Le 30 octobre 2019, Maurice Kamto, le leader du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC ) annonçait en grandes pompes et avec un enthousiasme débordant, que le MRC prendrait part au double scrutin de février 2020. « La politique du boycott en matière électorale n’a jamais payé nulle part », disait-il, en soulignant que « nous allons aux élections pour nous donner une chance d’être en position de régler la crise du NoSo (Nord-Ouest et Sud-Ouest) ». Changement de pied, le 25 novembre 2019, quelques heures seulement avant le délai butoir de dépôt des listes des candidatures auprès d’ELECAM, le Pr Maurice Kamto a annoncé que le MRC ne participera pas aux élections législatives et municipales du 9 février 2020.
Maurice Kamto lors de la conférence de presse, a énuméré les motifs de sa décision. Entre autres, il a relevé la caducité du code électoral, des manœuvres des administrations qui empêchent les candidats de son parti de constituer leurs dossiers de candidature, les désinscriptions massives par ELECAM des électeurs dans les circonscriptions favorables au MRC.
AFRIK vous propose l’entière déclaration de Maurice Kamto sur les motifs du MRC de ne pas participer aux élections de 2020.
LES RAISONS JURIDIQUES ET PRATIQUES POUR LESQUELLES LE MRC APPELLE LES ELECTEURS CAMEROUNAIS A NE PAS ALLER VOTER LE 9 FEVRIER 2020 ET A RESTER CHEZ EUX
1- En l’état actuel du système électoral, la contestation des résultats du scrutin législatif du février 2020 est juridiquement impossible
En effet, la loi N°2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel en son Article 49 dispose : « Sous peine d’irrecevabilité, la requête doit contenir les nom, prénom(s), qualité et adresse du requérant ainsi que le nom de l’élu ou des élus dont l’élection est contestée. Elle doit en outre être motivée et comporter un exposé sommaire des moyens de fait et de droit qui la fondent. Le requérant doit annexer à la requête les pièces produites au soutien de ses moyens ».
Or, le contentieux de l’élection des députés à l’Assemblée Nationale a lieu avant la proclamation des résultats. Par conséquent, faute de pouvoir disposer du nom ou des noms des candidat(s) déclaré(s) élus avant la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel, aucun requérant ne verra sa requête en contestation être reçue par le conseil constitutionnel au terme de la prochaine élection des députés à l’Assemblée.
Par le passé, lorsque la proclamation des résultats des élections des députés à l’Assemblée Nationale était du ressort de la commission départementale de supervision des votes, cet article 49 faisait sens, car tout requérant, au moment de la saisine de la Chambre administrative de la Cour suprême, avait déjà connaissance du ou des noms des élus dont il entendait contester l’élection.
Aujourd’hui, c’est le même Conseil constitutionnel qui connait d’abord du contentieux postélectoral avant de proclamer ensuite les résultats. Aussi, l’obstacle du ou des noms de ou des élus que la loi dresse sur le chemin de tous ceux qui contestent la régularité du scrutin, sous peine d’irrecevabilité de leur requête, est simplement insurmontable. C’est la quadrature du cercle.
C’est sur la base de cette disposition de l’article 49 de la loi du 21 avril 2004 que la Cour suprême statuant comme Conseil constitutionnel avait déclaré l’irrecevabilité de tous les recours en contestation des résultats des élections législatives de 2013, en dépit des solides plaidoiries des avocats des parties politiques requérants. La loi n’ayant pas changée, on voit mal comment la Conseil constitutionnel pourrait renverser sa propre jurisprudence, ce d’autant plus que l’actuel Président du Conseil constitutionnel siégeait à la Cour suprême au moment du contentieux électoral de 2013, où il joua un rôle très actif : les mêmes causes produiront donc les mêmes effets.
