Cela fait trente ans que le président camerounais élimine politiquement tous ceux qui aspirent à prendre sa place. Cette psychologie de réalisme cynique est la griffe, la signature, l’ADN de la marque Paul Biya : avant tout soucieux de tirer son épingle du jeu, il est capable de synthèse et d’adaptation. En ceci, il est plus moderne que ses compatriotes, et prouve chaque jour qu’il a de la « Suisse » dans les idées. Cet homme, qui a reçu un mandat du ciel, est profondément conscient que chacune de ses actions est posée dans son propre intérêt. Lui d’abord. Le peuple ensuite, éventuellement.
Son intérêt est-il de « purger » ? Celui du peuple camerounais est en tout cas que cela se fasse maintenant plutôt que pendant ou à la suite de troubles politiques. Paul Biya a remisé parmi les cadavres de son placard les grands principes, les utopies et les rêves, les idéologies et la morale, au nom de l’efficacité pratique.
Pourquoi ceux-ci plutôt que ceux-là ?
L’on dénonce de plus en plus à Yaoundé le climat de terreur… Ceux qui n’ont rien distrait de la fortune publique n’ont pas à avoir peur. Comme tous ont trempé leurs mains dans du sang, versé dans des compromissions, il est juste que tous aient peur. De fait, s’ils avaient vraiment peur, les détournements de fonds auraient cessé depuis le temps. Au lieu de cela, les mêmes pratiques corruptives s’observent. Ce que l’ancien directeur de publication de Mutations, Alain blaise Batongué, appelait la « république du no stress ».
Les prévaricateurs de la fortune publique continuent de vaquer à leurs scandaleuses occupations. Paul Biya quant à lui, on l’accuse tantôt de ne rien faire, tantôt de faire n’importe quoi. C’est rarement infondé, ces accusations. Mais il faut prendre garde à ne pas surajouter aux paradoxes de l’homme-lion, les contradictions de nos humeurs.
Le peuple a peur de ses peurs, il a peur des conséquences de son désir de justice ; il veut la sécurité pour tous et il redoute les sacrifices aux libertés publiques que cela peut parfois impliquer. Le peuple a eu des vampires à sa tête qui lui ont aspiré tout son sang, et il demande justice, c’est-à-dire des responsables, des têtes. Partout et toujours, le peuple a toujours eu besoin de pain et de jeux (panem et circences) : jeux c’est-à-dire spectacle. Et le sang reste la plus spectaculaire de toutes les attractions.
Akame Mfoumou, Gervais Mendo Zé, et tous les autres dont l’opinion publique a déjà fait le procès, ne devraient pas être épargnés ? L’ont-ils jamais été ? Tous sont des sursitaires qui pourront toujours être poursuivis. Si tous les anciens ministres et hauts fonctionnaires qui ont attenté aux fonds publics doivent y passer, cela serait la plus belle des révolutions que Paul Biya pourrait laisser à son peuple. Même si son ambition personnelle est le fil conducteur et le filigrane de sa lutte, nous préférons à tout prendre des ambitions personnelles qui servent le peuple par contrecoup que les belles idées qui aboutissent souvent à de belles illusions.
Ce que Haman Mana feint d’ignorer
Dans un bel éditorial qui ne manquera pas de passer à la postérité comme un beau moment d’indignation et un marqueur du climat intellectuel actuel, qui est à l’indécision et au double langage, Haman Mana se met dans la peau d’un entreprenant contestataire. Il y fait le procès de l’arrestation de l’ancien Premier ministre, Ephraim Inoni. Le directeur de publication a dans un raccourci magnifique parlé de « célébration punitive »… Cette attitude est caractéristique de l’égocentrage des journalistes camerounais, qui donnent des leçons de méthodologie et d’action politique, critiquent tout et son contraire, jusque et y compris les situations qu’ils ont souhaitées voire suscitées.
