Horizons Femmes sensibilise depuis 2003 les prostituées aux dangers qu’elles encourent dans la rue, notamment en matière de VIH/sida. En juin, l’association a lancé un projet qui s’appuie sur douze travailleuses du sexe pour sortir les autres filles du trottoir et les aider à se réinsérer. Toutefois, parce qu’elles ne parviennent pas à joindre les deux bouts, beaucoup retournent sur le macadam.
« Je me suis prostituée pendant plusieurs années à cause de la pauvreté qui mine notre société. Quand on n’a pas de quoi manger et que l’on a une famille à nourrir, on se retrouve dans la rue », raconte avec dignité Christiane, une Camerounaise de 43 ans. Lors d’un séminaire à Yaoundé, cette mère célibataire de deux enfants a décidé de tourner la page et de sauver de la rue d’autres travailleuses du sexe. « J’ai fait ce choix parce que j’ai compris que cette vie n’était pas bonne pour moi, surtout avec la pandémie du siècle : le sida », poursuit celle que l’on surnomme Chris-Chris.
Faire des prostituées des relais dans les quartiers chauds
Un choix qui lui a été possible grâce à l’association Horizons Femmes qui, depuis 2003, à Yaoundé, lutte contre le VIH/sida. Elle sensibilise toutes les couches de la population mais cible particulièrement les prostituées. « Nous sommes installés dans le secteur de Mini-Ferme, dans le quartier de Melen, où la prostitution bat son plein, explique Denise Ngatchou, présidente de cette structure. Au départ, les femmes venaient vers nous pour les préservatifs et nous en avons profité pour leur poser des questions. Avec certaines, nous avons commencé à réfléchir à une stratégie commune pour sensibiliser et les sortir de la rue. »
En juin, en partenariat avec l’organisation non gouvernementale Care Cameroun, Horizons Femmes a mis sur pieds un projet pilote qui doit s’achever à la fin du mois de décembre : « Prévention du VIH/sida et promotion des activités génératrices de revenus (AGR) chez les filles libres de Mini-Ferme et Obili ». Au cours d’un séminaire, douze femmes, dont Christiane, ont été formées à la réduction des risques de transmission du VIH/sida et à l’incitation au dépistage dans les centres de santé de la Croix-Rouge. Elles ont également été informées sur les lieux de concentration des prostituées et familiarisées à la création d’AGR comme alternative au commerce du sexe. Objectif : en faire des relais dans les quartiers chauds.
« Les filles pensent que nous sommes des traîtres »
Si Horizons Femmes s’appuie sur ces leaders éducatrices, c’est que leur message a plus de chances de trouver une oreille attentive auprès des prostituées. « Elles sont très très agressives donc, pour les aborder, il faut qu’elles aient en face d’autres filles libres », ajoute Denise Ngatchou. « Filles libres », comprenez l’expression préférée à « prostituée », un terme considéré comme injurieux. Autre atout : les leaders éducatrices connaissent le terrain.
Un atout qui peut aussi se révéler être un handicap. « Ce n’est pas facile, confie Christiane. Les filles n’acceptent pas facilement ce que nous leur disons. Elles pensent que nous sommes des traîtres, qu’on leur raconte des histoires. Certaines refusent notre discours catégoriquement, d’autres acceptent après plusieurs passages, lorsque la confiance s’est installée, et d’autres demandent s’il reste de la place pour se former pour pouvoir monter une activité. »
Des idées, des envies, mais pas d’argent
Car si elles finissent sur le trottoir, ce n’est pas par plaisir. Comme Christiane, ce sont la plupart du temps les charges familiales qui les poussent à vendre leur corps. Dans le cadre du projet pilote d’Horizons Femmes, qui finalement se poursuivra après décembre, tant la demande est forte, cinq leaders éducatrices devaient recevoir un petit apport pour les aider à monter une activité génératrice de revenus. « Care Cameroun devait donner 600 000 FCFA pour les cinq, mais, à cause des lourdeurs administratives, les fonds n’ont toujours pas été débloqués », regrette Denise Ngatchou.
Elles doivent alors se débrouiller pour gérer le quotidien, comme les sept autres leaders éducatrices qui travaillent toutes bénévolement. Un sort que connaissent aussi les « filles libres » qu’elles parviennent à tirer du macadam. « Lors du séminaire, on nous a appris à fumer du poisson ou de la viande, à sécher des légumes et à fabriquer du savon, commente Christiane. Mais, parce que les autres activités reviennent cher, je fabrique du savon. Ça n’est pas toujours suffisant, mais j’ai pris la décision de me battre autrement. Et, Dieu merci, pour l’instant je n’ai jamais eu envie de retourner dans la rue. »
« Seule une minorité ne revient pas dans la rue »
Toutes n’arrivent pas à tenir le coup. « Seule une minorité écoute la sensibilisation et ne revient pas dans la rue. La majorité y retourne, en expliquant que c’est la pauvreté qui les pousse, qu’elles doivent gagner de quoi nourrir leur famille mais qu’il n’y a rien d’autre qui leur permette de gagner suffisamment d’argent. Par contre, elles promettent que si on leur propose une source de revenu, elles sont prêtes à quitter définitivement la prostitution », poursuit Christiane, qui avoue n’avoir jamais imaginé qu’un jour elle inciterait des travailleuses du sexe à trouver une autre profession.
Le problème est toujours le même : l’argent. Par manque de fonds, il est difficile de créer des activités génératrices de revenus et de former la vingtaine de filles sur liste d’attente. Un constat qui noircit les résultats d’Horizons Femmes. Selon le bilan provisoire, notamment obtenu à partir des « fiches de causeries », 1 649 entretiens ont été réalisés sur Mini-Ferme et Obili et 4 000 filles et leurs clients ont été sensibilisés. Concernant le dépistage, 94 filles ont été testées ainsi que 38 clients. Le taux de prévalence du VIH/sida dans cette population était de10,61%. La preuve, s’il y en avait besoin, que le commerce du sexe reste une source potentielle importante de propagation du virus mortel.