Le poulet congelé en provenance d’Europe n’en finit pas de faire des misères au poulet camerounais. Son importation se poursuit, parce que, expliquent les autorités, les producteurs avicoles du pays ne parviennent pas à assurer la demande nationale. Un prétexte, selon l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs, qui s’indigne des manœuvres des autorités provoquant l’appauvrissent des éleveurs.
Au Cameroun, ce n’est pas la grippe aviaire qui plombe la vente du poulet, comme au Nigeria. C’est le poulet congelé européen. Encore lui, tempêteront certains éleveurs locaux. Des éleveurs qui se retrouvent coincés avec les volailles qu’ils n’ont pas pu vendre, parce que leurs compatriotes préfèrent la viande du Nord, bien moins chère. Une souffrance qui ne serait pas entendue, et même, selon certains, qui serait ignorée voire provoquée par les autorités camerounaises.
Importations suspendues, secteur avicole mieux loti
Pourtant, elles semblaient à l’origine motivées pour donner un coup de pouce à la production nationale. Le président de l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC) fait un petit historique : « L’importation de poulet congelé était officiellement de 22 154 tonnes en 2003, explique Bernard Njonga. En avril 2004, nous avons engagé une campagne contre ces importations. Puis les autorités ont autorisé l’importation de 5 000 tonnes de poulet congelé entre novembre 2004 et mars 2005 et de 2 650 tonnes de viande entre novembre 2005 et janvier 2006. »
Dégressif, donc plutôt encourageant. Le hic, c’est que s’ils veulent que les importations cessent, les éleveurs ont pour impératif de prouver qu’ils peuvent satisfaire la demande nationale. « Personne n’a évalué le potentiel de la production nationale, mais les autorités ont suspendu l’importation entre mars et novembre 2005. Les agriculteurs ont donc acheté des équipements et des poussins de un jour. La production nationale a alors augmenté de 57%. Et alors que nous étions satisfaits, le gouvernement a décidé de reprendre les importations », commente-il.
Importations officiellement renouvelées « pour les fêtes »
Le pouvoir invoque une mesure préventive pour les fêtes, estimant qu’il n’y aurait pas assez de poulets. « Nous avions suspendu l’importation, pas interdite. Nous avons évalué la production nationale, qui n’était pas suffisante, alors nous avons importé. Nous n’allions pas laisser la population comme ça, surtout pendant les fêtes. Il n’y pas de remous à avoir. Nous n’allions pas laisser un agitateur (Bernard Njonga, ndlr) qui raconte des histoires à tout le monde prendre les consommateurs en otage », fulmine un responsable du ministère de l’Elevage, qui nous avait explique plus tôt ce lundi lors aucours d’une réunion sur le virus H5N1 : « La grippe aviaire nous menace, alors le poulet congelé est le dernier de nos soucis ».
Le gouvernement a donc autorisé l’importation de 2 650 tonnes de morceaux de volailles congelées de novembre 2005 à janvier 2006. « Lors d’une réunion en décembre sous la houlette du ministère du Commerce, les agriculteurs ont dit qu’il y aurait assez de poulets pour les fêtes. Seul problème, comme il n’y a pas de solidarité entre les ministères, le ministère de l’Elevage est passé outre les engagements des agriculteurs », raconte Martin Nzegang, journaliste au journal la Voix du paysan.
« Nous avons pourtant évalué nous-même la situation et assuré qu’il n’y aurait pas pénurie pour les Fêtes, s’emporte Bernard Njonga. Non seulement il n’y a pas eu pénurie, mais l’offre était nettement supérieure à la demande. Il reste encore pleins de poulets dans les fermes. Du coup, le prix a beaucoup baissé, pas à cause de la grippe aviaire, mais à cause du poulet congelé. Avant, un poulet de deux kilos se vendait entre 2 300 et 2 500 FCFA et maintenant il se vend à 1 700 FCFA ».
Du poulet importé en douce ?
Bernard Njonga raconte que tout le secteur est miné. Les industriels qui élèvent des reproducteurs (des poules qui pondent des œufs fécondés) se retrouvent avec une foison de poussins sur les bras, que les éleveurs ne veulent ou ne peuvent pas leur acheter. Car eux-mêmes n’arrivent pas à écouler leurs poulets, qui ont parfois jusqu’à 70 jours. « Au moins cinq agriculteurs sont venus nous voir pour nous demander de faire un article expliquant qu’ils se retrouvent avec 5 000 poulets de 70 jours à vendre », souligne Martin Nzegang de la Voix du paysan. Le problème, c’est qu’au-delà de 45 jours l’éleveur ne peut plus espérer faire des bénéfices, mais seulement des pertes. « Cela l’empêche de renouveler son cheptel, il faut nourrir les poulets, les entretenir, payer le gardiennage pour que les voleurs ne viennent pas les ramasser… Ce sont des charges supplémentaires qui grève les marges bénéficiaires, approchant de zéro », poursuit Martin Nzegang. Dans ce contexte, difficile pour les producteurs d’envisager un remboursement des équipements dans lesquels ils ont investi.
