Parfait Siki, journaliste camerounais, affirmait le 22 octobre dernier : « Ben Muna et Fru Ndi ont causé la mort de Grégoire Diboulé. Fru Ndi et Ndam Njoya ont causé la mort de la candidature unique de l’opposition. Fru Ndi et Kah Walla ont failli se tuer pour les inscriptions sur les listes électorales. Tous ensemble, ils veulent tuer les Camerounais »
Tout cela, je ne le savais pas. Les journalistes seraient bien inspirés de faire normalement leur job et de nous tenir au fait de leur scoop à temps ! N’eût été l’anachronisme de cette information au moment de sa publication, Dieu que ma journée du 21 octobre eût été sereine, loin de tout tourment politique. Insensé, va !
Au lieu que, ce jour-là, dès potron-minet, répondant à un appel de l’opposition que je n’avais pas entendu, mais dont tout le monde se faisait l’écho dans les taxi, les bus et dans les unes des journaux, j’enfilai mon plus beau jean (parce que cela s’appelle tenue de combat), chaussai mes « rocafi », irremplaçables pour les longues marches, et me mis à battre consciencieusement le pavé. Je ne suis pas complètement insensé, alors pour ne pas qu’on s’imagine que je marchais parce que je manquais de quelques pièces pour emprunter un taxi, je marquai sur une pancarte : « We don’t want Cameroon to burn, but Biya must go ! »
Va y avoir du baston, me disais-je ! En bon chrétien, je suis passé à la chapelle du quartier où j’ai fait cette prière toute simple au bon Dieu : « Seigneur, toi-même tu as demandé qu’il soit rendu à César ce qui est à César et à Toi ce qui est à Toi-même. Les opposants demandent de marcher, les évêques estiment que non, faut pas marcher. Si c’est bien de marcher, fais en sorte que, au bout de cette marche, papa Biya se soit réfugié en Suisse ou même que pa’ Dipanda n’arrive plus à lire les résultats. Si c’est mal, fais en sorte que mon cadavre criblé de balles du BIR se transforme en dépouille profanée d’un enfant de ces opposants… Et pour ceux qui n’ont pas d’enfants, qu’ils ressentent dans leur chair la douleur des matraques que je m’apprête à recevoir. Amen. »
J’ai marché durant de longues heures, je trouvais le geste beau et noble et nécessaire. Je m’autorisais par-ci par-là une pause-Guigui ou une pause-pipi, j’ai même fait un détour au parcours Vita. Souvent je rencontrais des hommes en tenue, et, je vous jure, le Cameroun n’est plus ce qu’il était. Personne ne m’a interpellé, tous souriaient comme si j’étais un insensé… D’accord, je le suis un peu, mais cela ne s’est jamais vu au premier abord ! Mon idée est que ces gens-là, ils se fichent de savoir si monsieur Biya partira ou ne partira pas. Il serait bien immortel qu’ils n’en perdraient pas le sommeil. Que ce pays est mal fait !
Quand je suis arrivé à la Cour suprême, devant les regards durs des hommes en tenue, qui à ce niveau-là ne semblaient pas partager le même sens de l’humour que leurs collègues rencontrés plus tôt, tant ils paraissaient déterminés à ressembler à des cerbères, j’ai instinctivement baissé mon écriteau. Les opposants ont dit de marcher pas de provoquer. Je n’ai évidemment pas pu rentrer dans l’enceinte de la Cour Suprême. Mais j’ai attendu avec circonspection la proclamation des résultats.
FRU NDI, PREMIER PARMI LES DERNIERS
Le mari de Chantoux, je ne sais pas ce qu’il mastique en permanence, mais il est doué, c’est un docteur en politique non diplômé, je vous jure ! Les résultats-là m’ont mis le moral à terre, c’était trop gros ! Dur à avaler ! Que…Elecam veut nous faire croire que le seul vrai opposant du père-là c’est « Bulletins nuls » ? Si on additionne abstentions et bulletins nuls, qui techniquement désignent la même personne, c’est-à-dire celui qui n’a pas choisi ou a, en tout cas, choisi de ne pas choisir, on obtient un résultat qui est une vraie claque pour l’opposition, aïe ! Valsero et Lapiro de Mbanga, qui avaient appelé à voter blanc, ont été mieux suivis que tous les 22 candidats qui étaient contre le « nnom gui ».
