Cameroun : recours régulier à la torture et à la détention au secret (HRW)


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La gendarmerie camerounaise
La gendarmerie camerounaise

Les autorités camerounaises ont torturé et détenu au secret des personnes dans un centre de détention à Yaoundé, la capitale du Cameroun. Des gendarmes et d’autres forces de sécurité au Secrétariat d’État à la défense (SED) ont pratiqué de graves passages à tabac et des quasi-noyades pour obtenir des aveux de détenus suspectés d’avoir des liens avec des groupes séparatistes armés.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait mettre la situation au Cameroun à son ordre du jour, condamner la torture et la détention au secret et appeler le gouvernement à mettre fin à ces pratiques, a déclaré Human Rights Watch.

« Au cours de l’année passée, les forces de sécurité au Cameroun ont recouru à la torture sans crainte de répercussions », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait envoyer un message clair indiquant que la cessation de la torture en détention est capitale pour répondre à la crise dans les régions anglophones. »

Human Rights Watch a documenté 26 cas de détention au secret et de disparitions forcées au centre de détention du SED entre janvier 2018 et janvier 2019, dont 14 cas de torture. Le nombre total est probablement bien plus élevé, parce que les abus sont commis dans le plus grand secret et de nombreux anciens détenus sont réticents à parler par peur de représailles. Human Rights Watch a reçu d’autres récits dignes de foi depuis avril, indiquant que ces violations continuent.

La torture est endémique depuis longtemps dans le système militaire et d’application des lois au Cameroun, notamment à l’encontre des personnes suspectées d’être des membres ou des partisans du groupe armé Boko Haram ou de groupes séparatistes armés. Les autorités détiennent des personnes au secret et torturent des détenus au SED depuis 2014 au moins. Les méthodes de torture documentées par Human Rights Watch, y compris des passages à tabac sévères et des quasi-noyades, ont aussi été utilisées à la fois dans des établissements de détention officiels et non officiels, illégaux, dans le pays.

Parmi les personnes interrogées, trois ont déclaré être d’anciens combattants séparatistes ; les autres ont dit être des civils. Quatorze ont fait état d’abus physiques qui constituent des actes de torture et onze ont indiqué avoir été témoins de torture sur d’autres détenus et avoir subi des menaces. Les 26 détenus, y compris deux femmes et un enfant de 18 mois, ont tous été placés au secret au SED, entre janvier 2018 et janvier 2019, beaucoup pendant plusieurs mois, sans aucun contact avec leur famille, leurs amis ou leur conseiller juridique.

Les familles et les avocats des anciens détenus, ainsi que des experts légistes, des photos, des vidéos et d’autres sources ont corroboré les récits. À l’exception des deux femmes et de l’enfant, qui ont tous été relâchés, les autres ont en fin de compte été présentés à des procureurs militaires et inculpés pour crimes en vertu de la législation contre le terrorisme de 2014 du Cameroun.

Un séparatiste armé présumé, âgé de 46 ans, a déclaré avoir été torturé au Secrétariat d’Etat à la défense (SED) à Yaoundé, Cameroun, où il a été détenu pendant six mois en 2018. © 2019 Privé

Cinq anciens détenus ont expliqué que leur présence au SED a été cachée aux observateurs internationaux, y compris au Comité international de la Croix-Rouge, dont les délégués ont visité le site en juillet 2018.

Les gendarmes et d’autres agents au centre de détention ont fait usage de torture et d’autres mauvais traitements pour contraindre les suspects à avouer des crimes ou pour les humilier et les punir, ont précisé les anciens détenus. Suite aux interrogatoires qui pouvaient inclure de la torture, ils ont été forcés de signer des déclarations qu’ils n’ont pas été autorisés à lire ou qu’ils n’ont pas pu lire parce qu’elles étaient rédigées en français.

Un mécanicien automobile du département de Ngo-Ketunjia, dans la région du Nord-Ouest, qui a été détenu au centre pendant une année avant d’être transféré à la prison centrale de Yaoundé au début de l’année 2019, a décrit les mauvais traitements qu’il a subis : « Les gardes utilisaient tous les objets qu’ils pouvaient trouver à proximité pour nous frapper, comme des spatules de cuisine, des pierres, des bâtons et des câbles électriques. Ils nous ont battus comme du bétail. »

Le traitement des détenus au SED enfreint la loi camerounaise et le droit international relatif aux droits humains. Le Cameroun est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture, qui interdisent tous les deux la torture et les autres mauvais traitements. La détention au secret prolongée est une forme de peine ou de traitement cruel, inhumain et dégradant. En vertu du droit international, la torture est un crime soumis à la compétence universelle, ce qui signifie que tout pays peut juger de tels actes indépendamment du lieu où le crime a eu lieu ou de la nationalité de l’auteur des abus ou de la victime.