2- ELECAM, l’organe électoral, pourtant totalement inféodé au RDPC, le parti au pouvoir, a lui-même recommandé au pouvoir des réformes du système électoral
Au lendemain du scrutin présidentiel du 7 octobre 2019 dans un document intitulé « RECOMMANDATIONS RAPPORT GENERAL SUR LE DEROULEMENT DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE DU 07 OCTOBRE 2018 VERSION REVUE ET CORRIGEE » (Conf. , ELECAM dont la gestion de la dernière élection a été particulièrement partiale et scandaleuse, a proposé plusieurs pistes de réformes du système électoral afin de conjurer les contestations des résultats électoraux dans le pays.
Dans ce rapport, outre les prescriptions faites aux autres acteurs du processus électoral, dont lui-même, ELECAM recommande au Gouvernement de :
-Fixer un quota légal des femmes dans la constitution des listes de candidature pour les femmes, les personnes handicapées et les minorités (35% des femmes ; 10% des personnes handicapées ; 2% de minorités) ;
– Réguler l’intervention des autorités administratives au sein des commissions locales de vote;
– Intensifier la collaboration entre les administrations publiques de l’Etat et ELECAM, dans le cadre de la gestion du processus électoral dans son ensemble, tout en recadrant davantage le rôle de chacune des parties. ;
– Assouplir les dispositions de l’article 122 du code électoral afin de remplacer l’exigence de l’extrait d’acte de naissance, difficile à obtenir, par la copie d’acte de naissance, plus accessible;
– Ramener la majorité électorale de 20 à 18 ans ;
-Adopter l’usage du bulletin de vote unique et de l’enveloppe à double poche (comme moyen de lutte contre l’achat des consciences) ;
– Prévoir une disposition spéciale facilitant le paiement de la caution au moment du dépôt des dossiers de candidature ;
– Mettre à la disposition des missions diplomatiques les moyens financiers conséquents afin de les appuyer efficacement dans la gestion du processus électoral dans les points focaux ;
– Actualiser le plan de sécurisation et renforcer sur la durée les capacités des forces de maintien de l’ordre chargées de la couverture des opérations électorales ;
– Autoriser les Huissiers de Justice à travailler exceptionnellement les jours de vote.
Comme on sait, même ces modifications, sommes toutes mineures du Code électoral n’ont pas été engagées par le Gouvernement. Il n’est pas inutile de rappeler qu’il a toujours regardé avec mépris les nombreuses propositions faites en ce sens par les partis politiques se réclamant de l’opposition et les acteurs de la société civile, ainsi les recommandations de la Communauté internationale demandant une réforme du système électoral avant toutes nouvelles élections au Cameroun.
3- Les désinscriptions massives par ELECAM des électeurs dans les circonscriptions favorables au MRC et l’augmentation artificielle du nombre d’électeurs inscrits dans les circonscriptions acquises au RDPC
Peu avant la convocation du corps électoral le 10 novembre 2019, le pouvoir a engagé, à travers ELECAM, une honteuse campagne de désinscription massive des électeurs dans toutes les zones du pays où le candidat du MRC est arrivé en tête lors du scrutin présidentiel du 7 octobre 2018. Parallèlement, l’organe électoral, totalement inféodé au régime, augmente artificiellement le nombre d’électeurs inscrits dans les zones où le candidat RDPC est arrivé premier. Le MRC a interpellé ELECAM par des moyens laissant traces, sans que les responsables de cet organe soient à mesure d’apporter la moindre explication à leur forfait. Le MRC est disposé à mettre à la disposition de toute institution nationale et internationale les preuves de ces accusations graves.
4- Des grossières obstructions administratives orchestrées par le régime pour empêcher aux candidats du MRC de constituer leurs dossiers de candidature
Depuis la convocation du corps électoral le 10 novembre 2019, à travers tout le pays et sur instruction du régime RDPC, les Camerounais et le monde entier ont été témoins des blocages administratifs que le pouvoir a dressés face aux candidats à la candidature du MRC, mais aussi des brimades et des actes de violence inqualifiables dont certains d’entre eux ont été victimes.
