Madame Maximilienne Ngo MBE, Directrice Exécutive du Réseau des Défenseurs des Droits Humains en Afrique Centrale (REDHAC), a tenu à son siège le 31 juillet 2019, un Point de presse portant sur les Violations des Droits Humains, Actes de Torture, Traitements Inhumains et Dégradants : Mutineries dans les Prisons Centrale de Kodengui à Yaoundé et de Buéa dans le Sud-Ouest. Dans le souci constant de donner la bonne information à ses fidèles lecteurs, Afrik.com ne pouvait qu’être de la partie.
Afrik.com : Madame Maximilienne Ngo MBE, en date du 31 juillet 2019, votre siège s’est avéré trop étroit pour accueillir les journalistes. Que peut-on retenir de cette rencontre ?
Maximilienne Ngo MBE : le Cameroun traverse actuellement une situation de tumulte grave dont l’un des effets induits est inéluctablement la violation flagrante des droits humains. Les mutineries enregistrées la semaine dernière tour à tour dans les prisons centrales de Yaoundé-Kondengui et de Buéa ne sont en vérité que la face visible de l’iceberg. Et pour cause, le risque de récidive et même d’aggravation des tensions en milieu carcéral est en effet plus élevé qu’on ne le pense, il n’est d’ailleurs pas exagéré de parler de ces centres de détention où se pratiquent plus que par le passé les actes de tortures, les traitements inhumains et dégradants comme de véritables volcans en ébullition. Il est donc plus qu’urgent de trouver et d’implémenter sans délais des solutions idoines dans la plupart pour ne pas dire dans toutes les prisons Camerounaises avant qu’on ne débouche si on n’y prend garde à des situations aux conséquences plus extrêmes. D’ailleurs le silence prolongé des autorités plus d’une semaine après ces manifestations dans ces deux prisons alors que ces mêmes autorités sont souvent plus promptes à communiquer pour des faits beaucoup moins préoccupants montre à suffisance qu’il y a des non-dits dans ces affaires, disons même que ce mutisme peut à juste titre être considéré comme une sorte d’aveu d’incompétence. Au demeurant, il faut le noter, ce qui a été vécu était fort prévisible si l’on s’en tient simplement au premier et véritable élément déclencheur connu de tous à savoir la sempiternelle problématique de la surpopulation carcérale. Pour ne prendre que le cas de la prison centrale de Yaoundé-Kondengui construite faut-il le rappeler en 1968 pour une capacité d’accueil initiale de 800 pensionnaires, elle caracole aujourd’hui à un peu plus de 4.800 locataires pour un effectif global d’environ 347 gardiens de prisons explosant ainsi le ratio selon les normes internationales qui est de 3 à 5 prisonniers pour 1 gardien de prison. Dès lors, il est loisible de comprendre que les agents de l’administration pénitentiaire très souvent en situation de débordement emploient des méthodes abusives (traitements inhumains) pour essayer d’y maintenir l’ordre.
Afrik.com : Quelle lecture faites-vous de la question concernant la surpopulation carcérale au Cameroun ?
Maximilienne Ngo MBE : Parlant concrètement de cette question de la surpopulation carcérale, il convient de le mentionner pour le déplorer, selon les chiffres en notre possession, environ 3/4 des effectifs de ces personnes emprisonnées actuellement au Cameroun c’est-à-dire la grande majorité est constituée de prévenus (entendez ceux et celles encore en attente de leurs jugements définitifs), contre 1/4 seulement de détenus (ayant déjà connu des condamnations). Parmi ces détenus figurent plusieurs personnes maintenues en prison au motif du non paiement de la contrainte par cor, sous-entendu des personnes ayant déjà purgé leurs peines privatives de liberté mais ne s’étant juste pas encore acquitté des amendes pécuniaires assorties à leurs condamnations. Sachez par exemple que dans notre contexte, une amende d’un montant de 50 milles francs CFA non payée correspond à 6 mois d’emprisonnement, 1 an pour 100 milles francs d’amendes. Or il suffirait par exemple de faire appliquer les dispositions prévues en matière de peines alternatives pour amorcer la décongestion. Une autre raison qui explique cette surpopulation carcérale a pour nom les lenteurs des procédures dues quelques fois à l’insuffisance du personnel judiciaire et des moyens. Mais de manière irrévocable, la véritable cause de ce phénomène est sans conteste la corruption ambiante qui entoure le traitement des dossiers de l’arrestation à la mise sous mandat de dépôt jusqu’au jugement. À cela, il faut ajouter la politisation qui entoure la mise en place depuis 2006 de l’opération dite épervier dont il est difficile d’avoir de manière claire une visibilité et une lisibilité sur les cas et les procédures, idem pour les dossiers contenus dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la crise dite anglophone ou encore celle postélectorale, toutes entachées de velléités de surenchères avec accentuation de leur complexité par l’entrée en scène fort critiquable du tribunal militaire pour juger des civils dans l’irrespect total des conventions internationales signées.
