Selon la troisième Enquête nationale de démographie et de santé du Cameroun, le pourcentage de séropositifs est plus important chez les personnes ayant le niveau d’instruction le plus élevé. Une tendance qui vaut aussi bien pour les hommes et les femmes, et qui est près de deux fois moins vraie pour les Camerounais qui n’ont reçu aucune éducation. D’aucuns l’expliquent par la multiplicité des partenaires et le refus du port du préservatif des « intellectuels ».
Faire de longues études ne sauve pas du sida. C’est ce qui ressort de la troisième Enquête nationale de démographie et de santé du Cameroun, qui indique que, selon ses résultats, la prévalence dans le pays est de 5,5% selon certains caractéristiques socio-démographiques. Cette étude, menée sur 9 900 personnes âgées entre 15 et 49 ans, souligne, entre autres, que le taux de séropositivité le plus élevé se trouve chez les Camerounais ayant fait des études secondaires et au-delà (4,3 % chez les hommes et 8,2 % chez les femmes). A l’inverse, les personnes n’ayant reçu aucune éduction sont près de deux fois moins nombreuses à être porteuses du VIH (2,7 % des hommes, 3,4 % des femmes). Le document précise que le pourcentage de prévalence, tous sexes confondus, est de 6% chez les « intellectuels » et de 3,2% chez les « non instruits ». Ceux ayant bénéficié d’une éducation primaire se rapprochent, quant à eux, dangereusement des « intellectuels » avec 5,9%.
Comment expliquer qu’une frange de la population sensée être plus au fait du danger du sida et de sa transmission peut-elle être plus touchée qu’une autre qui n’a pas eu autant accès à ces informations ? Certains sont complètement incrédules des chiffres de l’enquête. A l’image d’un ancien responsable du Comité national de lutte contre le sida (CNLS), organisme qui a financé l’étude. « Je ne suis pas d’accord avec cette étude si elle compare les séropositifs selon leur parcours scolaire. On dirait que quelqu’un s’est assis dans une pièce et a inventé ces chiffres. Le degré d’exposition d’un enfant scolarisé et d’un enfant de la rue n’est pas le même. Un enfant scolarisé est bien encadré dans sa famille, à l’école ou dans un pensionnat… alors qu’un enfant de la rue est livré à lui-même », estime-t-il.
Les ‘intellectuels’ plus actifs sexuellement
D’autres, en revanche, trouvent des raisons aux statistiques. « Personne ne comprend pourquoi. C’est une conjonction de paramètres », explique Maurice Fezeu, Secrétaire permanent du CNLS. Il donne toutefois une piste : « Si le VIH est une phénomène plus urbain que rural, c’est que les gens dans les villes vont plus à l’école. Ils ont donc plus de chances d’avoir un bon travail, et l’argent grâce auquel ils auront tendance à multiplier les partenaires. Certains auront ainsi deux ou trois partenaires », ajoute le responsable.
A l’Organisation mondiale de la santé (OMS), on note que l’âge et les habitudes peuvent miner l’usage du préservatif. « Les jeunes et les personnes âgées sont le plus à risque car le préservatif ne fait pas partie de leurs habitudes. C’est pourquoi nous les ciblons lors de nos campagnes de prévention. Nous expliquons notamment aux jeunes filles qu’elles ne doivent pas céder à l’argent que leur proposent les Big Daddys (pays gâteaux, ndlr) contre des relations sexuelles, qui peuvent être par ailleurs non protégées », précise une source de l’OMS. Qui souligne toutefois que, si l’organisation n’a pas trouvé de corrélation entre l’intellect et la séropositivité, les « ‘intellectuels’ constituent un groupe à risque comme les prostitués car leur activité sexuelle est intense. Les gens cultivés sont en effet plus attirés par le sexe que les moins instruits ».
Cette analyse et celle de Maurice Fezeu semblent être appuyée par l’enquête. Il apparaît que 11,8% des femmes et 43,8% des hommes d’un niveau d’instruction secondaire ou plus ont eu plus de deux partenaires lors des douze derniers mois (l’étude a été menée entre février et août 2004). Alors que du côté des Camerounaises et Camerounais qui n’ont reçu aucune éducation on compte respectivement 0,5% et 33,9%.
La capote n’a pas la cote
Le Dr René Owona Essomba estime, pour sa part, la plus importante séroprévalence des « intellectuels » par le fait qu’ils aient été, et sont encore, hermétiques aux messages de prévention. « On se demande si le message d’éducation pour le changement de comportement est bien passé chez eux, s’interroge-t-il. Je me rappelle que dans les années 1990, ils étaient très embarqués à déterminer comment le sida était né. Certains disaient qu’il avait été fabriqué dans un laboratoire, que le virus avait été envoyé en Afrique… Ce n’est pas facile de les sortir de cette réflexion. De leur faire accepter que ce qui est important, c’est que, maintenant que le virus existe, il faut s’en protéger. Du coup, même si les ‘intellectuels’ avaient globalement plus d’information sur la maladie, ils ont continué à causer sans faire attention. Alors que les ruraux prenaient plus conscience du message véhiculé par les campagnes ».
Côté usage du préservatif, ce n’est pas très brillant. « Le problème est que ceux qui ont fait des études poussées refusent en général de se protéger », souligne notre source de l’OMS. En dépit de la multiplicité des partenaires, les femmes et les hommes d’éducation élevée sont, respectivement, 49% et 63,7% à avoir utilisé un préservatif au cours de leurs derniers rapports sexuels à hauts risques (selon la définition de l’enquête : rapports sexuels avec un partenaire non-marital et non cohabitant). Contre 11% et 26,9% chez les natives et natifs du pays n’ayant reçu aucune instruction. La capote n’a pas la cote chez les « intellectuels », pourtant bien conscients que c’est le seul moyen fiable, avec l’abstinence, de se protéger du virus mortel. Certains avancent que l’argument maintes fois entendu que le condom « gâte » les rapports sexuels. Quelques femmes quant à elles croiraient sur parole les amants qui leur disent qu’ils ne sont pas contaminés… Une minorité, mais une minorité de trop.