Le président de l’ACDIC estime donc que l’attitude du gouvernement est « incompréhensible » et « irresponsable ». D’autant plus que tout ne serait pas nette dans ses décisions. « On savait qu’il y aurait des importations pour les fêtes depuis des mois. Des produits étaient stockés dans des containers du port de Douala depuis six mois lorsque le gouvernement a annoncé qu’il allait reprendre les importations. En fait, c’était une autorisation de circuler que devait recevoir la viande, puisqu’elle était déjà sur le territoire. Nous avons été mis au courant par des agriculteurs qui montent la garde », confie Martin Nzegang.
Photocopies d’autorisations pour importer plus
Des faits décriés dans La voix du paysan et par l’ACDIC. « Nous n’avons pas mâché nos mots. Nous avons dit que ce n’est pas le poulet importé qui est dangereux, mais le gouvernement ! Certains containers étaient périmés et des poulets périmés ont peut-être été sciemment vendus. Les autorisations soi-disant destinées à prévenir une pénurie avaient en fait pour objectif de couvrir la sortie de ces poulets, qui ne devaient même pas être sur le territoire ! », lance le président de l’ACDIC Bernard Njonga. Comment les autorités ont-elles réagi ? « Elles ont dit qu’elles avaient brûlé les poulets périmés, mais nous n’avons rien vu. Par ailleurs, elles n’ont pas été très malignes, parce qu’elles ont déclaré que l’autorisation d’importation a été émise le 25 novembre 2005, alors que les poulets étaient disponibles sur le marché dès le 15 décembre. Ce qui est techniquement impossible, avec les délais de commande, de transport en bateau… Lorsque nous lui avons dit cela, le ministère de l’Elevage est resté bouche bée », explique Bernard Njonga.
Car cela signifie que, comme l’ACDIC et La voix du paysan le disent, le poulet est bien arrivé plus tôt au Cameroun et que la suspension d’importation décrétée a donc été violée. Pour certains, l’explication est simple, le poulet congelé est un business qui profite aux importateurs et à ceux qui permettent l’entrée de la viande au Cameroun. Certains citent pour preuve que le chiffre officiel de rentrées de viande congelée ne reflète pas la réalité, et pourrait parfois être multiplié par quatre. « Si le ministère délivre une autorisation pour 5 000 tonnes, par exemple, en faisant cinq photocopies, on multiplie le chiffre par cinq. Ce sont des hommes qui vérifient, plus ou moins corruptibles… Il y a un réseau en action, qui se sert de ses relations à tous les échelons », estime un Camerounais proche de la filière avicole.
Des importateurs rachètent leurs containers aux enchères
Une complaisance qui favoriserait les fraudes. Depuis le 1er janvier 2005, l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 19,25% sur le poulet congelé est appliquée, de même que deux taxes. Mais des petits malins semblent avoir trouvé une esquive. « Certains importateurs disent qu’ils ne peuvent pas payer la taxe et disent qu’ils abandonnent leurs containers. Dans ce cas, les containers sont vendus aux enchères. Les importateurs viennent donc racheter leurs containers sans payer de TVA. Voilà le jeu que certains opérateurs ont mené et qui ont économisé une forte somme avec l’aide de douaniers corrompus, qui réservent leurs containers. C’est pour ça que nous nous battons pour l’interdiction de l’importation. On ne peut pas contrôler les rentrées, mais si l’importation est interdite, nous pouvons prendre sur nous de la faire respecter », commente Bernard Njonga.
En attendant, les éleveurs ne savent plus quoi faire de leurs volailles. Et parce que tous les stocks de poulet congelés n’ont pas été écoulés, leur détresse devrait durer un moment. « L’unique issue à l’heure actuelle est que nous ayons une chaîne d’abattage. Nous n’en avons aucune au Cameroun. Il nous faut de quoi transformer et conserver le poulet. Ce sont les seuls moyens de faire baisser son prix », suggère Bernard Njonga, qui attend au tournant les autorités. Il considère que si dans quelques mois on trouve encore du poulet congelé sur les étals des marchés, c’est que le gouvernement a de nouveau importé. Dans ce cas, il prévient qu’une marche sera organisée au « moindre kilo » repéré. Il ne badine pas, le 17 janvier dernier, une marche de protestation a déjà été organisée.
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