Persistant dans sa logique de bannissement du MRC de la scène politique, qui se manifeste par la violation de son droit à organiser des réunions et des manifestations publiques, y compris dans ses sièges à travers le pays, le régime a fait feu de tout bois.
Rien, absolument rien n’a été épargné aux militants de notre parti. Bastonnade par l’autorité administrative ( Sous-préfecture de Kekem dans le Haut Nkam), désertion organisée des services par les autorités administratives et municipales (Bangou dans les Hauts-Plateaux, Ebone dans le Mungo, Ambam dans le Vallée du Ntem etc.), signature des documents sur la base des considérations tribales (Sous-préfet de Yaoundé III), corruption à ciel ouvert dans les services de la justice et des impôts, dans certaines localités, menaces de représailles sur les huissiers qui acceptent de procéder à des constats par des procureurs, désertion des mairies et/ ou refus assumé de signer les extraits de naissance des candidats du MRC dans les mairies, confiscation pure et simple de dossier avec menace de faire intervenir les forces de sécurité pour « agression et séquestration, rébellion » de l’autorité si le ou les candidats réclament la restitution de son ou de ses documents etc….. Sur les médias, les réseaux sociaux, à travers de multiples témoignages les camerounais et le monde ont pu voir comment le régime illégitime de Yaoundé a criminalisé l’appartenance du MRC.
Tous les obstacles administratifs dressés sur le parcours des candidats du MRC au double scrutin du 09 février 2020, et surtout assumé avec arrogance par le régime, ont démontré que les militants du MRC ne sont plus considérés comme des citoyens camerounais. Leurs droits politiques fondamentaux, notamment le droit prendre part à la direction des affaires de son pays à travers les élections viennent d’être bafoués, avec l’aide des forces de sécurité et sous le regard complice des Procureurs de la République. Le MRC détient de nombreuses preuves audio, vidéos, écrites, et même des constats d’huissier de ces très graves faits qui n’augurent rien de bon pour la paix dans notre pays. Ses militants sont disposés à témoigner devant toute institution nationale ou internationale qui souhaite ouvrir une enquête.
En conclusion, il y a lieu de dresser le constat suivant :
– L’article 49 suscité qui est un obstacle juridique majeur pour la quête de la transparence et de la justice dans l’organisation des élections législatives au Cameroun;
– L’unanimité se dégage de la classe politique, de l’opinion nationale, de tous les observateurs électoraux nationaux et étrangers crédibles, et même d’ELECAM, sur l’impérative nécessité de la réforme consensuelle du système électoral avant toute nouvelle élection au Cameroun;
– Nonobstant les recommandations de tous les partenaires étrangers du Cameroun sur l’urgence de cette réforme avant l’organisation de toute nouvelle élection, le régime en place a décidé de passer outre et ne respecter que son propre agenda;
– Plus grave, alors même que ce régime prétend être majoritaire dans le pays, il s’est acharné à empêcher de manière grossière la constitution des dossiers des candidats du MRC à travers tout le pays. De son côté, ELECAM a désinscrit massivement les électeurs dans les zones où le MRC est arrivé en tête lors du scrutin présidentiel du 7 octobre 2018 d’une part, et a artificiellement augmenté le nombre d’électeurs inscrits dans les zones favorables au RDPC.
Ces raisons confortent le MRC dans sa décision de ne pas prendre part à la forfaiture du 9 février 2020, faute du règlement de la crise dans le NOSO et de la réforme consensuelle du système électoral, deux exigences qu’il n’a cessé de réitérer. Le MRC appelle les électeurs à rester chez eux le jour du vote et invite la communauté internationale à tirer toutes les conclusions de l’obstination du régime.
Yaoundé, le 25 novembre 2019 – Le Président National – Maurice KAMTO