Il convient également de s’étonner des manœuvres de deux poids deux mesures qui entourent le traitement des cas des personnes poursuivies dans le cadre de la crise post-électorale. Tout en prenant acte des 39 membres et cadres du Mrc récemment libérés, il y a tout de même lieu de s’interroger du sort réservé aux autres personnes ayant pourtant fait l’objet d’interpellations puis d’arrestations dans les mêmes circonstances et parfois dans les mêmes lieux. Rien ne justifie en effet la libération de certains et pas d’autres mais pire encore que ceux de cette deuxième catégorie, environ 105 hommes et femmes soient purement et simplement renvoyés devant le tribunal militaire. Toutes choses qui tendent à conforter l’idée selon laquelle on a ainsi quitté le terrain purement judiciaire pour nous déporter allègrement dans la politisation de cette procédure. Nous exigeons pour cela que des clarifications soient apportées par les autorités en charge de ce dossier, et davantage sur certains cas qui nous paraissent particulièrement étranges à l’instar de celui du sieur Christian Marcel Moumeni qui sans qu’on ne sache trop pourquoi est victime et cette manière grossière d’actes judiciaires discriminatoires. En effet, après avoir subi une série de
violations lors de son arrestation musclée fin janvier 2019, le sus-nommé appartenant pourtant à la vague des 39 dont nous avons fait mention plus haut, et notifié le 12 Juillet dernier d’une ordonnance rendue la veille par le Tribunal Militaire de Yaoundé clôturant l’information judiciaire ouverte à son encontre a curieusement été maintenu dans les geôles sans justification aucune et est de même des 8 jeunes étudiants ( Raymond Jules Anama (ancien de l’ADDEC), NDIM Juliette (étudiante), Dr. Ouemba Kuete Christian, Zebaze Takoubo, KAMENI Wtchadji Christian, Mbakop Yannick (ADDEC), Jean Stanislas TOKAM (ADDEC) et TALLA Gilles Samuel (ADDEC) qui parce que ayant fait un selfy demandant la démission du président sont aujourd’hui renvoyés devant le tribunal militaire pour : « hostilité et atteintes contre la sureté de l’Etat ». Les cas de disparition et/ ou exécution sommaire ou extra judiciaire (MOWHA Franklin), des menaces et représailles à l’encontre des Défenseurs des Droits Humains et des femmes Défenseurs.
Par ailleurs, nous continuons à nous indigner du fait que plusieurs personnes arrêtées dans le cadre de la crise anglophone avec pour lieu de résidence les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest aient plutôt été déportées dans les prisons de Yaoundé très loin des proches membres de leurs familles. Le plus à plaindre étant que depuis deux ans, certains d’entre eux n’ont toujours pas été présentés à un juge d’instruction alors qu’on fait peser sur eux de lourds soupçons d’actes de terrorisme, ceci en violation flagrantes de l’article 5 sur le Droit à être juger sans retard excessif des directives et principes sur le droit à un Procès Equitable et l’assistance Judiciaire en Afrique de la CADHP et l’article 9 paragraphe 3 du PIRDCP.
Une méprise manifeste qui démontre elle aussi le caractère politisé et politique de cette crise, et qui peut donc aisément expliquer sa complexité et l’incapacité finalement à trouver des pistes de sortie de crise.
Afrik.com : Votre point de vue sur les récentes mutineries…
Maximilienne Ngo MBE : Le bilan des dernières mutineries laisse songeur et interrogateur. A la prison centrale de Buea, on parle de sources officielles de 43 prévenus/détenus blessés, (nos sources quant à elles évoquent plus d’une cinquantaine), 2 blessés parmi les éléments de forces de l’ordre, l’incendie de certains locaux, le saccage du magasin des vivres. Des conséquences plus accrues à la prison centrale de Yaoundé-Kondengui comme certains d’entre vous l’ont d’ailleurs relayé: les bureaux de l’intendant et du chef de bureau de la discipline des détenus brûlés, certaines cellules dans les quartiers spéciaux des prisonniers dits de luxe vandalisés, quelques-uns d’entre eux blessés et des coups de feu tirés durant une bonne partie de la nuit de la mutinerie. À la suite, l’on a noté et nous sommes entrain de documenter ces cas, des déportations massives sous forme de tortures physiques et autres traitements inhumains et dégradants infligés à ceux que le gouvernement, les autorités judiciaires et de l’administration pénitentiaire ont qualifié dans une véritable cacophonie de « meneurs » sans que des résultats d’enquêtes probants ne l’aient démontré. Parmi ces cas qui nous préoccupent on dénombre ceux des nommés Mamadou Yacouba Mota, Mancho Bibixy et les sieurs Conrad, Terence, Anama Jules pour ne citer que ceux-là (vous trouverez en annexe une liste plus étoffée de ces détenus arbitrairement et nuitamment enlevés de leurs couchettes à la prison centrale de Yaoundé-Kondengui pour des destinations inconnues et violation de l’article 6 des Directives et Principes sur le Droit à un Procès Equitable et l’Assistance Judiciaire en Afrique de la CADHP). Le REDHAC vous informe qu’ils sont en vie. Des images de certains d’entre eux ayant fait le tour des réseaux sociaux et des éléments en notre possession démontrent à suffisance qu’ils ont subies des actes de tortures physiques, psychologiques et autres traitements inhumains et dégradants en violation des articles 7 du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques (PIRDCP) des Nations Unies et des Directives et Principes sur le Droit à un Procès Equitable et l’Assistance Judiciaire en Afrique de la CADHP). C’est inacceptable dans un État dit de droit et le REDHAC tient sans ambages pour responsables les autorités Camerounaises s’il arrivait quoique ce soit à ces prisonniers.