Voici à peu près la configuration qui est résultée du scrutin du 09 octobre dernier. Pour l’ensemble de son œuvre : Ndam Njoya (Avec deux puits de pétrole dans son fief du Noun, il est certain que l’ancien ministre aurait déjà eu des idées indépendantistes). Meilleure révélation : Jean Njeunga (tout ce qui lui manquait, c’est des habits de scène et un nez rouge). Meilleur espoir : Paul Ayah Abine (un vieil espoir qui confine au désespoir et se confine dans deux régions). Meilleur second rôle : Kah Walla (elle doit clarifier ses orientations sexuelles en acceptant de prendre un époux, je lui fais officiellement ma demande en mariage). Meilleur acteur : John Fru Ndi (en dépit de son effondrement, il garde de beaux restes, le fédéraliste de Ntarikon). Pour la photographie, le prix revient naturellement à Garga Haman Hadji qui a illuminé de son sens éthique cette pièce de vaudeville, cette farce, ce navet. Le tout sur un casting et un scénario du meilleur d’entre tous : l’inénarrable Paul Biya.
N’étant qu’un insensé, je n’ai pas pu retrouver dans les archives d’un autre pays au monde, un précédent illustrant l’ascension d’un candidat qui, après avoir eu 0 virgule et des poussières de suffrages a dans la suite de son parcours politique réussi à obtenir la majorité requise pour gouverner. C’est dire si cette élection a encore été une élection pour rien ! On ne sait toujours pas qui pourra bien succéder au père-là. Certes il apparaît de plus en plus évident que ce ne sera pas un membre de cette opposition qu’on a tous vu faire… Mais pourrait-ce bien être un membre de la clownerie de « Congrès » dont on nous a récemment pollué la vue ?
Fru Ndi, c’est un borgne dont des aveugles n’ont pas voulu pour roi, l’éternelle caution démocratique du père-là. Il a réussi cette fois le tour de force d’entuber magistralement les autres leaders de l’opposition qui se sont portés candidats à la présidentielle. Fru Ndi est un mou, il sait faire patte de velours, on l’a vu jouant à « je t’aime moi non plus (tu me n’aimes, je te n’aime) » au Comice agropastoral, avec Biya. Ne l’avait-on pas vu, à Bamenda, qui serrait la main de Biya, avec un sourire ébloui de courtisane extasiée ?
Pourtant il est le meilleur d’entre les opposants, celui en tout cas que les Camerounais ont désigné comme opposant officiel. C’est un infiltré, le meilleur allié de l’establishment, il fera toujours échouer tous les appels de l’opposition, je vous jure. Parce que s’il ne tenait qu’à la grande tragédienne de Kah Walla, le jour-là même, ils seraient allés se gâter à Etoudi. En Côte d’ivoire, Ouattara avait-il patiemment attendu ? Le père-là s’est inspiré de la Côte d’ivoire pour préparer la paix, ils auraient dû s’en inspirer aussi pour faire leur guerre. Ou bien y veulent le pouvoir, ou bien y veulent la paix, faut savoir !
D’ailleurs la coqueluche du tout-Facebook, Kah Walla, qui a quitté le SDF parce qu’elle était trop assurée de son talent politique a bien vu que la politique, ça n’est pas si simple. Il y a ceux qui font vivre le jeu politique, ceux qui l’animent, et il y a ceux qui le gagnent. Façon dont Nganang a pris fait et cause pour elle, je le voyais déjà en futur ministre de la culture, façon dont tous ses coreligionnaires disséminés sur Twitter nous ont abreuvés de son portrait, j’avais tablé sur 5% au bas mot. Qu’aurait-ce été si elle n’avait pas fait une OPA sur le CPP, qui est un vieux parti bien implanté dans sa région ? C’est donc qu’il manque encore aux leaders de connaître leur peuple. Blablatage, c’est pas tout, faut s’associer à des figures sérieuses ou réputées telles, faut faire se rallier les meilleurs, je vous jure !
