Lors de l’audience inaugurale du Tribunal Criminel Spécial (TCS), le ministre d’Etat, ministre de la Justice, Laurent Esso a déclaré que le TCS n’est pas une juridiction d’exception. Cette affirmation est comment dire… un déni de juriste, une contradiction épistémologique que résoudrait le travail de définition le plus sommaire. Car le Tribunal Criminel Spécial dit dès sa dénomination qu’il se situe bien « hors de la règle commune ».
Il est spécial en ceci qu’il octroie un privilège de fait et de droit à ceux qui ont attenté à la fortune publique. En ce cas, qui dit spécial, dit donc exceptionnel, et il est possible d’affirmer cela sans tomber dans le piège qui consiste à rendre synonymiques particulier, spécial, et exceptionnel.
Juridico sensu, les détournements de deniers publics ne répondent pas à la même définition que le vol, même aggravé. Si en conséquence l’on prend tout ensemble la personnalité des infracteurs, la nature des crimes qui seront connus, l’exceptionnelle possibilité de transiger et le pouvoir prétorien qui est reconnu au ministre de la Justice de « dompter les superbes et de soumettre les humbles » (l’allusion est de moi)…
…Si donc l’on prend en compte ces innovations que n’admettait pas jusque-là notre droit pénal, l’on est bien, monsieur le ministre de la Justice, garde d’Esso, révérence parler garde des sots (il ne s’agit pas d’une orthographe d’exception mais d’un calembour), l’on est bien en présence d’une juridiction d’exception.
Avec cette nouvelle institution (elle est nouvelle même si elle a existé sous d’autres formes et en d’autres temps), les détournements de deniers publics cessent d’être une infraction de droit commun (« ensemble de règles juridiques applicables à toutes les situations qui ne sont pas soumises à des règles spéciales ou particulières »), étant entendu que même ceux qui auront distrait moins de 50 millions ne seront plus jugés sous l’empire du code de procédure pénale, mais des nouvelles dispositions dérogatoires de la Loi N°2011/028 du 14 décembre 2011 .
Insister sur cette évidence ne revient pas encore à se prononcer sur la pertinence de cette innovation du législateur camerounais.
La restitution n’est pas une option
Le parti pris de la spécialisation est aussi celui de la célérité, il faudrait qu’il soit encore celui de la vertu, afin que jamais la balance ne soit faussée ou taxée de telle. La justice en effet « ne doit pas seulement être juste, elle doit apparaître » telle.
La lutte contre la corruption ne peut pas être, comme le suggère Atangana Mebara (Cf. Lettres d’ailleurs), l’instrument d’une rancune ; si elle dessert certaines ambitions, elle ne doit pas dans le même mouvement en faciliter d’autres, concurrentes. Aussi, en félicitant les « heureux promus », en leur rappelant leur indépendance, le ministre a-t-il voulu dire aux magistrats qu’ils n’avaient pas à se sentir débiteurs de cette promotion ni prisonniers d’une allégeance.
La justice du Tribunal Criminel Spécial ne devrait pas se limiter au rétablissement du statu quo ante, c’est-à-dire la restitution du corpus delicti ou la réparation du préjudice subi par la société. Même s’il faut commencer par là, on ne saurait s’en tenir à ça.
Les criminels doivent être punis. A quoi nous servirait-il d’être arrosés de milliards si les mentalités sont les mêmes, si les réflexes kleptocrates ne changent pas ? la justice doit réprimer et seul le chef de l’Etat peut gracier ou amnistier s’il l’estime nécessaire. Cela peut évidemment devenir nécessaire.
En attendant, il ne faut pas avoir peur de la locution nominale « juridiction d’exception », qui est peut-être connotativement chargée pour les esprits tortus mais n’en traduit pas moins une certaine concordance aux faits. Il existe des juridictions d’exception partout, en France comme aux Etats-Unis, modèles incontestables.