Afrik.com : Qu’attend le REDHAC du gouvernement d’une part et des journalistes d’autre part?
Maximilienne Ngo MBE : Le REDHAC urge et ce sans délais le gouvernement à éclairer avec preuves à l’appui l’opinion nationale et internationale de ces cas sur lesquels pèsent des soupçons de suspicion. Pour que nul n’en ignore, le REDHAC qui se tient solidaire tant sur la forme que sur le fond du rapport de Amnesty international, demande toutes affaires cessantes, les démissions sans autre forme de procès du Ministre de la Justice, du Secrétaire d’État en charge de l’Administration Pénitentiaire et du Directeur de l’Administration Pénitentiaire, puis l’ouverture d’une enquête judiciaire élargie aux membres du parlement , de la commission des droits de l’homme et des libertés et des organisations de la société civile à l’encontre des agents des forces de l’ordre et des donneurs d’ordre à la solde de la déportation et de la torture des prisonniers afin non seulement d’établir les responsabilités mais surtout que les coupables répondent de leurs actes. De même, le REDHAC interpelle la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) et le Comité des Nations Unies pour les Droits Civils et Politiques (CNUDCP) de condamner les actes suscités et d’exiger du gouvernement d’accepter une mission internationale indépendante d’enquêtes sur les graves violations des Droits Humains et exactions qui se sont multipliées sur le sol Camerounais depuis la lutte contre la secte terroriste Boko Haram et qui se sont aggravés depuis 2017 dans la Crise sociopolitique du Nord-Ouest et Sud-Ouest et la Crise poste électorale de 2018, sachant que le Cameroun est signataire de la Charte et membre des Nations Unies.
Mesdames et messieurs les journalistes, très chers lanceurs d’alertes, nous saisissons cette occasion d’échanges avec vous qui êtes dans votre rôle régalien aussi des gendarmes de la société et partant du respect des droits humains et chiens de garde de toute formes d’injustices sociales pour condamner avec la dernière énergie l’utilisation disproportionnée de la force alors que les problèmes légitimes posés depuis fort longtemps par les prévenus/détenus devaient plutôt faire l’objet d’attention particulière suivies de solutions structurelles et fonctionnelles. Parmi ces problèmes, on peut citer les délais assez long accordés à ces prévenus pour être présenté à un juge d’instruction; la violation du droit à la santé avec des centres de santé comparables à de véritables mouroirs alors qu’il suffirait d’aménager ces dispositifs et les doter du matériel et du personnel adéquat; la violation du droit à une alimentation saine sachant que la pension pénale non satisfaisante en qualité et en quantité (véritable bourratif très souvent constitué de riz et de haricots cuisiné dans des conditions infâmes) laisse à désirer; la violation du droit à la vie privée et à l’intimité dont les espaces de visite sont grossièrement ouverts; le droit à l’éducation et à l’insertion sociale au rabais dans une inconcevable roublardise; et pire, des conditions de couchettes digne des camps d’ignominie humaine démontrant à suffisance le peu de considération accordée à la personne humaine dans ces lieux pourtant dédiés à la réinsertion sociale. Voilà en vérité de manière non exhaustive les raisons qu’on peut considérer comme les causes à la solde de l’instinct de survie des personnes privées de liberté qui vivent au quotidien dans un inimaginable inconfort expliquant les tensions permanentes en milieu carcéral au Cameroun et qui conduisent à ces mutineries fréquentes.
Afrik.com : Une idée sur le mandat des défenseur(e)s des droits humains et les organisations de la société civile en Afrique Centrale…
Maximilienne Ngo MBE : Les défenseur(e)s des droits humains et les organisations de la société civile en Afrique Centrale ont un mandat de promotion et de défense des droits humains. Ils veillent scrupuleusement à ce que les Etats membres des Nations Unies, les Etats parties signataires de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) assurent la promotion et la protection des droits sans discrimination aucune conformément aux traités et conventions signés et ratifiés librement.