Les anciens détenus ont indiqué que parmi ceux qui les maltraitaient figuraient des agents de la gendarmerie de rang subalterne et intermédiaire. Les anciens détenus ont fourni les noms de 27 agents ayant commis des actes de torture, dont trois qui ont été mentionnés séparément par au moins 12 détenus qui avaient été soit soumis à de la torture soit témoins de torture dans l’établissement en 2018.

Les tribunaux et la gendarmerie ont ignoré les allégations de torture soulevées aux procès et les demandes des avocats pour faire cesser la détention au secret. Les avocats ont indiqué que les juges ont rejeté les allégations de torture des prévenus et n’ont pas ordonné d’enquêtes rapides et impartiales sur les allégations de torture, comme exigé par la loi nationale et le droit international relatif aux droits humains.

Les séparatistes armés au Cameroun ont aussi commis de graves abus, y compris des attaques contre des écoles, des meurtres, des enlèvements et de l’extorsion. Human Rights Watch a confirmé trois incidents distincts depuis août 2018, dans lesquels des combattants séparatistes ont blessé sept civils, et des dizaines d’autres cas d’attaques apparemment illégales contre des ouvriers agricoles dans des plantations de bananiers près de Tiko, dans la région du Sud-Ouest. En janvier 2019, des séparatistes armés ont battu sévèrement un homme de l’ethnie Fulani à coups de bâtons et de machettes dans le département de la Momo, dans la région du Nord-Ouest. Les leaders séparatistes devraient donner des ordres clairs pour empêcher les combattants d’attaquer des civils et de maltraiter les personnes qu’ils détiennent, a déclaré Human Rights Watch.

Le gouvernement camerounais a publiquement affirmé que la détention non officielle et la torture n’existent pas au Cameroun. Toutefois, le gouvernement n’a pas répondu au courrier de Human Rights Watch présentant ses conclusions et demandant une réponse à des questions spécifiques.

Les autorités camerounaises devraient immédiatement cesser l’usage de la torture et des autres mauvais traitements au SED et dans les autres établissements de détention, a expliqué Human Rights Watch. Elles devraient mettre fin à la détention au secret et garantir que tous les détenus ont accès à leur avocat et aux membres de leur famille et reçoivent des soins médicaux appropriés.

Les autorités devraient mener rapidement des enquêtes crédibles sur toutes les allégations de torture, de traitements cruels, inhumains ou dégradants au SED et dans tous les autres lieux de détention. Elles devraient s’assurer que tout le personnel des forces de sécurité et les autres agents des lieux de détention soient correctement sanctionnés ou traduits en justice. Les hauts responsables devraient rendre des comptes du fait de la responsabilité de commandement.

Image tirée d’une vidéo montrant un séparatiste armé présumé se faire torturer par des gendarmes dans la région du Sud-Ouest du Cameroun lors de son arrestation en mai 2018. © 2018 Privé

En l’absence d’effort sérieux du gouvernement camerounais pour aborder le problème de la torture, les partenaires internationaux du Cameroun devraient reconsidérer leur soutien, y compris la formation et le développement de capacités, aux institutions directement impliquées dans ces atteintes aux droits humains.

« La responsabilité du gouvernement camerounais de protéger sa population face aux groupes armés ne justifie jamais l’usage de la torture », a conclu Lewis Mudge. « Pour restaurer la confiance, le gouvernement devrait respecter l’État de droit en mettant fin aux pratiques illégales et en traduisant les responsables en justice. »

Informations complémentaires sur la torture et la détention au secret au SED

Depuis le début de la crise dans les régions anglophones du Cameroun à la fin de l’année 2016, les forces de sécurité camerounaises ont arrêté ou détenu au secret des centaines de personnes. De nombreuses personnes ont été détenues pendant plusieurs mois et certaines ne sont toujours pas réapparues. Les organisations de défense des droits humains locales estiment que près de 1 000 personnes ont été arrêtées depuis la fin de l’année 2016, parmi lesquelles 340 ont été libérées après deux décrets présidentiels en août 2017 et en décembre 2018. Bon nombre ont été inculpées en vertu de la loi contre le terrorisme de 2014, qui s’appuie sur une définition extrêmement large du terrorisme qui pourrait être utilisée pour restreindre les droits et les libertés fondamentaux et qui permet au gouvernement de juger des civils illégalement devant des tribunaux militaires. Les personnes reconnues coupables de terrorisme en vertu de la loi de 2014 peuvent encourir la peine de mort.