CAMEROUNAIS, SOYONS COURAGEUX : FUYONS !
Ce 21 octobre, ma peine était à son comble. Je suis rentré, après avoir jeté mon écriteau dans les « sissongos ». Si la honte tuait, j’aurais été frappé d’une foudroyante crise cardiaque, je vous jure ! En rentrant, je gémissais, mes voisins me sont témoins. A tous ceux qui m’approchaient, je demandais de me fiche la paix, ces traîtres de leur race qui, une fois dans l’isoloir, avaient bourré les enveloppes avec le bulletin du père-là, alors que nous avions tous convenu de ce que l’heure était venue pour lui de rejoindre Brenda dans les rives du Lac Léman. Hillary Clinton était allée jusqu’à nous écrire une longue lettre pour qu’on ne vote plus pour lui. Quelques jours plus tôt, j’avais aperçu un avion au-dessus de mon toit, et j’avais naïvement pensé qu’il s’agissait d’une mission de reconnaissance de l’OTAN. Insensé, va !
Le Cameroun n’est pas un pays simple, je vous jure. Dieu y existe si peu qu’il doit lui-même parfois en avoir honte. Le BIR ne m’a pas assassiné, même pas fichu d’être un martyr, le père-là a encore gagné, il n’en finit pas de s’imposer. Mon petit doigt me dit que c’est même par richesse et par ennui qu’il ne se lasse pas d’humilier l’opposition et d’être président. Mais l’autre père qui lisait les résultats, ça l’a seulement dépassé ou bien… ? Il a failli y rester tout seul !
Quand je suis rentré, pâle, défait, et solitaire, je me suis claquemuré dans ma pauvre demeure, avec ma fatigue, ma déception, ma douleur, et trois poulets rôtis. Mes très attentionnés voisins avaient beau s’inquiéter, toquer à tout va à ma porte que seuls leur répondaient les bruits de mes gémissements et des trois volailles qui craquaient sous ma mâchoire furieuse… J’ai toujours un fond de bière sous mon lit, si des fois il me venait une envie subite d’ « accéder à la grandeur ». Alors j’ai comblé ma soif, je me suis couché dans mon lit, et j’ai dormi du sommeil des justes, c’est-à-dire sur mes deux oreilles.
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Maintenant que les opposants ont fait leur part de promesses et ont eu leur « gombo », et que je n’entends plus que des appels au « bruit et [à] la fureur »… Je voudrais savoir… Ils ont dit qu’on devait marcher, j’ai marché, mais le père-là a quand même gagné. Qu’est-ce qu’on fait alors maintenant ? Les réseaux de demande de statut de réfugié, c’est seulement des circuits pour leur famille, ou bien… ? Je crois, moi, que je vais faire une demande d’asile, et en l’état actuel des choses, c’est bien tout ce que l’opposition peut donner à un Camerounais normalement constitué. Si l’opposition demande encore aux jeunes de marcher, faudra leur dire qu’on sait désormais ce que signifie marcher en français de 2011, si la politique doit enlever une plume à un oiseau ou faire manquer à un chômeur en formation un jour d’école, alors c’est pas la peine, je vous jure !
Si avec tout le soleil que je me suis tapé ce 21 octobre, à marcher comme ils avaient dit, si malgré tout ça, on me refuse l’asile politique, mieux le Cameroun, sous tutelle occidentale comme chacun sait, reste conduit par pilotage automatique, mieux je vote pour le père-là en 2018, dût-il nous gouverner à partir de l’au-delà. Au moins ne vais-je plus me perdre dans les affaires de honte que l’opposition nous apporte au corps. Au lieu de s’unir pour gagner par la voix des urnes, elle s’unit après coup pour truander un pouvoir dont elle ne saurait même pas quoi faire ! J’espère seulement, pour finir, que le père-là, qui est agacé par le destin de tout autre enfant que les siens, va mettre les bouchées doubles pour que, partout au pays, l’on respire aussi un peu de cette paix venue des hauteurs d’Etoudi : a-t-il vraiment le choix ?