Cameroun : « La situation humanitaire dans la région de l’Est reste très préoccupante »


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Jean-Loup Gouot, Représentant résident d’Action Contre la Faim au Cameroun, s’entretient avec Afrik.com sur l’état de la situation humanitaire au Cameroun.

Afrik.com : Jean-Loup Gouot, quel est l’état de la situation humanitaire en terre camerounaise ?

Jean-Loup Gouot : Depuis son indépendance en 1961, le Cameroun n’a pas connu de déstabilisation majeure sur le plan interne et se présente comme un des pays les plus stables de l’Afrique Centrale. Le pays est cependant régulièrement affecté par des troubles qui surviennent au sein de ses pays frontaliers. De par sa situation géographique et sa stabilité politique, le Cameroun a toujours représenté une terre d’asile prospère pour de nombreux habitants des pays voisins et de la sous-région exposés à la dégradation du contexte socio-économique, politique et sécuritaire de leur pays (RCA, Tchad, Nigeria, mais aussi Gabon, RDC, Rwanda, Burundi etc…).

Au cours de la décennie précédente, le Cameroun avait déjà accueilli plus de 100000 réfugiés centrafricains (entre 2003 et 2010) et tchadiens (2008). Le nombre de populations victimes de déplacements forcés s’est considérablement accru depuis 2014 dans les régions de l’Est et de l’Extrême-Nord qui concentrent aujourd’hui 259145 réfugiés centrafricains, 84325 réfugiés nigérians et plus de 191908 déplacés internes.
Le coup d’Etat de 2013 en République Centrafricaine a entraîné de violents combats, notamment entre les séléka et anti-balakas, combats qui ont atteint leur paroxysme en décembre 2013, provoquant la fuite de près de 200000 centrafricains.

Environ 80% d’entre eux se sont réfugiés dans la région de l’Est du Cameroun. Cet afflux massif de réfugiés représente aujourd’hui une hausse de plus de 20% de la population de la zone et constitue un défi important pour les autorités locales et les organisations humanitaires. En effet, si une grande majorité des réfugiés n’envisagent pas encore de retourner dans leurs zones d’origine, encore instables, bon nombre de besoins demeurent et la pression exercée par les populations sur les ressources naturelles disponibles tant jour après jour à fragiliser la cohésion sociale entre les communautés réfugiée et hôte.

L’Extrême-Nord du Cameroun a quant à lui connu au cours des 20 dernières années une crise alimentaire, nutritionnelle et sanitaire structurelle. Région la plus peuplée du pays, elle est également la plus pauvre et plus de 25% de sa population vit en-dessous du seuil de pauvreté. La dégradation de la situation sécuritaire depuis Mai 2014, principalement due aux violences et exactions menées par la mouvance Boko Haram et le groupe terroriste Etat Islamique en Afrique de l’Ouest, est venu amplifier cette situation. Cette problématique conjoncturelle impacte d’autant plus les populations déjà vulnérables, obligées de se déplacer avec pour conséquence une perte de leurs moyens de subsistance et une augmentation croissante des besoins de base. Plus de 220000 personnes (soit 1 individu sur 3) se trouvent aujourd’hui en situation d’insécurité alimentaire et la situation sanitaire et nutritionnelle demeure critique avec une prévalence de la malnutrition aigüe sévère de près de 2%. Les déplacés et autres vulnérables sont ainsi exclusivement dépendants de l’aide humanitaire. La population d’accueil est également très exposée et les ressources locales limitées, ce qui amplifie la pauvreté et les besoins importants qui caractérisaient déjà la région.

La dégradation plus récente de la situation humanitaire dans la région de l’Extrême-Nord du pays a également poussé Action Contre la Faim à mener deux évaluations multisectorielles dans les départements du Mayo Sava et du Diamaré.

Afrik.com : Pouvez-vous nous présenter les interventions d’Action Contre la Faim et ses stratégies d’intervention actuelle visant non plus de répondre à l’urgence, mais à prévenir les causes sous-jacentes de malnutrition dans les camps des réfugiés au Cameroun ?

