Suite aux attaques répétées des éléments de la secte Boko Haram aux frontières du Cameroun et du Nigeria, très souvent également dans l’Est du pays, c’est-à-dire là où l’Etat est quasiment absent, le gouvernement camerounais a proposé un projet de loi qui vise à punir le terrorisme.
En soit, il est parfaitement logique de punir le terrorisme et de mettre en place un dispositif visant à dissuader ce type de pratique dans la République. Tout citoyen bien constitué pourrait comprendre et soutenir un tel projet de loi. Mais lorsque l’on souhaite dissuader des citoyens de basculer dans le terrorisme, il est également important de promouvoir des valeurs essentielles au consensus républicain telles que les libertés fondamentales. Or, nous observons que le gouvernement souhaite se servir de l’occasion Boko Haram pour inhiber toute forme de contradiction et tout bonnement interdire toute manifestation citoyenne.
Dérive autocratique et radicale vers une répression
A la lecture de l’Article 2 du projet de Loi qui est rédigé tel que suit :
Article 2 : Est puni de la peine de mort, celui qui, à titre personnel, en complicité ou en co-action, commet tout acte ou menace susceptible de causer la mort, de mettre en danger l’intégrité physique, d’occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages de ressources naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel dans l’intention :
a) d’intimider la population, de provoquer une situation de terreur ou de contraindre la victime, le gouvernement et/ou une organisation nationale ou internationale, à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes ;
b) de perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation de services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations;
c) de créer une insurrection générale dans le pays.
Ainsi, toute personne également qui commettrait un acte susceptible d’occasionner des dommages matériels à l’environnement ou au patrimoine culturel dans l’intention de contraindre le gouvernement à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, à adopter ou à renoncer à une position particulière ou à agir selon certains principes, serait un terroriste passible de la peine de mort. Cela est inacceptable ! Il est malsain de mettre toute revendication sociale organisée sous la forme d’une action de masse pouvant occasionner une détérioration du patrimoine national sur le même pied qu’un terroriste qui égorgerait de pauvres paysans à l’Extrême nord du pays. Il s’agit là d’une dérive autocratique et radicale vers une répression sans pareil de toute revendication. Tout citoyen qui ne serait pas sur la même position que le gouvernement serait donc un terroriste potentiel.
Le terrorisme, conséquence du laxisme du régime du renouveau
Pour autant, si l’on se penche réellement sur l’apparition du terrorisme au Cameroun, il est manifeste que ce phénomène ne se produit que dans des localités où l’Etat est abonné absent et où nos richesses foisonnent. Ce qui démontre que notre modèle d’Etat concentré sur les capitales est en train de nous coûter cher. Le fait de concentrer les moyens politiques et sécuritaires dans les grandes capitales administratives est tout simplement ridicule.
Les régions doivent pouvoir s’organiser en fonction de leurs particularités et disposer elles-mêmes de moyens de se sécuriser. Nos frontières devraient être renforcées de plus d’effectifs pour de meilleurs contrôles et une capacité de surveillance et de réaction optimale. Malheureusement, le gouvernement et le président de la République n’ont pas tiré des leçons de la guerre de Bakassi. Ils semblent même plus laxistes que jamais, quant à la sécurité frontalière et la coopération sous-régionale. Le terrorisme au Cameroun est donc une conséquence du laxisme du régime du renouveau.
Au plan politique, le Président aurait pu soutenir une initiative visant à créer un cadre de concertation politique avec tous les principaux partis politiques, d’alliance et d’opposition, afin d’y aborder les différentes questions inhérentes à l’équilibre de la nation. Dans un souci de cohésion, d’ouverture et de dialogue. Au lieu de cela, il bascule dans la psychose et la volonté de répression, contraires à l’esprit du texte de l’Union Africaine sur le respect des libertés fondamentales des populations.
Nous appelons donc le président de la République et son gouvernement à :
1 : Modifier le projet de loi sur les dispositions répressives et liberticides
2 : Mettre en place un cadre institutionnel de dialogue entre opposition, parti au pouvoir et société civile
3 : Promouvoir la démocratie en s’abstenant de succomber à des tentations hégémoniques
4 : Engager une modification substantielle de la Constitution afin de substantialiser la décentralisation pour que les régions puissent respirer et se construire conformément à leurs particularités.
L’unité nationale n’est pas une incantation, mais une construction qui demande que l’on cultive la recherche du consensus et non du saupoudrage régional. Le régime du renouveau qui s’auto-congratule d’avoir maintenu la paix constate ici que la paix n’a pas été rentabilisée pour que le pays puisse se développer et créer suffisamment de richesses pour absorber la pauvreté grandissante. Avec une croissance d’à peine 5% en 2014, nous sommes devenus le malade d’Afrique. Car la stabilité et la paix doivent trouver des instruments politiques modernes pour créer des conditions d’efficacité économique et de redistribution des richesses de manière rationnelle. Au lieu de cela, on risque d’assister à un écartement de la norme qui placerait la rhétorique au-dessus de l’action politique !
Loic Mpanjo, Upéciste pensant, membre du comité directeur
Président du Think Tank Kamerun Initiatives