Cameroun : meurtres et disparitions imputables à l’armée dans la région du Nord-Ouest


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Armée camerounaise
Armée camerounaise

(Nairobi, 11 août 2022) – Des soldats camerounais ont sommairement tué au moins 10 personnes et commis plusieurs autres abus entre le 24 avril et le 12 juin lors d’opérations anti-insurrectionnelles dans la région du Nord-Ouest du Cameroun, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Des soldats ont également brûlé 12 maisons, détruit et pillé des centres de santé, détenu arbitrairement au moins 26 personnes et en auraient fait disparaître de force quelques 17 autres.

Enquêter sur les abus des forces de sécurité et poursuivre leurs auteurs en justice

«Au lieu de protéger la population des menaces posées par les groupes armés, les forces de sécurité camerounaises ont commis de graves violations à l’encontre des civils, obligeant beaucoup d’entre eux à fuir leur domicile», a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. «Les autorités camerounaises devraient mener des enquêtes crédibles et impartiales sur ces graves abus et demander des comptes à leurs auteurs».

Entre le 3 juin et le 21 juillet, Human Rights Watch s’est entretenu par téléphone avec 35 personnes ayant connaissance de quatre incidents au cours desquels les forces de sécurité auraient commis de graves exactions. Parmi les personnes interrogées figuraient 16 témoins, 8 membres de familles de victimes, un leader communautaire, 3 journalistes, 5 membres d’organisations de la société civile et 2 avocats spécialisés dans les droits humains. Les incidents se sont produits dans et autour des villes et villages de Belo, Chomba, Missong et Ndop. Human Rights Watch a également examiné 53 photographies et 16 vidéos, partagées directement avec ses chercheurs, montrant des preuves des violations commises par ces soldats.

Ces violations ont été commises au cours d’opérations militaires contre des groupes séparatistes armés qui réclament l’indépendance des deux régions anglophones, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Human Rights Watch a également documenté de graves abus commis par les combattants séparatistes pendant la même période, notamment des meurtres et enlèvements de civils, ainsi que des attaques contre des élèves, des enseignants et des écoles.

Des témoins ont déclaré que le 24 avril, à l’extérieur de Ndop, des soldats du Bataillon d’intervention rapide (BIR) avaient arrêté, détenu et sévèrement battu entre 30 et 40 motocyclistes faisant partie d’un convoi funéraire, apparemment parce que ces soldats les soupçonnaient d’être des combattants séparatistes. Parmi les personnes détenues, au moins 17 auraient disparu de force, car si l’on ignore où elles se trouvent, elles ont été vues pour la dernière fois en détention militaire.

«Les soldats ont sélectionné ceux d’entre nous qui avaient des dreadlocks», a déclaré à Human Rights Watch un motocycliste qui a été libéré plus tard. «Pour eux, cela signifie que vous êtes un amba boy [combattant séparatiste]. Ils nous ont forcés à nous déshabiller et nous ont battus sauvagement avec un marteau en fer et avec leurs ceintures».

Le 1er juin, des soldats du 53ème Bataillon d’infanterie motorisée (BIM) ont tué neuf personnes, dont quatre femmes et une fillette de 18 mois, dans le village de Missong, lors d’une opération de représailles contre une communauté soupçonnée d’abriter des combattants séparatistes.

Le 8 juin, des soldats ont mené une opération militaire à Chomba, au cours de laquelle ils ont commis des abus, brûlant une maison et pillant le centre de santé local. Ils ont également arrêté une femme ainsi que son enfant adoptif de 11 ans et les ont détenus pendant 24 jours à la caserne du BIR à Bafut, dans la région du Nord-Ouest. Human Rights Watch a documenté d’autres cas de civils détenus dans des bases militaires en violation de la loi camerounaise.

Du 9 au 11 juin à Belo, les forces de sécurité ont sommairement tué un homme, en ont blessé un autre, ont brûlé au moins 12 maisons, détruit un centre de santé communautaire et pillé au moins 10 magasins.