Jean-Loup Gouot : Ayant déjà effectué une intervention au Cameroun entre 1998 et 2001, Action Contre la Faim est à nouveau présente dans le pays depuis 2014. Alertée par l’afflux massif de réfugiés centrafricains dans l’Est du Cameroun depuis le début de l’année 2014, et au vu des besoins exprimés, Action Contre la Faim est intervenue dans la région de l’Est en santé dans 4 sites d’accueil de réfugiés centrafricains ainsi qu’au sein des communautés hôtes. L’intervention a contribué à améliorer la situation sanitaire et nutritionnelle des réfugiés centrafricains et populations hôtes mais aussi à renforcer leur résilience psychologique à travers la mise en œuvre des projets de santé mentale et pratiques de soins. Depuis Avril 2015, Action Contre la Faim mène également des interventions en Sécurité Alimentaire et Moyens d’existence et en Eau Assainissement et Hygiène dans les départements de la Kadey et de la Bomba Ngoko, ciblant les populations locales et réfugiées. Si Action Contre la Faim met aujourd’hui un terme à ses interventions en santé dans la région de l’Est, notre priorité actuelle est d’appuyer sur un plus long terme l’autonomisation des populations réfugiées, le renforcement des moyens d’existence des populations locales afin de diminuer la pression actuelle sur les ressources naturelles et renforcer la cohésion sociale entre les deux communautés.

La dégradation plus récente de la situation humanitaire dans la région de l’Extrême-Nord du pays a également poussé Action Contre la Faim à mener deux évaluations multisectorielles dans les départements du Mayo Sava et du Diamaré en 2015. Ces évaluations ont par la suite entraîné la mise en place d’une intervention dans cette zone début 2016 grâce à l’obtention de certains financements institutionnels. L’organisation appuie aujourd’hui l’ensemble des centres de santé du District Sanitaire de Tokombéré et développe des activités de support visant à la réduction de la morbidité et du risque de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes et allaitantes. A ceci s’ajoute un panel d’activités focalisées sur l’amélioration des conditions d’accès à l’eau, d’hygiène et d’assainissement des infrastructures sanitaires du District. Ce dernier volet contribue à la réduction des cas de maladies hydriques dans le cadre du traitement des patients et vient renforcer l’impact du volet sanitaire tout en adressant une des causes sous-jacentes de la sous nutrition.

Au vu des problématiques structurelles et conjoncturelles que connaît la région de l’Extrême-Nord, (la malnutrition et l’insécurité alimentaire chroniques), il apparaît aujourd’hui essentiel d’adresser les causes sous-jacentes de la malnutrition, au travers d’interventions de renforcement de l’accès aux services de base et de redynamisation du tissu socio-économique. Si la réponse aux problématiques structurelles que connaît la région trouve aujourd’hui une réponse dans le cadre d’une programmation à long terme financée par l’AFD et le Fonds Fiduciaires d’Urgence de l’Union Européenne (Programme régional RESILAC au Cameroun, Nigeria, Niger et Tchad), nous nous attachons aussi à étendre notre réponse humanitaire d’urgence à des populations témoignant d’une vulnérabilité aigüe dans les départements du Logone et Chari et du Mayo Sava et avons au cours du dernier trimestre 2016 mené plusieurs évaluations des besoins permettant l’ouverture d’une nouvelle intervention sur la zone de Goulfey et Kousseri en 2017.

Afrik.com : Un mot à l’endroit des bailleurs de fonds…

Jean-Loup Gouot : Face à une réduction drastique des fonds, nous souhaitons faire appel à une mobilisation des bailleurs de fonds en faisant état de la réduction des financements actuels pour accompagner l’autonomisation des réfugiés (alors que plus de 270000 réfugiés centrafricains sont toujours présents dans la zone), assurer la redynamisation durable de l’économie des services de base de la région aussi favorable aux populations locales et contribuer au renforcement de la gestion durable des ressources et au maintien de la cohésion sociale entre communautés.

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