Les personnes interrogées par Human Rights Watch ont toutes été précédemment détenues au Secrétariat d’État à la défense. Cet établissement est le quartier général de la gendarmerie nationale, dirigée par le secrétaire d’État à la défense en charge de la gendarmerie, Galax Yves Landry Etoga, qui est placé sous l’autorité du ministre de la Défense. En mai 2012, suite aux allégations portées par des organisations de défense des droits humains nationales et des avocats indiquant que les autorités détenaient illégalement des suspects dans cet établissement, le gouvernement l’a officiellement reconnu comme centre de détention formel sous l’autorité du responsable de la prison centrale de Yaoundé.

Malgré les précédents rapports documentant des abus graves, le gouvernement n’a fait aucun progrès visible pour mettre fin à la torture et à la détention au secret. Il n’a pas non plus mis en œuvre les recommandations de décembre 2017 du Comité contre la torture des Nations Unies, y compris de garantir des enquêtes rapides, efficaces et impartiales sur toutes les allégations de torture, de mauvais traitements et de détention au secret, ainsi que des poursuites judiciaires et des sanctions appropriées pour les auteurs d’abus présumés.

Tous les anciens détenus interrogés par Human Rights Watch ont été placés au secret, beaucoup pendant plusieurs mois, sans aucun contact avec leur famille, leurs amis ou leur conseiller juridique.

Détention au secret, disparitions forcées

Les anciens détenus ont raconté qu’une fois arrêtés, on leur bandait généralement les yeux, on leur passait des menottes ou des chaînes et on les conduisait au SED, où ils étaient enfermés sans aucun contact avec le monde extérieur, avant d’être emmenés dans une autre prison en attendant d’être jugés ou libérés. Certains avaient aussi passé du temps dans d’autres centres de détention dans le pays ou au Nigeria, y compris dans des établissements de détention illégaux, avant d’être transférés au SED. Quatre anciens détenus ont affirmé avoir été torturés dans d’autres centres de détention avant d’être conduits au SED.

Les détenus ont indiqué avoir passé entre 3 et 12 mois au SED. Dix étaient des leaders du Gouvernement par intérim de l’Ambazonie autoproclamé, un groupe séparatiste, dont son président, Sisiku Julius Ayuk Tabe. Ils ont expliqué qu’ils ont été autorisés à voir leurs familles et leurs avocats uniquement six mois après avoir été transférés vers le site.

De nombreux cas documentés constituent des disparitions forcées. La Convention internationale contre les disparitions forcées stipule qu’une disparition forcée se produit lorsqu’une personne est privée de sa liberté par des agents de l’État, suivi par un refus de reconnaître la privation de liberté ou par une dissimulation du sort de la personne ou de l’endroit où elle se trouve.

En janvier, une femme de 29 ans du département de la Momo, dans la région du Nord-Ouest, a raconté à Human Rights Watch :

Je ne sais pas où se trouve mon mari exactement. Depuis le jour de son arrestation, il a disparu. J’ai essayé de le chercher, mais je n’ai pas réussi à le trouver. À un moment, j’ai pensé qu’il était mort. Ensuite, des amis m’ont dit que ceux qui ont été arrêtés avec lui ont été libérés du SED et ont été conduits à la prison centrale de Yaoundé. Donc, je suis allée les voir et ils m’ont raconté que mon mari est détenu au SED et que son état de santé n’est pas bon. Je suis allée au SED et j’ai demandé à le voir, mais les gardes m’ont répondu qu’il n’était pas là.

Un ancien mécanicien automobile du département de Bui a expliqué qu’il a été détenu au SED pendant près d’un an. « Nous étions détenus au secret, personne ne savait où nous étions », a-t-il raconté. « Nous n’avions aucun contact avec nos familles. Nous ne pouvions appeler personne, ni recevoir de visites. Nos familles ont pensé que nous étions morts. » Il a été transféré à Yaoundé en janvier 2019 et est inculpé en vertu de la loi contre le terrorisme.

