Cameroun : « La justice humaine doit régner »


Lecture 6 min.
arton58568

Monsieur Katihabwa Pie, Coordinateur du Comité Diocésain des Activités Sociales et Caritas (CODAS Caritas Douala) accorde l’exclusivité à Afrik.com

Afrik.com : Monsieur Katihabwa Pie, vous êtes le Coordinateur de CODAS Caritas Douala (Comité Diocésain des Activités Sociales et Caritas). Quelles sont les missions de votre organisation ?

Katihabwa Pie :
Nous sommes une organisation de la société civile soucieuse de sa participation citoyenne au développement durable du Cameroun, le Comité Diocésain des Activités Sociales et Caritas (CODAS Caritas Douala) dont j’ai la charge, met à contribution son expertise en matière de développement communautaire et sa force de proposition, comme agence de mise en œuvre du projet pour le compte de l’Archidiocèse de Douala .

Afrik.com : Qu’est-ce que le Projet « EVICTION » ?

Katihabwa Pie :
Le Projet « EVICTION »est un projet d’appui à l’amélioration des politiques publiques du Cameroun en matière de respect du droit à un logement décent.

Afrik.com : Quel est son objectif global?

Katihabwa Pie :
Son objectif global est de contribuer à la sécurité juridique et au respect des droits des personnes menacées d’évictions forcées ainsi que mener un plaidoyer pour la révision et / ou l’adoption des textes réglementaires et législatifs régissant le droit à un logement décent, les droits fonciers et domaniaux au Cameroun.

Afrik.com : Lors du point de presse organisé dans la salle de Pêche de Mboppi le 30 mai 2017, vous avez procédé au lancement officiel de la seconde phase du Projet « EVICTION ». Pouvez-vous nous présenter le bilan de la 1ère phase ?

Katihabwa Pie :
En effet, de Mars 2013 à Janvier 2017, et pour le compte de la première phase du projet, onze (11) collectifs et une plateforme regroupant les collectifs des victimes/potentielles victimes des évictions forcées ont été accompagnés. Plus de 500 personnes ont à cet effet été sensibilisées sur la nécessité et la manière de sécuriser leurs occupations et d’accéder à la propriété foncière selon la législation en vigueur au Cameroun.

Par ailleurs, et à titre de propositions concrètes, un document cadre de propositions alternatives et une proposition d’avant-projet de loi régissant le droit à un logement décent et l’accès à la propriété foncière ont été soumis aux autorités administratives (Premier ministère, Minadt, Mindcaf, minhdu) et aux députés du Wouri. Ces propositions, il faut le souligner sont issues des études et d’un colloque national sur les évictions, tenu les 3 et 4 Juin 2015.

Depuis le 1er février 2017, et ce, jusqu’au 31 décembre 2018, le projet d’appui à l’amélioration des politiques publiques du Cameroun (Projet « EVICTION ») en matière de respect du droit à un logement décent est dans sa deuxième phase de mise en œuvre.

Cette seconde phase s’inscrit bien évidemment dans la continuité de la première phase et se propose de contribuer au renforcement de la sécurité juridique, au respect des droits des personnes menacées ou victimes d’éviction forcée, et surtout de mobiliser le maximum d’acteurs autour de la thématique des évictions forcées.

Afrik.com : Quel constat faites-vous concernant la problématique du droit de l’homme au quotidien et des évictions forcées ?

Katihabwa Pie :
La problématique des droits de l’homme donne à observer au quotidien un ensemble de règles, qui touchent toutes les activités humaines, aussi bien politiques que sociales, économiques et culturelles.

Sur le plan social, le droit à un logement décent fait partie intégrante de cet ensemble normatif. Celui – ci fait référence aux prérogatives qui obligent les Etats à garantir à tous leurs citoyens un habitat décent, ce qui n’est pas toujours le cas. Dans la plupart des pays en général, au Cameroun en particulier, on constate de manière permanente l’incapacité de l’Etat à pouvoir assurer à tous ses citoyen(ne)s une sécurité certaine en matière de logement.

De manière récurrente au Cameroun, on assiste, au nom des « grandes réalisations », des « projets structurants » ou encore des « constructions anarchiques », des « occupations illégales », à des déguerpissements massifs et sauvages des populations, installées parfois depuis des décennies et dans la grande majorité pauvres, de leurs terres, de leurs domiciles, principalement dans les villes de Douala et de Yaoundé, où :

  La demande en logement est estimée à plus de 800 000 et qu’en 57 ans l’Etat n’a pu construire que 14 000 logements ;

  L’accès à la terre pour se bâtir est difficile pour environ 890 704 personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté dans le département du Wouri

  L’insécurité foncière est forte à cause de la non reconnaissance du droit à l’occupation ;

  Les logements ne sont sociaux que de nom, car le citoyen démuni ne peut se permettre le luxe d’occuper, encore moins d’acheter un logement qui coûte entre 17 et 23 millions de francs cfa et aussi du fait des exigences suivantes : apport personnel, 10% du prix de revient ; caution bancaire…

Comment donc comprendre, dans un contexte marqué par l’insuffisance criarde de logements, la pauvreté, que les gestionnaires des villes optent pour les démolitions par centaines, voire par milliers de logements ? Pouvons-nous parler de «constructions anarchiques », «occupations illégales » alors c’est seulement depuis Septembre 2015, que le plan d’occupation du sol (POS) de la ville de Douala a été validé, alors que les évictions elles, avaient déjà eu lieu bien avant.

Le phénomène d’évictions forcées émerge donc dans un contexte d’urbanisation où l’occupation du sol précède la planification urbaine. Le PDU (Plan de développement urbain) de la ville de Douala, rendu public seulement depuis 2012, souffre malheureusement de son accessibilité difficile et d’une faible vulgarisation de masse (publicité).
Entre 2010 et 2015, et sans être exhaustif, plus de 132 000 personnes sont victimes des évictions forcées dans la ville de Douala. Et ces personnes sont majoritairement pauvres et par conséquent, ne peuvent aisément avoir un abri que dans les zones (quartiers) où le m2 est moins cher. Et dans ces mêmes conditions, il leur est quasiment impossible de se faire établir un titre foncier, titre de propriété, car la procédure de son obtention est floue, gangrénée par la corruption et onéreuse.

Afrik.com : Et votre mot de fin…

Katihabwa Pie :
Nous remercions vivement notre partenaire technique et financier MISEREOR, l’Archidiocèse de Douala et tout en félicitant l’équipe de coordination de la première phase pour les résultats obtenus et surtout pour l’engagement des uns et des autres dans l’encadrement physique, psychologique et parfois matériel des victimes des évictions forcées dans la ville de Douala. Nous en appelons au renforcement de la collaboration avec les autorités administratives concernées, les femmes et hommes de médias, qui devront davantage rendre compte des activités, qui seront menées dans le cadre de cette deuxième phase et des organisations de la société civile afin que l’amélioration de la politique publique au Cameroun en matière d’accès à la propriété foncière et au droit à un logement décent devienne une réalité. Une réalité de nature à favoriser l’intégration nationale, à promouvoir le vivre-ensemble et le véritable développement de notre pays.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News