Au vu du Code pénal camerounais, la sorcellerie est un délit qui peut coûter jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Bien souvent, le manque de preuves matérielles pousse les juges à donner un verdict sur la base de leur intime conviction. Un système loin d’être infaillible et qui a déjà été source d’erreurs.
« En mon intime conviction, je vous déclare coupable de sorcellerie ». Au Cameroun, cette activité mystique est inscrite dans l’article 251 du Code pénal comme un délit. Deux autres dispositions de cette « bible juridique » considèrent que la sorcellerie peut constituer un facteur aggravant d’actions malhonnêtes. Se servir des forces occultes à des fins maléfiques coûte cher : entre deux et dix ans de prison et une amende allant de 5 000 à 100 000 F CFA. Une sentence lourde prise par un juge qui souvent, en l’absence de preuves, se base sur ce que lui dit son cœur. Ce qui peut évidemment donne lieu à de nombreuses erreurs.
Fausses accusations
La sorcellerie est répandue dans le pays. Pour réparer les torts causés, ce sont parfois les habitants d’un village qui se font eux-mêmes justice. « Certains se livrent à une véritable vindicte populaire où ils molestent le sorcier. Ou alors ils le chassent du village », explique François Anoukaha, Professeur agrégé de droit privé et de sciences criminelles. Mais la majeure partie du règlement des litiges se passe devant le juge. « Dans certaines zones, il peut y avoir dix à vingt procès par mois », explique Jean-Bosco Ayissi, chef du secrétariat du secrétaire général du ministère de la Justice.
Parmi ceux qui comparaissent devant les tribunaux de droit moderne, il y aurait de « vrais » sorciers, dont la culpabilité ne fait aucun doute pour le juge, mais aussi de simples victimes de calomnie. En effet, des personnes sont accusées par erreur, d’autres ont fait l’objet d’une vengeance. Certains ont été pointés du doigt par jalousie. Ainsi, pour se débarrasser d’un voisin encombrant ou qui jouit d’un succès rageant, certains lui colleront l’étiquette de sorcier pour s’en débarrasser. L’accusant, par exemple, de telle mort subite ou mystérieuse.
Distinguer le vrai et le faux sorcier
Faire la part entre les erreurs, les machinations et les vrais sorciers. Une tâche ardue à laquelle doivent se coller les juges. Le plus souvent en leur simple âme et conscience. « Les juges s’appuient sur les objets retrouvés qui auraient pu servir au sorcier présumé. Mais il est très difficile de savoir si l’accusé les a vraiment utilisés à des fins maléfiques. Le jugement se fait alors principalement sur les témoignages des gens qui vivent dans l’entourage du suspect, car les aveux sont très rares », souligne François Anoukaha.
Les témoins ont souvent quelques réticences à parler à la Justice, mais les appréhensions s’envoleraient rapidement. « C’est souvent dans le village même du suspect que sont nées les accusations. Il est donc déjà condamné par son entourage, qui témoignera sans remord », précise Mounyol à Mboussi, président du tribunal de grande instance de Ngaoundere (Province Adamaoua, Nord), qui a beaucoup exercé dans la Province du Sud et du Centre. « Les gens n’ont plus de scrupules lorsqu’ils ont eux-mêmes été victimes d’un sorcier », ajoute François Anoukaha.
Possible de juger preuves à l’appui ?
L’annonce de la sentence repose donc sur la conviction intime ou « quelques certitudes juridiques et judiciaires du juge », estime Mounyol Mboussi. Un terreau fertile pour les erreurs. « En plus de vingt ans de carrière, j’ai déjà dû condamner des gens sur les éléments que dont je disposais et, avec mes années d’expérience et du recul, je pense avoir fait des erreurs dans mon jugement. C’est notamment pour éviter que ce genre d’injustice ne se reproduise que j’ai écrit un livre », reconnaît l’auteur de Sorcellerie en justice au Cameroun, sorti en mars dernier.
Ouvrage fouillé, et même recommandé par le ministère de la Justice, dans lequel le magistrat invite ses confrères à se donner les moyens de mener des procès équitables. « Les juges et les magistrats devraient rechercher la vérité et ne pas seulement se fier à leur conviction. Ils doivent se tourner vers les méthodes scientifiques, comme les laboratoires d’expertise, pour démontrer la culpabilité d’un suspect, par exemple. Même si les chances de rationaliser ce genre de pratiques est très difficile. Mais à chaque fois que l’on m’assure qu’une personne est morte suite à de sorcellerie, je demande des preuves », estime Mounyol à Mboussi, qui ne nie pas l’existence de cette pratique mystique et dont l’aïeule a même été accusée d’en user.
Le travail des juges n’est pas facilité par la législation entourant la sorcellerie. « Les législateurs n’ont pas défini dans le Code pénal les éléments constitutifs de l’infraction de sorcellerie. Les textes ne sont pas suffisamment précis, ce qui ne permet pas aux juges de les appliquer facilement et de rendre un verdict précis », explique Mounyol à Mboussi. Lors des délibérations, il s’ajoute donc, à l’abstrait du mysticisme, le flou juridique. Mais est-il vraiment possible de juger les procès de sorcellerie équitablement ?