Le moins connu et le plus étonnant des Africains est sans doute Rimbaud : le poète d’Une saison en Enfer et des Illuminations a été happé par le continent et sa splendeur. Marie-Jo et Michel Butor ont suivi sa piste.
Comment se rapprocher d’un ancien voyageur, comment retrouver ses émotions et tenter de comprendre ce qu’il a éprouvé ? Le poète contemporain Michel Butor s’y est essayé, en mettant ses pas, en Afrique, dans ceux d’Arthur Rimbaud, le fulgurant poète adolescent qui traverse comme une flèche la littérature française de la deuxième moitié du XIXème siècle et la transforme radicalement, définitivement.
Chacun sait qu’après les premières oeuvres publiées, l’aventure dramatique avec Verlaine, l’ennui de Paris le saisit et qu’il part vers l’Afrique, devenir négociant, marchand de tissu, de café, d’ivoire, d’armes à l’occasion… Et qu’il ne reviendra à Marseille que pour y mourir.
La découverte de l’Afrique
De toute sa vie africaine, le poète-négociant ne laisse que de très rares témoignages. Bribes de journaux ou lettres au fil de ses déplacements. « 20 kilomètres. Herna. Splendides vallées couronnées de forêts à l’ombre desquelles on marche. Caféiers. C’est là qu’Abdullahi, l’émir de Harar, avait envoyé quelques turcs pour déloger un poste abyssin, fait qui causa la mise en marche de Ménélik… » et ce sont dans les interlignes de ces notations tantôt émerveillées et tantôt factuelles que Michel Butor loge son propre texte, ses propres découvertes, ses étonnements modernes.
« …Forêts aujourd’hui dévastées par les guerres et les abattages… La culture du café dans cette région a été presque intégralement remplacée par celle du khat. Fumées dans les villages des vallées que nous découvrons alternativement, avec des toits de tôle ondulée que le Soleil fait étinceler. Une des poignées se bloque. Impossible de baisser la fenêtre. Une rafale de vent s’engouffre. Secousses et virages. Corbeaux, pigeons, huppes. Quelques nuages… J’imagine Rimbaud observant dans sa cour les inséparables d’Abyssinie, le barbican barré, l’hirondelle à queue blanche, le corbin de Stresemann. »
Sur la route de Harar
En marge du texte, parsemées comme des souvenirs marquants, quelques rares photos, dont une, l’entrée de Harar, retient particulièrement l’attention. Des hommes qui marchent, nombreux, le sol brille, il a dû pleuvoir ? Quelques rares voitures, les toits de tôle ondulée, les murs de parpaings, des bâches qui protègent quelques commerces de rue, l’activité d’un jour ordinaire. C’est là que Rimbaud a vécu, des mois, des années. Actif, entreprenant, emporté par la vie, sur ces routes entre Djibouti, Harar, Addis-Abeba…
Depuis Harar, il écrit aux siens le 15 avril 1888 : « Je me trouve réinstallé ici, pour longtemps. J’établis un comptoir français, sur le modèle de l’agence que je tenais dans le temps, avec cependant quelques améliorations et innovations. Je fais des affaires assez importantes qui me laissent quelques bénéfices… Je me porte bien, j’ai beaucoup à faire et je suis tout seul. Je suis au frais et content de me reposer, ou plutôt de me rafraîchir, après trois étés passés sur la côte… » Tout cela est un peu contradictoire, un peu écartelé. Mais le flou de la photographie est voulu, c’est un excès d’exactitude dans la restitution du sentiment éprouvé…
Et il semble soudain que « l’homme aux semelles de vent » ait trouvé là un équilibre. « C’est trois ans plus tard, le 7 avril 1891, qu’il quittera définitivement Harar sur une civière », conclut Michel Butor.
Au total, un livre étonnant, sans apprêt, sans effet, sans révélation spectaculaire, mais qui nous fait rentrer dans l’intimité de ces deux époques de l’Ethiopie, à un siècle de distance… Butor, comme d’habitude, sans prétention, sans avoir l’air de faire des phrases, campe sa littérature dans la vie vraie. Un superbe hommage à Rimbaud.
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