Cameroun : chut ! Emmanuel Macron a raison


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Le Président français, Emmanuel Macron
Le Président français, Emmanuel Macron

C’est devant micros et caméras que le Président français, Emmanuel Macron, a avoué avoir déjà mis la pression sur le Président camerounais, Paul Biya, pour obtenir la libération de Maurice Kamto, et promet de recourir encore à ce moyen pour faire cesser les « violences intolérables » exercées par l’armée camerounaise dans les régions anglophones. Ces propos du premier citoyen français ont suscité la polémique au pays de Paul Biya. Mais, au fond, le Président Macron a-t-il dit quelque chose de nouveau ?

Voici 60 ans que les colonies françaises d’Afrique se sont émancipées pour devenir des Etats souverains, en principe maîtres de leur destin. Mais, il est de notoriété publique que cette indépendance était factice depuis le départ puisque encadrée par les accords de coopération qui permettent à l’ex-métropole d’intervenir massivement dans la vie de ses anciennes colonies.

Une omniprésence de la France dans les affaires de ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne

Quelques exemples pris au hasard. En 1964, la France est intervenue militairement au Gabon pour ramener au pouvoir le très « fidèle » Président Léon M’ba, renversé quelques jours plus tôt. En 1979, c’est encore la France qui, après avoir été le plus puissant soutien de Jean-Bedel Bokassa, a fini par mettre fin au régime du tyran centrafricain devenu indésirable. On dira peut-être que c’était la période où la Françafrique avait le vent en poupe. Mais, plus proche de nous, en 2008, Idriss Déby n’a dû son maintien au pouvoir qu’à l’armée française, alors qu’il était totalement encerclé par les rebelles.

En Côte d’Ivoire, après l’élection présidentielle de 2010 où des irrégularités monstres en faveur d’Alassane Ouattara ont été observées (par exemple le nombre de votants était supérieur au nombre d’inscrits dans les zones favorables à Ouattara), ce dernier a quand même réussi à prendre le pouvoir au détriment de Laurent Gbagbo pourtant déclaré vainqueur par le Conseil constitutionnel, avec l’appui de la France. Toutes choses qui montrent que la France est toujours au contrôle de la gestion des affaires de ses anciennes colonies qui, tout en gardant apparemment les attributs d’Etats souverains continuent de dépendre entièrement d’elle.

A quelques exceptions près, l’ancienne métropole fait et défait les chefs d’Etat dans son pré-carré, au gré de ses intérêts. L’histoire nous a enseigné que les quelque leaders visionnaires de l’Afrique, qui ont essayé de s’émanciper de cette tutelle, ont été broyés par la puissante machine de la Françafrique et les « réseaux Foccart ». Dans cette politique de maintien sous tutelle de ses anciennes colonies, le franc CFA reste l’élément le plus fort. Créée en 1945, cette monnaie est de plus en plus contestée, aussi bien par la jeunesse militante, que par les milieux intellectuels et même politiques africains.

L’indépendance des anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne est un leurre

Dans ces conditions, ce serait proprement se tromper que de penser que les Etats de l’Afrique subsaharienne, anciennement colonisés par la France, sont indépendants. Car, être indépendant, c’est pouvoir s’assumer soi-même, ne pas être sensible à des pressions extérieures dans la conduite de ses affaires. Ainsi, lorsqu’un chef d’Etat est enclin à fléchir devant les pressions d’un homologue, comme l’a fait Paul Biya, il est alors totalement dépendant, et tout son pays avec lui. Le drame, c’est que la majorité des dirigeants africains ne fait presque rien pour changer la donne.

On n’a plus vu la France avoir un regard paternaliste sur les pays de l’Indochine depuis leur indépendance. Les dirigeants africains ne reçoivent de la France que le traitement qu’ils méritent. On a vu l’exemple d’Air Afrique, une belle initiative en termes de coopération et d’intégration sur le continent ; ce sont les dirigeants africains eux-mêmes qui avaient donné à la France les armes pour assassiner cette belle compagnie, entre autres, en faisant appel au Français Yves Rolland-Billecart investi par son pays d’une mission claire : faire couler la compagnie aérienne africaine qui bousculait les intérêts d’Air France dans le ciel africain.

Dans ces conditions, le Président français sait très bien qu’il ne trahissait aucun secret en parlant de pressions déjà exercées et à exercer sur l’un des pions du système de la Françafrique, par ailleurs un des plus vieux Présidents encore en exercice sur le continent africain. La réaction molle et timorée du pouvoir camerounais face aux propos du Président français qui remettent clairement en cause l’indépendance du Cameroun démontre à suffisance qu’Emmanuel Macron est en terrain conquis.
Silence donc ! Le Président français n’a rien dit de grave ou de choquant.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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