Le prix des produits de la filière avicole camerounaise s’est effondré, parfois de moitié. La faute à la psychose qui a éclaté après l’annonce des premiers cas de grippe aviaire au Nigeria, le 8 février dernier. Et qui s’est amplifiée, notamment à cause d’une mauvaise communication sur le mode de transmission du virus H5N1. D’ici deux ou trois semaines, certains craignent une pénurie de poulets dans le pays.
Le prix du poulet bat de l’aile. Depuis l’annonce des premiers cas de grippe aviaire au Nigeria voisin, le 8 février dernier, le Cameroun a vu le prix des produits de sa filière avicole chuter. Les œufs et autres poulets de chair sont parfois vendus moitié moins cher. Une façon pour les vendeurs de se débarrasser, même à perte, d’un stock qui risque autrement de leur rester sur les bras. Au final, certains craignent que le pays, qui a dû abattre plus d’un million de poussins d’un jour, doive faire face à une pénurie de poulets et d’ici quelques semaines.
Psychose née des premiers cas au Nigeria
« Depuis l’apparition de la grippe aviaire au Nigeria, une psychose s’est installée dans l’esprit des Camerounais, commente François Djonou, secrétaire général de l’interprofessionnelle de la filière avicole du Cameroun. La consommation des œufs a chuté de 75% et celle de poulets de chair de 70%. C’est le fait d’une très mauvaise communication. Des médias privés, notamment, expliquaient mal ce qu’était la grippe aviaire et faisaient des titres à sensation. Hier (dimanche, ndlr), la télévision officielle a montré une femme en panique parce qu’il y avait devant sa maison un oiseau mort. Cela entretien la psychose alors qu’on enterre tous les jours des poulets qui meurent d’autres maladies. Pour être sûr que c’est la grippe aviaire, il faut faire des prélèvements et des analyses. »
Ce sont de telles analyses qui ont permis au gouvernement camerounais d’affirmer, le 12 mars, que le virus de la grippe du poulet avait été détecté sur le cadavre d’un canard retrouvé mort à Maroua, dans l’Extrême-Nord du Cameroun. « Pour rectifier le tir de la mauvaise communication, nous avions fait une campagne de sensibilisation lors de laquelle nous avons fait venir la télévision privée et officielle, fait campagne dans les journaux et organisé une dégustation pour dire qu’il n’y a aucun risque à consommer du poulet s’ils étaient bien cuits. La consommation avait repris et nous vendions 50% des œufs et des poulets. Mais lorsque la grippe a été annoncée à Maroua, la consommation a chuté, atteignant pratiquement 0% », raconte François Djonou. Certains vendaient auparavant une vingtaine de poulets par jours et n’en vendent plus que deux ou trois.
« La fin des exportations d’œufs gonfle les stocks et casse les prix »
La population a en effet pris peur de contracter la maladie. Apparemment plus dans les villes que dans les villages. « Des villageois disent que la grippe aviaire a toujours existé et que quand le poulet commence à trembler, il l’abattent et le mangent. Ils pensent que c’est une maladie de Blancs qui veulent les effrayer », rapporte Martin Nzegang, journaliste pour La Voix du paysan. Tout simplement. Résultat, la filière avicole a complètement été déstabilisée. Il y a une dizaine de jours, on estimait qu’un 1,1 million de poussins d’un jour ont été étouffés sous présence d’un huissier, ce qui représenterait une perte de 465 millions de FCFA (environ 709 000 euros). Et les prix ont fait une chute vertigineuse.
« Les œufs se vendaient avant à 50 FCFA l’unité, contre 25 FCFA environ maintenant. Le poulet se vend entre deux et trois euros alors qu’il était avant entre 6 et 7 euros », explique Martin Nzegang. François Djonou ajoute, pour sa part, qu’« il reste beaucoup d’oeufs en stock car nous vendions 50% de notre production au Tchad, en Centrafrique et au Congo. Or, ils ont fermé leurs frontières lorsque la grippe aviaire a été avérée chez nous. Nous nous retrouvons donc avec une forte production sur les bras, d’où la réduction des prix ».
