La FIDH et la Ligue ITEKA condamnent avec la plus grande fermeté l’attaque du camp militaire de Mukoni par des hommes armés non-identifiés le 24 janvier et les opérations de représailles des autorités au sein de l’armée contre les soldats tutsi des ex-Forces armées burundaises (FAB).
Au cours de cette répression, au moins un ex-FAB a été assassiné par les services de sécurité et entre 15 et 25 autres ont été arrêtés. Certains ex-FAB ont été torturés et sont toujours détenus au secret. 20 personnes ont été condamnées, dont 18 à 30 ans d’emprisonnement, à l’occasion d’un procès expéditif tenu le 26 janvier. Cette répression ciblée laisse penser que les dynamiques génocidaires à l’œuvre au Burundi se poursuivent, dans un huit clos de plus en plus total.
Nos organisations exhortent les autorités burundaises à y mettre un terme immédiat et appellent la communauté internationale à prendre ses responsabilités pour dissuader la commission de tels crimes notamment par l’adoption de sanctions ciblées et un embargo sur les armes. Alors que le Burundi a gelé depuis presque 6 mois sa coopération avec les Nations unies, la Commission d’enquête internationale des Nations unies se doit toutefois d’enquêter sur toutes les violations, notamment sur leur dimension ethnique, et d’identifier leurs auteurs.
« En l’absence de procès impartial et de preuve tangible sur les responsabilités de l’attaque du camp de Mukoni, force est de constater que les autorités burundaises mènent des actions de représailles à l’encontre des ex-FAB encore présents au sein de l’armée burundaise. Le ciblage d’ex-FAB, du seul fait qu’ils sont des militaires tutsi, constitue une opération d’épuration qui ne fait que renforcer les dynamiques ethniques de la crise burundaise.», a déclaré le président de la FIDH, Dimitris Christopoulos.
« Des agents de l’État ont encore commis des actes de barbarie en toute impunité et dans le plus grand secret. Au regard des violations commises au Burundi et en l’absence d’une justice indépendante, il revient à la Cour pénale internationale d’ouvrir rapidement une enquête sur les crimes contre l’humanité commis depuis avril 2015, afin d’y mettre un terme et de poursuivre leurs auteurs », a déclaré Anschaire Nikoyagize, président de la Ligue ITEKA.
Des enquêtes indépendantes et impartiales sont plus que jamais nécessaires pour continuer à documenter les violations graves des droits humains commises au Burundi, dont certaines sont constitutives de crimes contre l’humanité. La Commission d’enquête internationale des Nations unies sur le Burundi, mandatée par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en septembre 2016 et que nos organisations ont rencontré en janvier 2017, doit notamment s’attacher à enquêter sur la répression ciblée des ex-FAB et à identifier les auteurs de ces crimes dans le but qu’ils soient tenus responsables de leurs actes et d’enrayer l’impunité.
Nos organisations rappellent que, depuis le début de la crise au Burundi, plusieurs dizaines d’ex-FAB ont été arrêtés, détenus, torturés, ont parfois disparus ou ont été exécutés. Ils sont la cible des autorités du fait de leur appartenance à l’ethnie tutsi et parce qu’ils sont perçus comme opposés au régime de Pierre Nkurunziza et aux forces qui lui sont loyales.
Les faits documentés par nos organisations
Dans la nuit du 23 au 24 janvier 2017, des tirs ont été entendus à proximité du camp militaire de Mukoni, situé dans la province de Muyinga, au nord-est du Burundi. D’après des témoignages d’habitants et des sources militaires, le camp a été attaqué par un groupe d’hommes armés non identifié vers 2 heures du matin. La gouverneure de la province de Muyinga, Aline Manirabarusha a confirmé l’attaque. Pourtant, le porte-parole de l’armée, Gaspard Baratuza, a nié cette version des faits et indiqué le 24 janvier qu’une patrouille militaire avait rencontré un groupe de « voleurs » aux abords du camp et déjoué une « tentative de vol à main armée » sans qu’aucun tir d’arme à feu n’ait été échangé. Plus tard dans la journée, il a déclaré dans un tweet posté à 2h31 qu’à la suite d’une opération de ratissage près du camp, des armes, dont quatre kalachnikovs, avaient été saisies par les forces de défense nationale (FDN) et « cinq suspects appréhendés ».
