Le Président sortant Paul Biya a été réélu à la tête de l’Etat camerounais avec près de 75 % des votes, a annoncé jeudi le ministre de l’Administration territoriale. Ses deux principaux concurrents dénoncent une fraude massive et ont déposé un recours en annulation devant la Cour suprême. En attendant la décision, observateurs nationaux et internationaux s’opposent leurs conclusions.
Comme les premiers résultats le laissaient pressentir, Paul Biya a été reconnu vainqueur des présidentielles camerounaises, jeudi, avec 75,29 % des suffrages, selon les chiffres quasi définitifs du ministère de l’Administration territoriale. Ses deux principaux challengers, John Fru Ndi, du Social democratic front (SDF), et Ndam Njoya, de l’Union démocratique camerounaise (UDC), crédités respectivement de 17,13 et 4,71 %, contestent la régularité du scrutin. Ils ont déposé des recours en annulation devant la Cour suprême, jeudi, pour dénoncer des fraudes massives.
Pour leur part, les observateurs internationaux n’ont pas hésité à avaliser le scrutin, préférant mettre l’accent sur les progrès accomplis plutôt que sur les tares, voire les fraudes à grande échelle, encore existantes. Comme ils l’avaient fait lors des présidentielles nigérianes et algériennes.
« Rassurer l’opinion internationale »
« Nous estimons que ces élections se sont déroulées dans de bonnes conditions (…) », a expliqué le chef de la mission de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Norbert Ratsirahonana. « Nous avons pu constater (…) le bon déroulement des opérations électorales de la part des bureaux de vote et des électeurs, qui ont pu assurer leur devoir dans la sérénité et le calme », a argumenté l’ex-Premier ministre malgache, tout en défendant son organisme de toute partialité. L’OIF a envoyé 14 observateurs pour couvrir plus de 23 000 bureaux de vote. Quant aux anciens du Congrès américain (16 observateurs), qui ont dès lundi déclaré que « l’élection a été transparente et démocratique », ils ont été accusés par les quotidiens Mutations et Cameroon Info d’avoir été achetés pour « rassurer l’opinion internationale ».
Côté camerounais, le chef de l’Observatoire national des élections au Cameroun (Onel) affirme que « les élections de lundi ont été libres, honnêtes et transparentes (…) Tout s’est passé dans la sérénité, on ne m’a signalé aucun cas de fraude ou de votes multiples », a expliqué François Xavier Mbouyoum à l’AFP. « L’Observatoire est un organisme du gouvernement. Il propose du travail à des gens, il est normal qu’ils acceptent et fassent ce qu’on leur dit », s’emporte la présidente de la Maison des droits de l’homme, Madeleine Afité, écœurée. Alors que l’Onel, l’OIF ou le Congrès américain mettent l’accent sur la journée de vote, le calme ou les urnes transparentes, l’ organisation camerounaise, affiliée à la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH), pointe du doigt tout le déroulement des élections.
Des cartes de vote non distribuées
« Le processus électoral est contrôlé du début à la fin par le gouvernement. Les membres des instances électorales sont nommés par lui. D’autre part, les fonctionnaires n’inscrivaient pas n’importe qui sur les listes. Seuls ceux dont on était sûr qu’ils voteraient pour le RDPC (Rassemblement démocratique et populaire camerounais, parti du Président Biya) l’ont été. Des citoyens se sont retrouvés avec quatre cartes et ont pu voter plusieurs fois dans différents bureaux de vote. Nous en avons vu qui récupérait leur argent après avoir donné les bulletins des opposants de Biya à leur corrupteur. Les cartes qui n’ont pas été distribuées se trouvent toujours dans les préfectures, personnes ne les a distribuées. Je ne suis même pas sûr qu’il y ait eu quatre millions de votants, comme l’affirment les autorités », développe la présidente de la maison des droits de l’homme.
Le calme, vanté par les observateurs internationaux, est confirmé par Madeleine Afité. « Nous avons sillonné Yaoundé toute la journée du vote et les rues étaient vides. Les gens étaient tous chez eux puisque la ville avait été quadrillée par les forces anti-émeutes… qui anticipaient sans doute la colère des citoyens qui n’ont pas pu voter. Mais les jeunes gens que nous avons rencontré nous ont avoué qu’ils étaient désabusés, qu’ils estimaient depuis longtemps que les jeux étaient faits. » Nombres d’Organisations non gouvernementales camerounaises dénoncent depuis lundi les irrégularités qui ont émaillé les élections présidentielles, mais leur voie porte moins loin que celles de l’OIF.
Plus nuancée que la Maison des droits de l’homme, la Conférence épiscopale catholique du Cameroun, qui a déployé 1 200 observateurs, reconnaît le travail de l’Administration territoriale mais regrette que « ses textes n’aient pas été correctement mis en oeuvre sur le terrain ». Leur chef, Titi Nwel, qui confirme le « cafouillage au niveau de la distribution des cartes et du recensement », estime que « la démocratie n’est pas sortie grandie de cette élection car la loi n’a pas été respectée ». Mais il botte en direction de la Cour suprême quant à savoir si le scrutin doit être annulé.