Human Rights Watch, Amnesty International et d’autres organisations ont également documenté un modèle bien établi de recours à la détention illégale et au secret, et à la torture en détention au Cameroun.

Le 28 juillet, Human Rights Watch a envoyé un courriel au porte-parole de l’armée camerounaise, le colonel Cyrille Serge Atonfack Guemo, détaillant les abus présumés commis par l’armée, et demandant des réponses à des questions spécifiques. Atonfack n’a pas répondu.

Depuis 2016, les régions anglophones du Cameroun sont en proie à une crise politique et sécuritaire opposant des groupes armés séparatistes qui réclament l’indépendance de leur État autoproclamé d’Ambazonie, comprenant les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, aux forces de sécurité camerounaises. La violence a causé la mort d’environ 6 000 personnes et provoqué une crise humanitaire majeure, avec près de 600 000 personnes déplacées à l’intérieur des régions anglophones et voisines, et plus de 77 000 personnes contraintes de se réfugier au Nigeria.

Les forces de sécurité camerounaises et les groupes séparatistes armés ont, chacun de leur côté, commis de graves atteintes aux droits humains, mais n’ont été que peu, voire pas du tout inquiétées. L’impunité reste l’un des principaux moteurs de la crise, en confortant les auteurs d’abus tout en alimentant de nouvelles vagues d’attaques et de violences.

Le 19 juillet, alors qu’il s’exprimait à Bamenda, la capitale de la région du Nord-Ouest, à l’occasion de la nomination de nouveaux généraux chargés de commander les troupes qui combattent les séparatistes, Joseph Beti Assomo, ministre camerounais de la Défense, a déclaré que l’armée devait prendre toutes les précautions nécessaires pour prévenir les violations des droits humains pendant ses opérations et faire en sorte que les responsables d’abus rendent des comptes.

Dans un communiqué de presse du 7 juin, Atonfack, le porte-parole de l’armée, a reconnu la responsabilité de l’armée dans les meurtres commis dans le village de Missong et a annoncé qu’une enquête avait été ouverte. Promettre d’enquêter sur de telles violations est un pas positif, mais le gouvernement camerounais n’est pas parvenu à tenir ses engagements passés, a déclaré Human Rights Watch.

Plus de deux ans après le massacre par des soldats camerounais de 21 civils, dont 13 enfants, à Ngarbuh, dans la région du Nord-Ouest, et la reconnaissance par le gouvernement de la responsabilité de l’armée, le procès des personnes accusées d’avoir participé au massacre s’éternise. Cette lenteur suscite des inquiétudes quant à l’efficacité du système judiciaire, sa capacité à rendre justice aux victimes et quant à la lutte contre l’impunité.

Les médias et la communauté internationale n’ont accordé qu’une attention limitée à la crise dans les régions anglophones, considérée comme l’une des plus négligées au monde. Dans son compte-rendu du 8 juin au Conseil de sécurité des Nations Unies sur la situation en Afrique centrale, la Sous-Secrétaire générale pour l’Afrique, Martha Pobee, a exhorté «la communauté internationale à renforcer son soutien aux efforts nationaux en vue d’une résolution pacifique» de la crise anglophone. Les 25 et 26 juillet, le président français Emmanuel Macron s’est rendu au Cameroun et a rencontré son homologue Paul Biya. Macron n’a pas abordé publiquement les questions cruciales relatives aux droits humains, notamment les violations des droits humains commises tant par les forces de sécurité que par les groupes séparatistes dans les régions anglophones.

«Les partenaires internationaux du Cameroun, notamment l’Union africaine et les Nations unies, doivent insister sur le fait qu’il ne peut y avoir de paix sans justice dans les régions anglophones», a déclaré Ilaria Allegrozzi. «Les partenaires bilatéraux du Cameroun doivent envoyer un message fort et clair au gouvernement camerounais : se livrer à des atrocités en toute impunité a des conséquences».

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