti au pouvoir semble être le leitmotiv de l’action individuelle ou collective de l’opposition Camerounaise. Au-delà d’une rhétorique préconstituée, l’offre politique censée susciter l’adhésion des citoyens à l’opposition, fondée sur une vision claire, n’est pas au rendez-vous. La coalition née avant les élections de 2004 ou le G7 créé à la suite de la réélection du Président Paul Biya en 2011 constituent des illustrations de cette posture de l’opposition. Dakolé Daissala, leader politique n’ayant pas adhéré au G7, a pu ainsi dire de façon sentencieuse que « Vous ne pouvez pas faire partie d’un mouvement des individus qui ne savent pas ce qu’ils veulent, tout est confusion dans leur tête (…) [Ce sont] des rigolos qui s’amusent avec le destin de ce pays… » (1).
De surcroît, cette approche « creuse » des partis politiques d’opposition est consolidée par le déficit démocratique qui caractérise la majorité des partis de l’opposition et fait partie pour certains d’entre eux d’une stratégie de recherche continuelle des rentes politiques. En effet, si l’alternance au sommet de l’Etat semble être le souhait de certains partis de l’opposition, celle-là ne saurait pas être envisagée dans leurs formations politiques. La quasi-totalité des partis politiques de l’opposition née dès le lendemain du multipartisme n’ont jamais connu jusqu’ici d’alternance à leurs têtes ! Le leader du Parti des Démocrates Camerounais totalise ainsi par exemple 20 ans à la tête de son parti, et ceux du Social Democratic Front, de l’Union Démocratique du Cameroun, tout comme du Mouvement Démocratique pour la Défense de la République, 21 ans… Le corollaire de ce déficit de démocratie interne est sans conteste le développementd’une sorte d’habitus politique de « gouvernance patrimoniale » de ces institutions, qui ne sauraient accepter une altération quelconque. Ce qui fait dire, dans le cas du Social Democratic Front, que son leader gère le parti telle une entreprise familiale (2).
La conséquence logique de cette gouvernance patrimoniale est sans conteste le développement d’une culture de rente politique chez les leaders inamovibles de ces partis politiques. Les partis politiques deviennent ainsi des rouages essentiels pour atteindre des objectifs personnels. On se rappelle encore ici de la réclamation à peine voilée de la part du président du Social Democratic Front au Président Paul Biya d’un chauffeur, d’un garde du corps et d’un cuisinier, au motif qu’il serait le leader du principal parti de l’opposition. Les partis d’opposition deviennent ainsi volontiers « collaborateurs » : les leaders occupent des postes ministériels grâce au soutien qu’ils apportent au régime en place. Il en est ainsi par exemple du leader de l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès qui peut être aujourd’hui considéré comme inféodé au parti au pouvoir, ou encore du leader de l’Alliance Nationale pour la Démocratie et le Progrès, qui fut jadis un grand pourfendeur du régime mais qui aujourd’hui occupe le poste de ministre de la communication, et traîne derrière lui des soupçons de détournements des fonds publics.
Nul doute que les pratiques « politiciennes » de l’opposition camerounaise participent à l’altération de l’image de celle-ci auprès des citoyens. Dans ce cadre, les envolés lyriques ayant accompagné la mise sur pied du « pacte républicain » ne feront pas changer la situation, les partis membres de ce « pacte » n’étant pas exempts des pratiques susmentionnées. S’il faut reconnaitre d’emblée que ce regroupement se distingue des précédents par la stratégie déclarée qui vise à obtenir une majorité à l’Assemblée aux prochaines législatives, il faut noter cependant que cette même stratégie est construite sur la base de la consolidation de la politique de rente développée par la quasi majorité des « leaders propriétaires » des partis politiques Camerounais, qui ignorent la base du parti d’une part et d’autre part adoptent une approche quelque peu ethnique de la politique. Ce qui fait en sorte par exemple, qu’on aura toujours dans le département du « Noun » des députés de l’Union démocratique Camerounaise issues de « la famille » de son leader – si ce n’est lui-même comme autrefois, qui auront cette fois-ci la bénédiction des partis du « pacte ». De même, ce parti devra a priori apporter son onction aux autres dans leurs propres fiefs électoraux. Mais il faudra encore que ce pacte adopté par la direction politique des partis politiques puisse être accepté par la base, qui n’a pas été considérée lors de son élaboration.
On le voit, la transformation sociale semble être la derrière préoccupation des partis politiques de l’opposition : récupérer une part du « gâteau » semble être la priorité. Les trajectoires oligarchiques dans lesquelles ces partis d’opposition se meuvent peuvent laisser penser à l’impossibilité « démocratique » au Cameroun.