Bien qu’étant une infraction pénale distincte, l’acte de disparition forcée a aussi été longtemps reconnu comme violant simultanément plusieurs protections des droits humains, dont l’interdiction de torture et l’absence d’arrestation et de détention arbitraires. Une disparition forcée est un crime « continu » en vertu du droit international : elle perdure et continue à infliger des souffrances à la famille de la victime, aussi longtemps que le sort de la personne disparue est inconnu ou dissimulé.

Torture

Quatorze anciens détenus ont affirmé avoir été torturés au SED. Ils ont décrit diverses méthodes et ont montré à Human Rights Watch des photographies en expliquant qu’il s’agissait de cicatrices laissées sur leurs corps par la torture. Human Rights Watch a consulté des experts légistes, qui ont analysé les photographies et ont indiqué qu’elles corroboraient les récits des victimes. Les anciens détenus ont dit qu’ils étaient frappés avec divers objets, dont des bâtons en bois, des planches, des câbles électriques, des machettes, des fusils, des chaînes, des instruments de cuisine et d’autres éléments. Deux détenus ont raconté qu’ils ont aussi été soumis à une quasi-noyade, avec leur tête plongée de force dans des seaux d’eau.

Les anciens détenus ont indiqué que la torture était utilisée pour les obliger à admettre leur soutien aux groupes séparatistes armés, à identifier des amis et des connaissances ou à fournir des noms de séparatistes armés, de collaborateurs ou d’activistes anglophones.

Un ancien combattant du groupe séparatiste armé Ambazonia Defence Forces (Forces de défense de l’Ambazonie) a raconté :

Le SED était horrible. J’ai été frappé avec des machettes, des chaînes, des bâtons et des câbles. Une fois, j’ai été torturé jusqu’à ce que je perde connaissance. J’étais menotté pendant que j’étais frappé. Ma tête a aussi été plongée de force dans un seau contenant de l’eau. C’était comme si je me noyais.

Les victimes ont indiqué qu’elles ont été torturées seules et devant d’autres détenus. La majorité des anciens détenus ont précisé que les passages à tabac les plus sévères avaient lieu tôt le matin et avant les repas. Certains ont expliqué qu’ils ont été torturés chaque jour par sessions allant de 15 minutes à deux heures, alors que d’autres ont décrit avoir été torturés de manière aléatoire ou une seule fois.

Un homme de 39 ans de la région du Sud-Ouest a raconté que des gardes l’ont frappé à la tête avec des câbles électriques et aux doigts avec des bâtons en bois jusqu’à ce qu’il perde ses ongles.

D’anciens détenus ont indiqué souffrir de problèmes de santé suite aux tortures subies. Quatre d’entre eux ont montré aux chercheurs de Human Rights Watch des cicatrices et des marques sur leurs corps qu’ils décrivaient comme des séquelles de la torture.

Les anciens détenus ont tous décrit avoir été traités de manière dégradante pendant leur détention. Ils ont dit avoir subi des menaces de torture, de mort et de violences contre leurs familles.

Un homme d’affaires de 37 ans arrêté en février 2018 dans le département de la Meme dans la région du Sud-Ouest et qui a passé huit mois en détention au secret sur le site a indiqué : « Ma réflexion et mon raisonnement ne sont plus comme avant [la torture]. »

Un ingénieur du département de Donga-Mantung, dans la région du Nord-Ouest, qui a été détenu sur le site de juillet à octobre 2018, a raconté : « Je n’ai pas été traité comme un être humain. J’ai été traité comme une personne inférieure. Depuis que je suis sorti, j’ai du mal à dormir. »

Les anciens détenus ont indiqué qu’ils ont été forcés de signer des déclarations qu’ils ne pouvaient pas lire ou comprendre. Un ancien détenu a expliqué : « Si vous essayiez de lire la déclaration, ils vous frappaient. Vous ne savez pas ce que vous signez et tout est écrit en français. »

Les passages à tabac ont eu lieu principalement dans ce que les détenus ont décrit comme des « bunkers », des cellules souterraines. Certains passages à tabac ont aussi eu lieu, d’après les récits, dans les cellules situées à l’étage supérieur du bâtiment. En août 2017, les médias ont signalé une vidéo qui montrait une dizaine de détenus enfermés dans des conditions effroyables dans une cellule de « bunker » souterraine obscure sur le site.

Un ancien détenu arrêté en février 2018 dans la région du Sud-Ouest et détenu dans l’établissement pendant huit mois, a raconté :

J’ai été torturé dans le bunker parce que si vous criez, personne ne peut vous entendre. Et s’ils pensaient que vous criiez trop fort, ils enfonçaient des morceaux de tissus dans votre bouche. Dans le bunker, nous avons mené une grève de la faim pour protester contre la torture.