L’attaque a été revendiquée par un groupe armé, Malibu-FPS (Front patriotique du salut). Dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux le 24 janvier, le Malibu-FPS affirme avoir « lancé une attaque armée contre le camp militaire de Mukoni à Muyinga, causant de lourdes pertes aux forces gouvernementales », et qu’ « ils ont pu atteindre le magasin d’armement […] et emporter 27 armes de gros calibres [notamment] ». Le FPS ajoute « s’être replié vers les collines avoisinantes, après qu’une centaine de miliciens Imbonerakure et de policiers accourus pour secourir le camp, aient été signalés par les éléments guetteurs du Front ». Nos organisations n’ont pas pu confirmer l’existence de ce groupe ni les faits détaillés dans ce communiqué.
Plus tard dans la nuit, une vaste opération de répression a été menée par les services de sécurité burundais au sein des forces armées. D’après des informations de terrain, entre le 24 et le 26 janvier, une quinzaine de militaires a été arrêtée dans cinq camps militaires, dont quatre éloignés de Muyinga et situés dans des provinces différentes : au camp de Mukoni, à Muyinga ; au camp Mutukura, dans la province de Cankuzo, à l’est ; aux camps militaires de Ngozi et Kirundo au nord ; et à Gitega dans le centre du pays. Nos organisations ont pu établir une liste des 15 militaires arrêtés et qui sont détenus dans différentes prisons du pays. Selon nos informations, au moins 10 autres militaires ex-FAB ont été arrêtés après l’attaque du camp de Mukoni et sont toujours détenus. 7 d’entre eux ont comparu devant un tribunal, et la majorité des autres est détenue au secret. Tous ces militaires appartiennent aux anciennes Forces armées burundaises (FAB), et sont de l’ethnie tutsi. Les autorités doivent rendre publique la liste complète des personnes arrêtées dans le cadre de cette affaire, faire la lumière sur la situation de ces militaires et garantir le respect de leurs droits humains.
D’après des sources militaires, un groupe d’ex-FAB a dans le courant de la nuit du 24 janvier été conduit par des agents du Service national de renseignement (SNR), notamment Ignace Sibomana, le responsable des renseignements militaires et Gérard Ndayisenga, le chef du SNR à Muyinga, dans une forêt de la localité de Rusengo, à 2km du camp. L’un de ces militaires, l’adjudant François Nkrunziza, chargé de l’administration du camp de Mukoni, a été torturé afin de livrer des noms de soldats ex-FAB, supposément impliqués dans la rébellion armée. Il a par la suite été décapité. Deux autres individus dont l’identité demeure toujours inconnue ont également été exécutés. Des observateurs affirment que leurs corps ont été enterrés dans une fosse commune qui serait depuis surveillée par des membres des Imbonerakure, la ligue de jeunes du parti au pouvoir. Un autre groupe de soldats a été conduit sur le même lieu, peu après que ces militaires ont été assassinés. Ils y ont été interrogés et torturés afin de corroborer les noms cités par François Nkurunziza. La tête de François Nkurunziza a été brandie devant certains militaires en signe de menace. Plus tard, des soldats de ce deuxième groupe ont été conduit au bureau du SNR à Muyinga et à nouveau torturés. Certains ont été frappés, notamment aux fesses et au dos, ont eu les testicules broyés, les doigts écrasés avec une pince et/ou ont été forcés de manger des matières fécales. Nos organisations ont reçu des photos qui corroborent ces informations.
Le 26 janvier, 20 personnes, dont au moins 7 militaires, ont comparu devant le Tribunal de Grande Instance de Muyinga pour « tentative de vol en bande organisée et détention illégale d’armes ». Le porte-parole de l’armée avait pourtant indiqué que cinq suspects seulement avaient été arrêtés et remis à la police. Parmi les accusés, sept militaires ex-FAB, un policier et 12 civils, dont deux employés de la Croix Rouge du Burundi arrêtés dans un bar de la Croix Rouge situé non loin du camp de Mukoni. D’après un témoin, le « vol » en question n’a jamais été évoqué au cours de l’audience. Les accusés ont plutôt été interrogés sur leur collaboration supposée à un mouvement armé et structuré au sein des FDN, ce qui est contraire à toute procédure légale.