En Afrique du Nord, des présidents déchus sont actuellement jugés, en Europe de l’Est des premiers ministres et des gouvernements sont sans cesse poursuivis pour des faits de corruption… Il ne faut donc pas remonter jusqu’à Staline pour voir de hauts dirigeants jugés. Haman Mana a choisi l’outrance. Ses rapprochements sont excessifs. Les purges staliniennes, pour mémoire, c’est l’élimination à grande échelle d’opposants politiques ou de camarades par trop indépendants. Or, tous ceux qui sont aujourd’hui arrêtés n’étaient pas des adversaires déclarés du régime, beaucoup le servent même encore et le défendent du fond de leur cachot. Kondengui n’est pas un goulag, le TGI n’est pas un tribunal d’exception et Paul Biya n’a pas la stature de Staline.
The show must go on…
Le président camerounais, quoiqu’il fasse (ou manque de faire) sera critiqué : la rançon de sa durée. Notamment, en l’occurrence, par les défenseurs d’une justice à géométrie variable : les petits peuvent être humiliés dans les journaux télévisés avant d’avoir été jugés, les grands non. On manque de s’indigner quand des lynchages ont lieu dans les marchés et quand des mineurs sont mis sous mandat de dépôt pour des délits de nécessité. Des mineurs justement en quête d’une bouchée de pain.
On aime mieux se donner un genre en se scandalisant pour des personnalités qui se sont prises pour des princes, des membres honoraires de la tribu des intouchables, bref de véritables barons : ils se sont arrogés le Cameroun ou ont essayé de le faire. Si donc Paul Biya a des desseins cachés, qu’il prenne bien soin de toujours les cacher, l’absolu appartient à Dieu et aux forces de l’ombre. Tout ce qu’il importera toujours de savoir aux Camerounais, qui ne vivent pas seulement de pain, tant du moins que l’on n’accuse pas Etoudi d’affamer son peuple, tout ce qui importera donc c’est de voir que tous ceux qui ont mis le Cameroun à genoux soient aplatis devant la justice.
Dompter les superbes, épargner les humbles
Nos serviteurs se sont pris pour nos rois, par la force des choses, ils sont désormais les prisonniers du peuple… Paul Biya agit si peu qu’il sera toujours plus prudent de se fâcher après ce qu’il ne fait pas. Il est immobile dans ses habitudes, constant, pour ne pas dire sclérosé, dans son cynisme froid et sa détermination tranquille : c’est quand même l’homme qui a fait condamner son prédécesseur à la peine capitale, l’a laissé enterrer au Sénégal et ne s’est jamais senti interpellé par la question du rapatriement de ses restes.
Les pauvres qui volent, comme les très riches qui détournent, sont des marginalités sociologiques. La plupart des Camerounais, sans être dupes, continuent d’applaudir. Le Cameroun est une nation sans modèle, tous ceux qui sont aujourd’hui humiliés ont humilié, tous ceux qui sont accusés ont des fortunes qui passent le bon sens. Vive la république, vive l’Etat de droit. Et honte à ceux qui pensent à l’élargissement des puissants davantage qu’au recouvrement de la fortune publique, à la réhabilitation des hommes plutôt que la restauration (ou l’instauration) d’une république exemplaire.
Le système RDPC se mord la queue
Ce qu’il faut d’abord contester, c’est les pouvoirs de l’ultra-président d’Etoudi, avant de questionner l’usage qu’il en fait. Le peuple est comme Haman Mana, il a une mémoire sélective. Dans trente ans l’on se souviendra surtout des actions les plus spectaculaires de Paul Biya, il se trouvera des Camerounais pour célébrer sa mémoire, saluer son « courage politique ».
Ahidjo s’était trompé en le croyant un lâche, les Camerounais se trompent forcément dans l’essentiel des sentences vis-à-vis de cet homme qui reste un parfait étranger, presque un inconnu. Quelque soit sa fin, que ni lui ni son peuple ne maîtrisent tout à fait, le moment viendra où il faudra faire un bilan. Juste un bilan. Parce que la constitution qui a été faite par lui (mais pourra être défaite par son successeur) le rend pénalement irresponsable.