Les anciens détenus ont affirmé que la torture était principalement infligée par des agents de rang subalterne et intermédiaire. Ils ont identifié séparément 27 gardes, dont trois ont été cités par plus de 12 détenus. Au moins une dizaine d’anciens détenus ont chacun nommé trois personnes impliquées dans la torture, y compris deux sergents. Ils ont été capables d’identifier leurs tortionnaires en entendant les collègues des tortionnaires ou d’autres détenus prononcer leurs noms.

L’échelle des violations documentées indique la nécessité d’ouvrir une enquête indépendante qui examinerait le rôle des agents de tous rangs au centre de détention. En 2010, le Cameroun a terminé le processus de ratification national du protocole facultatif à la Convention contre la torture, autorisant des visites dans les centres de détention par le Sous-comité pour la prévention de la torture prévu par le protocole. Cependant, la ratification doit encore être formalisée avec l’ONU.

Mauvais traitements, soins de santé inadéquats en détention

Les anciens détenus ont décrit des conditions de détention sur le site qui constituent un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Ils ont rapporté une grave surpopulation, une alimentation inappropriée et insuffisante, un manque d’hygiène, une mauvaise assistance médicale et aucun accès à l’air frais ou à la lumière du soleil. La plupart ont signalé avoir été forcés de dormir sur un sol humide dans des cellules petites et sales.

Certains ont indiqué qu’ils avaient été détenus avec 18 personnes dans une cellule mesurant environ trois mètres carrés. Ils ont tous rapporté avoir dormi sur le sol, avec peu ou pas d’espace pour étendre leurs jambes. Quatorze ont signalé avoir été détenus au moins une fois dans les cellules du « bunker ». Cinq ont raconté qu’ils étaient cachés aux observateurs internationaux. Une ancienne détenue a expliqué :

Une fois j’ai été sortie de ma cellule parce que les gardes ont dit qu’ils devaient vaporiser des produits chimiques pour la désinfecter, mais c’était parce que la Croix-Rouge visitait le bâtiment du SED et les gardes m’ont cachée. J’ai été conduite en bas, au sous-sol, dans le bunker. Il y avait tellement de personnes là et la situation était terrible. Les personnes ressemblaient à des animaux, pas à des êtres humains.

Un ancien détenu âgé de 23 ans a décrit les conditions sanitaires dans l’une des cellules du « bunker » où il a été enfermé pendant huit mois. « Les gardes nous donnaient seulement un morceau de savon pour 12 personnes par mois », a-t-il indiqué. « Nous ne nous sommes pas brossé les dents pendant des mois. »

Les anciens détenus ont expliqué qu’une femme médecin et des infirmiers en uniforme leur ont rendu visite dans leurs cellules et leur ont donné des médicaments de base, principalement des antidouleurs.

L’alimentation n’était pas appropriée. Les anciens détenus ont indiqué que les rations étaient fournies habituellement une ou deux fois par jour et provoquaient souvent des diarrhées ou des douleurs au ventre.

Retour forcé du Nigeria

Seize des anciens détenus interrogés ont été arrêtés au Nigeria et ont été renvoyés de force au Cameroun malgré leur enregistrement comme réfugiés ou demandeurs d’asile. Le gouvernement nigérian a renvoyé ces hommes, avec au moins 42 autres, en janvier et en mars 2018, en violation du principe de non-refoulement – pratique consistant à ne pas forcer des réfugiés ou des demandeurs d’asile à retourner dans un pays dans lequel ils peuvent faire l’objet de persécutions ou être exposés à un risque de torture ou de peine ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a condamné leur retour forcé au Cameroun. Plus d’un demi-million de personnes a été déplacé depuis la fin de l’année 2016 suite aux agitations dans les régions anglophones, dont 30 000 au Nigeria.

Les autorités nigérianes devraient immédiatement mettre en place des mesures efficaces pour protéger les Camerounais vulnérables d’un retour forcé au Cameroun en violation de leurs droits en tant que réfugiés et demandeurs d’asile, a déclaré Human Rights Watch.