Tous les accusés ont été privés du droit élémentaire de bénéficier de l’assistance d’un avocat. D’après les informations recueillies par nos organisations, plusieurs militaires entendus lors de l’audience, qui s’est tenue à huit clos, présentaient des signes évidents de torture et n’avaient pas reçu de nourriture depuis leur arrestation. Certains ont comparu alors qu’ils pouvaient à peine se tenir debout du fait des tortures subies. La ministre de la justice, Aimée Laurentine Kanyana, a affirmé à Radio France Internationale (RFI) à la suite de l’audience que les accusés avaient comparu dans des conditions « tout à fait normales », qu’ils « ont été traités d’une façon humaine » et qu’ « ils n’ont pas été malmenés », ce que contredisent les enquêtes de nos organisations. Les autorités sont tenues de mettre un terme immédiat aux actes de torture perpétrés par leurs forces de sécurité conformément à la Convention des Nations unies contre la torture dont le Burundi est partie, fournir une assistance médicale de toute urgence aux détenus qui ont subi de tels actes et garantir l’intégrité physique et morale des détenus ainsi que le droit à un procès équitable des accusés.
Nos organisations ont eu accès à la copie du jugement, datée du 27 janvier. Elle indique que 18 des accusés ont été condamnés à 30 ans d’emprisonnement et à payer une amende 5 millions de francs burundais (environ 2 700 euros) pour tentative de vol à main armée et détention illégale d’armes à feu. Dans le cas où les détenus seraient dans l’incapacité de payer cette amende, ils seraient condamnés à 55 ans d’emprisonnement. Cette peine n’est en rien proportionnelle à l’accusation de vol pour laquelle les accusés comparaissaient. Les deux employés de la Croix Rouge ont été condamnés à une amende 100 000 francs burundais (environ 50 euros). L’infraction dont ils seraient coupables est « de ne pas avoir alerté [les autorités compétentes] pour empêcher la commission d’un crime », ce qui ne correspond à aucune infraction définie dans la législation burundaise. Le bar de la Croix Rouge a été fermé pour une durée de trois mois. Les 20 détenus vont comparaître en appel à une date qui demeure inconnue. Les droits des accusés ont de toute évidence étaient bafoué au cours de ce procès expéditif et nos organisations appellent les autorités burundaises à annuler le jugement et à organiser un nouveau procès, conforme aux règles nationales et internationales en la matière.
A la suite du procès, les militaires détenus ont été reconduits dans différentes prisons du pays, notamment à Bururi, Rumonge, Ngozi, Bujumbura et Muramvya. Un observateur burundais a rapporté à nos organisations que « cela complique beaucoup le travail d’enquête et de documentation », ajoutant que « cette stratégie de dispersion rend plus difficile l’établissement d’une liste des personnes arrêtées et détenues et, potentiellement, des personnes disparues ».
Le 31 janvier, 124 burundais ont été extradés de République démocratique du Congo jusqu’à Bujumbura, la capitale du Burundi. Ces burundais, qui avaient quitté le pays du fait de la crise, étaient détenus depuis plus d’un an à l’est de la RDC et présentés par les autorités congolaises comme des personnes en situation « irrégulière ». D’après des observateurs présents à Bujumbura, ces 124 burundais ont été arbitrairement détenus dans des locaux du SNR, où ils ont été interrogés, très probablement sur leur collaboration présumée avec des groupes armés rebelles. A la lumière des éléments récents et des actes de torture commis systématiquement par les agents du SNR sur les détenus qu’ont documenté nos organisations, la FIDH et la Ligue ITEKA sont extrêmement préoccupées par la situation de ces individus et appellent les autorités à respecter leur intégrité physique et psychologique et à s’abstenir de tout usage de la torture ou toute autre forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Ils ont été transférés à la prison de Mpimba, à Bujumbura où ils demeurent arbitrairement détenus, d’après les dernières informations recueillies par nos organisations.
Contexte
Le Burundi est secoué par une grave crise depuis avril 2015 dont le bilan est alarmant : plus de 1 000 personnes tuées, 8 000 détenues, 300 à 800 personnes disparues, des centaines de personnes torturées, plusieurs centaines de femmes victimes de violences sexuelles. Plus de 360 000 personnes ont fui le pays. Dans le rapport, Burundi : une répression aux dynamiques génocidaire, publié en novembre dernier, la FIDH et la Ligue ITEKA indiquaient que les crimes commis dans le pays, en majorité par les forces gouvernementales, constituaient des crimes contre l’humanité et que les conditions de la perpétration d’un génocide étaient en place.
En septembre 2016, un rapport des Nations unies soulignait déjà que « des violations graves des droits de l’Homme ont été et sont commises principalement par des agents de l’État et ceux qui sont liés à eux », et que « ces violations graves sont systématiques et constantes et l’impunité […] omniprésente », et concluant qu’« étant donné l’histoire du pays, le danger du crime de génocide est grand ». Peu après, les autorités burundaises ont suspendu toute coopération avec les Nations unies et le président Nkurunziza a promulgué une loi prévoyant le retrait du Burundi du Statut de la CPI.