Le poulet n’a jamais eu la cote
Cette braderie avicole ne semble pas attirer grand monde. Certains trouvent suspectes de telles réductions, estimant que cela cache un œuf ou un poulet malade. D’autres en profitent pour se ravitailler à moindre coût et congeler la viande, sachant qu’une bonne cuisson détruit le virus. Mais beaucoup ne changeraient pas leurs habitudes : ils continueraient à ne pas acheter de poulet. « Manger du poulet n’est pas encore rentré véritablement dans les habitudes alimentaires. Les Camerounais en mangent moins de 2 kilos par habitants et par an », souligne François Djonou. « Même en bradant les prix, il n’y a pas affluence. Seules les personnes qui ont les moyens en achètent. Car pour certains, même si le poulet était vendu à 500 FCFA, ce serait encore trop cher. Il n’y a qu’en décembre, pour Noël, que les gens se précipitent pour acheter du poulet. Les Camerounais se sont d’ailleurs tournés vers le poisson, qui devient rare », estime Martin Nzegang.
Un contexte qui ruine le fonctionnement des divers métiers issus de la filière avicole. Le Cameroun ne dispose pas de machine d’abattage. La plupart des transformations des produits se font donc presque toutes à la main. Alors, comme des dominos, les différents secteurs se couchent. Plusieurs acteurs de la filière se retrouvent au chômage technique. « Les accouveurs (qui possèdent les couvoirs pour produire les poussins d’un jour) tuent les parentaux (qui produisent les œufs) et étouffent les poussins parce que les éleveurs ne veulent plus acheter ces poussins, craignant qu’au moment de les vendre ils soient coincés. Les provendiers (qui produisent la nourriture des bêtes) ne peuvent plus vendre leurs stocks, puisque les éleveurs n’élèvent plus. Les vétérinaires, qui consultent, conseillent, vaccinent et assurent le suivi médical, ont une activité ralentie à cause de cette baisse d’élevage. A ce rythme, c’est tout un pan de notre économie qui risque de disparaître », prévient Martin Nzegang.
« Une reprise un peu timide »
Pire. On craint une pénurie de poulets. « D’ici deux ou trois semaines, il n’y aura plus de poulets sur les marchés. Car plus personne n’achète de poussins d’un jour », avertit François Djonou, qui indique que son interprofessionnelle fera tout pour que le gouvernement trouve alors une autre solution que l’importation. La situation est d’autant plus inquiétante que, pour moderniser leurs installations, des éleveurs se sont endettés. « Ils peineront à rembourser leur crédit parce qu’ils bradent leurs prix et, ça, c’est la prison assurée. Et même si la situation s’améliore, ils ne pourront pas faire un autre crédit pour faire repartir leur affaire », poursuit Martin Nzegang.
Le secrétaire général de l’interprofessionnelle de la filière avicole du Cameroun reproche au gouvernement de n’avoir rien fait pour protéger la filière avicole : « Le ministre de la Santé a conseillé aux gens de bien se laver les mains lorsque l’on est en contact avec les oiseaux. C’est lorsque nous avons discuté avec eux qu’ils ont changé de stratégie. Mais rien n’a été promis sur le plan des indemnités, mais nous avons fait des démarches en ce sens. C’est pour cela que, tous les jours, nous faisons un dossier lorsque nous étouffons des poussins ».
François Djonou entrevoit tout de même un rayon d’espoir. Depuis trois au quatre jours, on lui a rapporté « une reprise un peu timide ». Le prix des poulets aurait augmenté de 60% par rapport à celui pratiqué depuis l’apparition du virus H5N1 au Cameroun. Une amélioration que le responsable attribue aux campagnes de sensibilisation, plus qu’à la cassure des prix.