Burkina : les crèmes éclaircissantes interdites de publicité


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Peau éclaircie (illustration)
Peau éclaircie (illustration)

Les publicités pour les produits de beauté « éclaircissants » seront désormais interdites au Burkina Faso. Dans ce pays où s’éclaircir la peau est devenu un véritable phénomène de société, le Conseil Supérieur de la Communication entend limiter cette réalité et prendre des mesures concrètes. Car ces crèmes qui dépigmentent l’épiderme, au premier abord inoffensives, peuvent entraîner de graves conséquences pour la peau si elles sont utilisées abondamment.

Par Louise Simondet

La sanction a été sans appel. Fini les réclames vantant les mérites des crèmes « éclaircissantes » au Burkina Faso. Le Conseil Supérieur de la Communication (CSC) a rendu son verdict et a décidé d’interdire, des supports télévisuels et écrits, toute publicité axée sur ces produits de beauté. Car pour ressembler aux modèles publicitaires, qui affichent un teint de lait, les femmes burkinabés n’hésitent pas à recourir à des produits toxiques pour dépigmenter leur épiderme. A coup de crème décolorante, elles détruisent leur santé et bousillent leur peau. Par cette suspension, l’instance de régulation espère limiter ce phénomène de société, qui touche une bonne partie des pays africains.

Un fléau qui prend des proportions alarmantes, notamment au Burkina. « C’est une décision essentielle car ces produits portent atteinte à la dignité de la femme, estime Luc Adolphe Tiao, président du CSC. Cette interdiction fait suite à l’application d’une loi : le code de la publicité. Celui-ci stipule dans les articles 40 et 41 que les spots publicitaires faisant référence à des produits cosmétiques éclaircissants ne peuvent bénéficier de publicité. » Selon le communiqué du CSC, l’instance de régulation de l’information a invité les agences de communication à respecter scrupuleusement le code de la publicité et à « prendre conscience de leur responsabilité sociale ».

Le mythe de la femme claire

« Ces publicités sont dégradantes pour la femme. Elles transmettent un message qui porte atteinte à sa personne. Plus une femme à la peau claire, plus elle est censée plaire aux hommes. C’est un critère esthétique ancré dans les mœurs au Burkina. Ces spots donnent de mauvaises habitudes aux femmes », souligne le ministère de la Protection de la femme du Burkina. « C’est un problème social et culturel qui renvoie au complexe de la femme noire. Elle voudrait inconsciemment ressembler à une occidentale. Alors qu’elle devrait être fière de sa carnation, elle l’a nie en se décapant la peau. Elle rejette ce qu’elle est et c’est en cela que ces produits portent atteinte à sa dignité », souligne Luc Adolphe Tiao.

Comme l’explique le président du CSC, les hommes contribuent aussi à attiser cette fièvre de la peau blanche en demandant à leur femme d’utiliser ces produits. Des raisons sociales et économiques poussent aussi ces femmes à se badigeonner corps et visage. « Le célibat est vécu comme un drame. Le mariage est primordial. Résultat : les femmes font tout pour se rendre désirables en vue de trouver un mari. Elle sont prêtes à faire le sacrifice de leur peau », développe Mariam Lamizana, présidente de l’association la Voix de la femme au Burkina.

Des produits dangereux

Matraquage publicitaire productif. Le désir de ces femmes, de se rapprocher des exigences esthétiques du moment, fait les choux gras de nombreuses entreprises cosmétiques qui se font de l’argent sur leur peau. « Toutes ces enseignes tirent profit de la couverture médiatique que peut offrir la télévision. La publicité influence les femmes. C’est l’un des facteurs de cette utilisation abusive de produits de beauté dangereux, indique Luc Adolphe Tiao. C’est aussi, pour toutes ces firmes, un moyen de s’enrichir. Les pays étrangers, comme les Etats-Unis, déversent leurs produits en Afrique. C’est une honte. »

« Cela fait une dizaine d’année que ces crèmes prolifèrent au Burkina. Les femmes n’en ont pas toujours conscience, mais elles prennent des risques en les utilisant abondamment », souligne Mariam Lamizana, ancienne ministre de l’Action Sociale et de la Solidarité Nationale. « La Clé », « Skinlight », « Bodylight » ou encore « Métissé », font partie des produits interdits par le CSC. La plupart du temps, ils contiennent des substances nocives comme des corticoïdes, des dérivés mercuriels ou encore de l’hydroquinone. Utilisés de façon copieuse et répétée, « ces produits attaquent l’épiderme et leur effet prolongé aboutit progressivement à la suppression de la mélanine, jusqu’à l’épuisement du système immunitaire », précise Luc Adolphe Tiao.

« Ces crèmes enlèvent le teint et laissent des taches », poursuit le ministère de la Protection des Femmes du Burkina Faso. Amincissement de la peau, problèmes de cicatrisations, lésions locales, hyperpilosité, acnés, autant de complications auxquelles s’exposent ces femmes. Plus grave encore : « Ces cosmétiques peuvent provoquer des brûlures, souligne le président du CSC. Pour certaines femmes qui en ont appliqué avec trop de vigueur, elles ne peuvent plus se mettre au soleil ». Selon Mariam Lamizana, « ces produits contiendraient des substances cancérigènes et pourraient engendrer de graves maladies comme par exemple le diabète. Des applications fréquentes et sans modérations pourraient même entraîner la mort. »

Ne pas se limiter à l’interdiction de la publicité

« Mon opinion est mitigée face à cette suppression, explique Mariam Lamizana. Pub ou pas, les femmes vont continuer à utiliser ces produits. Cette interdiction ne résout pas le problème. Pour avancer, il faudrait en interdire la commercialisation. Le vrai fond du problème, c’est l’éducation des femmes. Interdire n’est pas une solution. Ce n’est pas suffisant. C’est avant tout un problème psychologique. Les femmes n’assument pas ce qu’elles sont ».

« Nous avons conscience que le mal est plus profond », souligne le président du CSC. L’instance de régulation propose par ailleurs d’engager une procédure au Parlement, en vue de faire adopter un texte qui définirait une signalétique pour protéger les jeunes. Elle doit aussi lancer dans les mois à venir une campagne de sensibilisation pour informer des risques encourus. « Il est aussi envisageable de faire une enquête sur ce phénomène pour pouvoir le cerner en vue de le contrôler », poursuit Luc Adolphe Tiao. Autre solution imaginée par Mariam Lamizana : « Il faudrait faire des émissions avec des dermatologues. Qu’ils expliquent les conséquences et montrent des cas concrets. Il faut aller plus loin ».

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