Afin de répondre à ses propres impératifs de production et de voir sa mère jouir du courant dans sa cuisine, l’entrepreneur burundais Serge Vyisinubusa a offert un barrage électrique à son village de Mayoni, dans le Sud du pays. Une démarche inédite et solidaire qui illumine le quotidien de ses concitoyens depuis plus d’un an.
Serge Vyisinubusa, la cinquantaine, est entrepreneur depuis le « bas âge », dit-il. Sa réussite fait de lui quelqu’un « qui fait ce que font les vaches », selon l’expression consacrée au Burundi pour évoquer l’opulence et la générosité d’un individu. Malgré lui, l’homme d’affaires qui dirige une entreprise agro-pastorale employant plus de 160 personnes, est devenu depuis plus de deux ans le premier producteur privé d’électricité dans le pays. « La loi le permet depuis 2000 », rappelle-t-il. « J’étais dans le besoin, il y avait un besoin dans ma famille – j’ai songé à mère -, chez les gens que je côtoie depuis mon enfance.», explique-il. Dans un pays où on pense que c’est « l’Etat (qui) donne l’électricité, mon barrage est une révolution » que le Président burundais est venu saluer. En février 2008, Serge Vyisinubusa recevait Pierre Nkurunziza sur son barrage construit « sur la rivière Muhororo dans la commune Songa, sur la colline Jenda en province de Bururi ». Un souvenir ému pour le businessman. « Quelle joie de recevoir et de fêter avec le Président dans ma famille ! A 80 ans, ma mère a une cuisinière. Mieux que ça comme joie en Afrique rurale, on meurt. » Le chef de l’Etat lui attribuera un prix d’excellence et fera de lui un modèle que perpétue dans son pays le Prix Harubuntu des porteurs d’espoirs et de richesses africains qui l’a distingué en décembre 2009 dans la catégorie entrepreneuriat.
L’électricité, au nom de sa mère et de tous les siens
A l’origine de ce projet d’électrification inédit, des motivations aussi bien économiques, sociales que personnelles. Après des études de commerce et de gestion des coopératives en 1979, il devient notamment le chef des approvisionnements à l’hôtel Novotel (appartenant au groupe français Accor). Sa vocation commerciale est née de cette expérience. Il voulait être « utile ». « J’ai appris à connaître les besoins de mes clients et, surtout, je me suis rendu compte de la triste réalité : le faible pouvoir d’achat des Burundais ». Son entreprise agro-pastorale, qui emploie plus de 160 personnes, est fournisseur de denrées alimentaires et de produits laitiers. Parmi ses clients, notamment l’armée burundaise. « J’approvisionne en lait Bujumbura (la capitale), qui est à plus de 100 km de chez moi. Mais sans frigo, ma production se détériorait avant d’arriver aux clients. Mon barrage hydroélectrique résulte d’un impératif : il me faut un frigo, alors il me faut l’électricité sur la colline ». Le projet prendra forme grâce à l’appui d’un ingénieur. « J’ai placé mes vieux fûts, l’eau a coulé ».
D’une puissance actuelle de 10 kwh (elle pourrait atteindre 35 kwh), le barrage alimente quelque cinq ménages, dont la famille de Serge Vyisinubusa. Manyoni est un village où l’habitat est dispersé : chaque foyer est donc perché sur une colline, dans son « ingo » (enclos), comme on dit en Kirundi.
Raccorder tout le monde à l’électricité, ce sont des coûts additionnels à un investissement initial de 8 000 euros. Serge Vyisinubusa, qui fournit déjà l’éclairage public, espère que la communauté bénéficiera de l’électricité au fur et à mesure. D’autant qu’elle n’en a pas les moyens de se l’offrir. « J’ai investi un pourcentage de mon chiffre d’affaires et je suis fier quand je pense à ma mère dans sa cuisine. Ce n’était pas pour gagner de l’argent que j’ai fait ce barrage. Même dans dix ans, les gens n’auront pas les moyens d’acheter le courant. Ce qui m’a servi, c’est de pouvoir fabriquer des produits semi-finis, conserver ma production et monter une société d’électrification », reconnaît Serge Vyisinubusa. L’homme est également à la tête d’une Association pour le développement intégré (ADI) qui gère et distribue sans intérêt des crédits-semences. Il lui arrive aussi de porter caution pour des parents démunis qui ne peuvent pas scolariser leurs enfants. « Chez moi, la porte est ouverte », affirme Serge Vyisinubusa. Un homme avec qui la richesse se transmet comme du courant électrique.