Dans sa loi de finances 2019, le Cameroun ne trouve rien de mieux que de prévoir une forte augmentation de la fiscalité pour répondre à ses besoins. Certes on sait que seul le secteur privé crée de la richesse et que lui seul alimente toute les dépenses de l’Etat, mais est-ce possible de taxer toujours plus ?
Dans son article, Louis-Marie KAKDEU, décortique cette mesure fiscale et démontre que non seulement elle sera contre-productive mais elle conduira même le pays à la décroissance. Pour l’auteur, il faudrait plutôt créer des mesures incitatives pour que le secteur informel entre dans le formel de manière à élargir l’assiette fiscale plutôt que d’écraser toujours les mêmes.
La loi des finances 2019 prévoit l’augmentation des charges fiscales de près de 187 milliards de FCFA. Il s’agit de l’élargissement du champ d’application du droit d’assise aux boissons gazeuses importées, aux produits cosmétiques, aux articles de la friperie, aux pneumatiques et aux véhicules d’occasion, et de l’institution d’une nouvelle modalité alternative de collecte des droits et taxes de douanes sur les téléphones et les logiciels importés. Cela arrive dans un contexte où en novembre 2018, l’Institut National de la Statistique (INS) annonçait déjà une hausse des prix de 10% sur le marché national : 0,8% à Yaoundé, 9% à Douala, 12% dans le Nord-ouest et le Sud-ouest, etc. Par exemple, entre mai 2017 et mai 2018, le prix des céréales avait augmenté de 23%. Certains soutiennent que cela est hautement souhaitable pour booster la croissance. Qu’en est-il effectivement ?
Un raisonnement économique douteux
Les défenseurs de la hausse des prix soutiennent que cela est profitable aux entreprises car, elles pourraient gagner davantage, en répercutant dans le prix facturé au consommateur final, pour faire des investissements productifs. Or, la réalité est tout autre, l’augmentation des prix n’est pas forcément synonyme de l’augmentation des marges pour les entreprises et du pouvoir d’achat pour les consommateurs. Dans le cas présent, l’augmentation des prix est la conséquence de la pression fiscale et de la corruption ressenties dans plusieurs secteurs d’activité. Dans la loi des finances 2018, le gouvernement avait effectivement agi favorablement sur leurs marges des entreprises brassicoles par exemple en baissant les droits d’assise sur la matière première, ce qui leur avait permis d’augmenter leur part de la commande sur le marché local. Par exemple, Guinness Cameroun avait multiplié sa commande locale de sorgho passant de 4000 tonnes en 2017 à près de 17000 tonnes en 2018 ; cela avait contribué à booster la production au sein du Conseil Régional des Organisations Paysannes de la Partie Septentrionale du Cameroun (CROPSEC) et avait permis la redistribution des marges dans la chaîne. Mieux, le marché présent et futur des producteurs était garanti.
Par contre, par l’accentuation de la pression fiscale en 2019, le gouvernement compromettra cette dynamique de développement enclenchée : il handicapera l’économie nationale pour ensuite chercher à emprunter au FMI. Le gouvernement s’attend déjà lui-même à un déficit budgétaire de 482,6 milliards de FCFA, ce qui pourrait s’accentuer avec le ralentissement économique et la non-atteinte du taux de croissance de 4% projeté. Au lieu de travailler pour réduire le déficit, il cherche à le creuser. Il aurait dû poursuivre sa logique d’allègement des charges des entreprises pour permettre aux opérateurs économiques d’effectuer des investissements productifs dans leurs appareils de production en vue de créer localement la richesse nécessaire à la lutte contre les déficits.
Une politique fiscale contre-productive
Depuis les émeutes de la faim en 2008, le gouvernement camerounais semble concentré sur la consommation (politique de la demande). En 2019, le gouvernement n’agira toujours pas sur les facteurs de production (politique de l’offre). Dans les faits, un kilogramme de riz devenu produit de grande consommation au Cameroun coûte 165 FCFA à l’importation en Thaïlande contre environ 630 FCFA à la culture sur place au Cameroun (cas du bassin de Santchou). Comment est-ce possible? Parce que l’offre est peu compétitive quantitativement et qualitativement en raison du coût élevé des facteurs de production. Sur la liste des produits déjà chèrement taxés, s’ajouteront en 2019 les téléphones portables et les logiciels pourtant outils de production et même d’assurance agricole. Aussi, s’ajouteront les véhicules et la pneumatique, ce qui pousse à se demander comment le gouvernement entend résoudre les problèmes de transport dans les pertes post-récoltes qui représentent 40% de la production à travers l’Afrique. Dans ces conditions, l’alourdissement de la charge fiscale se traduira sûrement par le renchérissement du coût de vie en 2019 sans que cela ne puisse être un facteur de croissance dans la mesure où moins de richesses seront créées au niveau local. Le pays continuera à emprunter pour consommer là où il faut emprunter pour investir et créer de la richesse.
Confusion des cibles
L’essentiel des sources situent le poids de l’informel au Cameroun autour de 90% de la population active. Par exemple à Douala, poumon économique du pays, le secteur formel n’employait que 3,7% de la population dans le privé et 5,8% dans le public en 2013. Ce chiffre reste constant. Pourquoi ? Parce qu’il y a plus d’avantages pour les opérateurs économiques à rester dans l’informel qu’à entrer dans le formel, en raison des problèmes de charges fiscales et sociales, du système judiciaire, de bureaucratie, d’accès aux financements, de gouvernance, etc. En 2019, le gouvernement camerounais continue de pénaliser ceux qui choisissent d’évoluer dans le formel et donc, d’être contribuables. En accentuant la pression fiscale sur ces derniers, il les incite à plus de fraudes pour arriver à faire face à la concurrence déloyale de l’informel. En 2011, la fraude représentait 6% du PIB. Selon l’INS de la même année, plus de 2,5 millions d’unités de production informelles (UPI) exerçaient sur le territoire camerounais, dont 34,1% dans l’industrie, 33,6% dans le commerce et 32,2% dans les services. Pour y faire face, 49% d’entreprises formelles avouaient déjà en 2009 avoir eu recours aux pots-de-vin dans leurs rapports avec les agents des impôts selon le Doing Business, une situation préoccupante qui coûte chère à l’économie nationale. Pourtant de façon directe le gouvernement aurait pu augmenter ses recettes en augmentant l’assiette fiscale (approche horizontale) qui ne représentait que 93969 entreprises et établissements recensés en 2013. Il piocherait mieux dans l’informel au lieu de continuer à surcharger le peu d’entreprises formelles qui existent (approche verticale). Il devrait avoir plus d’avantages à être formel qu’à rester informel.
En somme, 2019 sera plus chère que 2018 et pire, sans croissance. Accentuer la pression fiscale sur les entreprises au prétexte de fournir plus de ressources à l’Etat vient du mythe selon lequel l’Etat est créateur de richesse laquelle passe par la stimulation de la demande. Il est temps que les décideurs camerounais comprennent que ce sont les entreprises qui créent véritablement de la richesse et des emplois, et pour y arriver il convient de mettre l’offre au cœur de la politique économique.
Par Louis-Marie KAKDEU, PhD & MPA