Plus de 10 ans que le gouvernement camerounais parle de la réforme de la sécurité sociale sans suite. Plus de 10 ans de projets, de réunions, de discours, de promesses sans effets.
Plus de 10 ans que le dossier est au Parlement, à la Primature, à la Présidence, toujours sans traces. Six ans qu’un comité interministériel de réflexion avait été créé avec un délai de trois mois pour boucler le dossier. Mais, toujours rien. Où en est-on et que faut-il faire ?
Les faiblesses du système
On parle de sécurité sociale en référence à un système de ressources qui permettent de couvrir les besoins essentiels des citoyens victimes des « risques sociaux » (maladies, accidents de travail, retraite, vieillesse, famille, veuvage, maternité, etc.). Le système de sécurité sociale du Cameroun date de 1967. Il est basé sur les cotisations et sur les impôts. Deux structures publiques s’occupent de sa gestion : la Caisse Nationale de la Prévoyance Sociale (CNPS) pour le privé et la Direction des soldes et pensions du ministère des Finances pour le public. Le système présente deux faiblesses majeures : La non-couverture de 90% de la population active et la non-couverture du risque maladie et du risque chômage. Le projet de réforme abandonné se contente d’une solution politico-administrative (législation en faveur du social, création de trois entreprises de sécurité sociale) sans résoudre l’équation du financement. On comprend la difficulté de le sortir des tiroirs de l’administration, probablement à cause des problèmes d’ordre budgétaire.
L’approche sociale qui se limite à conférer ou à revendiquer des droits sociaux bute sur les contraintes économiques et financières. Comment arrive-t-on à financer l’élargissement de la sécurité sociale ? Comment intégrer les indépendants et le monde paysan ? Qui paie l’addition? Le projet se contente de prévoir la création d’une Caisse nationale des personnels de l’Etat, d’une Caisse nationale d’assurance maladie et d’une Caisse nationale de sécurité sociale. Par ailleurs, il maintient le monopole étatique sur la sécurité sociale. Dans l’incapacité de financer, l’Etat ne prévoyait que la couverture de 10 à 20% des travailleurs à l’horizon 2015.
Dans la logique de la bureaucratie, la sécurité sociale au Cameroun ne couvre que les « travailleurs » salariés. Selon les statistiques de l’Institut National de la Statistique (INS), seulement 10% de la population active est couverte (7% dans le public et 3% dans le privé). Les agriculteurs qui contribuent pour 65% à l’économie nationale sont exclus. Aussi, le promoteur d’une entreprise (propriétaire, associé) n’est pas couvert parce qu’il n’est pas lui-même titulaire d’un contrat de travail dans son entreprise. Le secteur informel, qui représente 90% du marché du travail, reste non-couvert. Ainsi, beaucoup de commerçants et « hommes d’affaires » gagnent confortablement leurs vies sans être déclarés à la sécurité sociale. Pis, les artistes et les sportifs ne sont pas couverts alors qu’ils comptent parmi les plus hauts revenus. Le système de cotisation a été bâti sur le secteur formel et non sur la capacité du citoyen à cotiser.
Quelques pistes de réforme
Le plus grand défi est celui de la redéfinition du statut de « travailleur » et de l’élargissement de la couverture sociale. Il convient de partir du système de l’assistanat vers une perspective de l’autonomisation de l’assuré en réformant le système actuel des fonds nationaux de prévoyance qui sont des régimes d’épargne obligatoire financés par des cotisations payées par les employeurs et les travailleurs.
L’erreur a été de penser que les « travailleurs » de l’informel finiront par rejoindre le formel où il existe la sécurité sociale. Pour augmenter la couverture des travailleurs indépendants et de ceux de l’informel, il convient d’adapter le système de sécurité sociale aux principes de l’assurance sociale avec des cotisations et des prestations liées aux revenus et non au secteur d’activité (formel). Certains exemples du continent sont encore perfectibles, mais méritent d’être cités. En Egypte, les travailleurs indépendants ont été divisés en deux catégories : les indépendants spécialisés (commerciaux et agriculteurs y-compris des employeurs) et les travailleurs occasionnels (ceux de la petite agriculture, les indépendants qui n’ont pas de poste fixe, les employés de maison et les transporteurs). L’amélioration de la capacité des travailleurs et des employeurs à cotiser nécessite une transformation structurelle de l’économie. En clair, les politiques économiques doivent être réformées et orientées vers le soutien à l’entreprise, l’investissement privé, la compétitivité et la productivité, pour augmenter les revenus. Par exemple, en matière de retraite, en vue de mettre fin à la perception de la retraite comme période d’inactivité nécessitant l’assistanat du titulaire et/ou de ses ayants-droits, les pensions-retraite peuvent être transformées en montants forfaitaires payables en une fois pour servir de capital à un nouvel investissement (recapitalisation de l’expérience des retraités).
Au niveau institutionnel, il faudrait mettre fin à la rigidité et à la lourdeur des réglementations du marché de travail, du code du travail, des charges sociales pesant sur les entreprises, ce qui permettra de prévenir la sous-déclaration et le « noir ». Il faudrait poursuivre le désengagement de l’Etat et promouvoir le partenariat public-privé à travers par exemple la définition d’un statut pour les tontines et mutuelles qui assurent déjà la protection sociale de fait.
Aussi, pour assurer la couverture sanitaire universelle, il faudrait réformer la politique sanitaire afin de mutualiser les dépenses de santé. Par exemple, il existe un cloisonnement entre la prise en charge des maladies infantiles et la protection de la famille. Dans le financement public (44 milliards de FCFA par an), la priorisation de la femme rurale, motrice de l’économie locale, permettrait de couvrir la famille, noyau de la société et de s’attaquer en même temps aux problèmes de VIH-SIDA ou de décès d’enfants de 0 à 5 ans.
Enfin, le système ne peut marcher que si l’on renforce la bonne gouvernance en vue de sécuriser les recouvrements et de redonner confiance aux assurés qui doivent aussi être responsabilisés afin de limiter le gaspillage et l’augmentation des coûts des prestations.