Le gouvernement camerounais compte vraisemblablement procéder à une augmentation du prix des carburants. La raison invoquée est que les subventions, qui permettent de stabiliser le prix des produits pétroliers, grèvent lourdement le budget de l’Etat et deviennent insoutenables dans le contexte actuel. Quelle est la portée d’un tel argument et quelles en sont les implications ? N’y a-t-il pas d’autres dysfonctionnements à régler pour remédier au déficit budgétaire ?
L’idée de subventionner les produits pétroliers au Cameroun est intimement liée à la volonté du gouvernement de sauvegarder le pouvoir d’achat des plus démunis. C’est ainsi que pour la seule année 2011 le niveau des subventions accordées par l’Etat à la consommation des produits pétroliers était de l’ordre de 323 milliards de FCFA (environ 500 millions d’euros), contre 145 milliards de FCFA (environ 220 millions d’euros) en 2010, ce qui représenterait près de 14% du budget de l’Etat, soit 60% de la masse salariale de l’État [Journal Le messager du 27 juillet 2012.]]. Les prévisions pour l’année 2012 situent [le coût de ces subventions au moins à égalité avec celles de l’année 2011 [[consulté le 08/08/2012]]. Au vu de leur poids dans le budget de l’Etat, ces subventions sont-elles réellement soutenables ? Allons plus loin : faut-il encore défendre une politique de subvention ?
La situation dans laquelle se trouve actuellement le gouvernement camerounais était prévisible à plusieurs égards. Une politique de subvention générale, au-delà des effets immédiats qu’elle produit pour les bénéficiaires, entraîne plusieurs effets pervers moins « visibles ».
Déjà au niveau de l’objectif affiché de cette politique, il faut remarquer que du fait de leur caractère non ciblé, les subventions bénéficient davantage à l’Etat, aux industriels, et aux nantis qu’aux plus démunis. Selon le professeur Tsafack [[Interview accordée au quotidien Cameroon-tribune du 20/07/2012.]], des études montreraient que près de 70% des subventions du « Super » sont captées par les 40% des revenus les plus élevés, alors que les revenus modestes ne bénéficieraient que de 13% des subventions sur le pétrole lampant. De ce fait, cette politique de subvention générale parait injuste.
Parallèlement, toute politique de subvention empêche « la vérité des prix » fournissant aux agents économiques les signaux leurs permettant d’ajuster leurs choix en fonction des raretés relatives : cela crée des distorsions dans l’allocation des ressources.
Une politique de subvention créée aussi une dépendance : les agents économiques habitués à cette mesure en deviennent dépendants à tel point qu’ils la perçoivent comme un droit et qu’il devient alors politiquement risqué de remettre en cause celle-ci. Par conséquent, le gouvernement finit par se retrouver avec un accroissement de la charge des subventions qui devient insoutenable sur le long terme. Et en effet, il cherche actuellement les moyens pour revoir cette politique.
Si le risque est socialement élevé de procéder à un démantèlement immédiat des subventions générales aux produits pétroliers au Cameroun (augmentation des prix), il reste qu’il existe d’autres moyens qui peuvent être explorés pour supprimer de manière progressive ces subventions sans pour autant générer une hausse considérable des prix. Les leviers sur lesquels peut agir le gouvernement restent ceux de la fiscalité des produits pétroliers, de la gouvernance et d’une politique ciblée de soutien aux revenus modestes.
S’agissant du premier point, il faut remarquer que la structure des prix des produits pétroliers se divise en composantes non fiscales et fiscales. Et, côté fiscal, force est de constater que les produits pétroliers sont soumis non seulement aux droits de douane, à la TVA (sur le produit ; sur les prestations de services ; sur la distribution) mais aussi à une taxe spéciale sur les produits pétroliers qui représente 20% du prix du gasoil et du super. Sur un litre de super qui coûte 569 Fcfa à la pompe (87 cts d’euros), les taxes représentent ainsi 235,95 Fcfa (36 cts d’euros), et 190,95 Fcfa (29 cts d’euros) pour le litre du gasoil qui coute 520 fcfa (79 cts d’euros) ; sur le litre de pétrole à 350 FcFa (53 cts d’euros) les taxes sont à 127,56 Fcfa (20 cts d’euros). On subventionne ainsi d’un côté un produit que l’on taxe de l’autre… Un réexamen de cette fiscalité devrait permettre de réduire le poids la subvention en supprimant en même temps certaines taxes.
Ensuite, la transparence dans la gestion des revenus des produits pétroliers et la corruption généralisée constituent un sérieux handicap du gouvernement en matière de gouvernance : les coûts de production sont impactés. Jusqu’à présent, le pays n’a pas encore réussi à remplir toutes les conditions pour son adhésion à l’initiative de transparence des industries extractives [[consulté le 08/08/2012]], alors que des pays comme le Ghana ont été admis promptement. Le principe de reddition des comptes doit être de mise en matière de gouvernance. Parallèlement, l’homologation en aval des prix par la caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures, porte un sérieux coup à l’assisse d’une véritable concurrence qui aurait un impact favorable sur les prix, alors même que le secteur a été en apparence « libéralisé » en 2000.
Sur le plan social, et pour rester dans l’optique de soutien aux démunis, l’Etat pourrait utiliser un système d’aide directe ciblée qui permettrait de toucher effectivement les ménages à faibles revenus.
Enfin, rappelons que des prix perçus comme relativement trop élevés sont dus essentiellement à un pouvoir d’achat trop faible. Or, l’augmentation de ce dernier ne peut être obtenue que par un environnement propice à la croissance, à l’entrepreneuriat : une politique de long terme de défense du pouvoir d’achat passe donc immanquablement par une réforme institutionnelle plus large.