Abus récents commis par des séparatistes

Depuis juillet 2018, des groupes séparatistes armés ont agressé physiquement des dizaines de travailleurs de la Cameroon Development Corporation (CDC), une société agroalimentaire publique. Human Rights Watch a parlé à sept victimes de trois incidents, qui travaillaient toutes dans les plantations de bananiers de la société près de Tiko, dans la région du Sud-Ouest. Elles ont été soit frappées soit mutilées et, dans un cas, blessées par balle. Les travailleurs ont indiqué qu’ils ont été pris pour cible parce qu’ils refusaient d’appliquer une grève générale lancée par les séparatistes.

Une femme de 49 ans, qui figurait parmi les 49 travailleurs frappés ou mutilés lors d’une attaque menée par les séparatistes sur la plantation de bananiers de la CDC à Mafange le 24 août 2018, a raconté :

Les séparatistes étaient armés de fusils de chasse et de machettes. Ils ont commencé à nous frapper un collègue et moi. Ils m’ont frappée à la tête et au dos plusieurs fois. Je suis tombée sur le sol et ils ont continué à me frapper au dos et aux genoux.

Un homme de 47 ans qui a été attaqué à la plantation de bananiers de Dungo Estate de la société le 31 octobre 2018 a expliqué :

J’ai vu sept hommes venir avec des machettes et des fusils. Ils étaient jeunes et m’ont parlé en pidgin-english. Il y avait un commandant parmi eux, il donnait des ordres aux autres garçons. Il a dit : « Avez-vous déjà entendu parler des Amba ? Je suis le chef des Amba. Pourquoi travaillez-vous ? Vous n’êtes pas censés travailler ! » L’un d’eux a pointé un fusil sur moi. Un autre a mis des feuilles de bananier dans ma bouche pour que je ne puisse pas crier. Ils m’ont frappé avec les machettes dans le dos. Puis, ils ont frappé ma main droite avec la machette et m’ont presque coupé deux doigts. Je saignais beaucoup. Ils s’en fichaient. Ils m’ont mis au sol et lié les mains dans le dos. J’étais face contre terre. J’ai alors ressenti une immense douleur. L’un d’eux m’avait tiré une balle dans la fesse droite. Ils m’ont abandonné comme ça.

Human Rights Watch a recueilli des témoignages de sources fiables indiquant que les séparatistes ont mené d’autres attaques contre les travailleurs de la société près de Tiko au début du mois de janvier 2019. La CDC est le second plus gros employeur au Cameroun et gère des plantations de bananiers, de palmiers à huile et d’arbres à caoutchouc dans la région du Sud-Ouest du Cameroun. La plupart de ses usines ont été fermées sur fond de menaces séparatistes.

Fuler Ayamba, Secrétaire général des Forces de défense de l’Ambazonie (Ambazonia Defence Forces), a affirmé dans un courrier du 14 mars adressé à Human Rights Watch que le groupe condamnait la mutilation des travailleurs de la société et que les combattants du groupe n’en étaient pas responsables.

Human Rights Watch a aussi documenté des cas d’abus par des séparatistes dans d’autres secteurs des régions du Sud-Ouest et du Nord-Ouest.

En janvier, au moins 10 séparatistes armés ont enlevé et torturé un homme de l’ethnie Fulani près du village d’Alabukam, dans la région du Nord-Ouest. Ils l’accusaient de collaborer avec l’armée. Human Rights Watch a analysé une vidéo qui est apparue en avril montrant au moins trois séparatistes avec des machettes et des bâtons menaçant et torturant l’homme, qui était nu et ligoté sur le sol.

Un ami de la victime a raconté à Human Rights Watch que l’homme était porté disparu depuis l’enlèvement et l’a reconnu sur la vidéo : « Je pense qu’il est mort. Je pense que les ‘Amba boys’ [les séparatistes] l’ont tué. Les Amba ciblent les Mbororo [l’ethnie Fulani]. Ils les accusent d’informer les militaires. » Toutes les sources qui ont parlé avec Human Rights Watch de cette affaire ont affirmé que les assaillants appartenaient au groupe séparatiste Ambazonia Defense Forces. Cependant, le groupe séparatiste a nié toute responsabilité. Human Rights Watch a documenté au moins 10 autres cas impliquant des abus commis par des séparatistes contre l’ethnie Fulani depuis décembre.

Le 4 février vers 7h45, environ cinq séparatistes armés ont attaqué une femme de 24 ans à Buea, dans la région du Sud-Ouest. Ils l’accusaient d’avoir ouvert un restaurant le jour où les séparatistes avaient annoncé une grève générale. Ils lui ont entaillé la jambe droite avec une machette et ont frappé à plusieurs reprises un homme de 23 ans dans le dos avec une fourche.

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