Au Burkina, le Syndicat national des travailleurs des débits de boisson organise la sixième fête de la bière, du 28 avril au 8 mai. Pour cette édition, les mineurs n’auront pas le droit de boire du breuvage alcoolisé, pour éviter les accidents de la route et autres bagarres. Mais l’application de cette nouvelle disposition promet d’être olé-olé…
Les mineurs qui voulaient s’enivrer lors de la fête de la bière vont être déçus. Le Syndicat national des travailleurs des débits de boisson (Synatb) a décidé d’appliquer un nouveau règlement pour cette manifestation, qui se tiendra du 28 avril au 8 mai au Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (Siao). « La loi au Burkina Faso interdit la fréquentation des débits de boisson aux mineurs de moins de 18 ans, accompagnés ou non, et les tenanciers ne doivent pas leur servir d’alcool. C’est cette règle que nous comptons appliquer », précise Félix Bambara, président de la Synatb. Un revirement qui s’explique notamment par les dérives liées à la consommation abusive de bière lors des précédentes éditions.
Bières de 18% à 20% moins chères
Il faut dire que cette fête, placée sous le thème « expérience et efficacité », représente une occasion en or de boire à moindre coût, une aubaine pour les petites bourses. « En créant cette fête, nous voulions créer un échange entre les tenanciers de débits de boisson et la Brakina (Brasseries du Burkina, ndlr), qui nous fournit les produits. Mais l’idée était aussi de nous rapprocher des consommateurs et de leur offrir un produit de 18% à 20% moins cher que d’habitude. Par exemple, sur le marché, une bière Castel de 65 cl coûte, en fonction des endroits, environ 650 FCFA. Mais sur le site, nous la vendrons à 450 FCFA », commente Félix Bambara.
A ce prix-là, les jeunes ont afflué. « Certains font leur première expérience avec la bière lors de cette fête. D’autres font des économies à l’approche de cette fête pour pouvoir s’abreuver autant qu’ils le veulent », avertit le Professeur Jean-Gabriel Ouango, secrétaire général du ministère de la Santé. Et, au fil des années, l’évènement a pris de l’ampleur. Au départ, la fête, qui se déroulait à la Maison du peuple, comptait « une dizaine de bars et cette année il y en aura entre 40 et 50. De plus en plus de gens font le déplacement », assure le président de la Synatb.
Plus d’accidents et d’intoxications
Comme la popularité ne vient jamais seule, des problèmes ont suivi. « Des jeunes ont abusé de la boisson et il y a eu pas mal de débordements que l’on n’a pas pu contrôler », reconnaît Félix Bambara. Relancé sur la nature des « débordements », il poursuit : « Les pompiers et l’hôpital, avec qui nous avons eu des contacts, nous ont rapporté des cas mineurs. On nous a souvent signalé des accidents de la route, mais c’est difficile de les attribuer à la fête, car les gens peuvent très bien avoir pris une bière ou deux ailleurs ». « Les chiffres augmentent un petit peu, mais nous n’avons pas de statistiques. Toutefois, il faut noter qu’il y a d’autres fêtes qui ne s’appellent pas ‘fête de la bière’ et où les gens boivent. Comme le jour de Noël ou le 1er de l’an, où nous notons une légère hausse des accidents », ajoute un responsable des urgences traumatologiques de l’hôpital Yalgado.
Le Professeur Jean-Gabriel Ouango estime, quant à lui, que la fête de la bière a des conséquences néfastes. « En tant que médecin, j’affirme que cette fête pose des problèmes car nous avons beaucoup plus d’accidents de la circulation, d’intoxications liées à la surconsommation et des problèmes de santé aggravés ou naissant à cause de la prise excessive d’alcool. La situation est d’autant plus grave que la plupart des Ouagalais se déplacent sur des engins deux roues à l’équilibre assez précaire, alors quand on a deux ou trois bières dans le corps… ». Un constat que fait aussi la police de Ouagadougou, ajoutant au tableau les « bagarres ». Des parents et des associations se sont d’ailleurs plaints de voir les jeunes rentrer ivres, poussant le Synatb à envisager l’arrêt de la fête.
La police sera-t-elle à la hauteur ?
Envisager seulement, car ils ont préféré s’attaquer aux causes des dérives. Les organisateurs de la fête, qui feront de la sensibilisation pendant les dix jours, ont demandé à la police de leur prêter main forte pour contrôler les âges. Ils se sont délocalisés au Siao, pensant que cela permettra aux forces de l’ordre d’assurer plus facilement la sécurité, l’espace y étant clos. Et ils ont expliqué aux tenanciers de ne pas servir les jeunes dont ils doutaient de l’âge, à moins qu’ils ne présentent une pièce d’identité. Des mesures accueillies chaudement par le ministère de la Santé, qui, selon Jean-Gabriel Ouango, a requis des hôpitaux qu’ils se « préparent à recevoir plus de gens ».
La police sera-t-elle prête à temps et les officiers suffisamment nombreux ? « C’est seulement hier (mardi, ndlr) que le Synatb nous a saisi. Nous devons préciser quelle sera notre mission. […] On verra tout cela peut-être demain », explique, très serein, Alain-Joachim Bonzi, commissaire de police la ville de Ouagadougou. Il indique qu’au minimum une cinquantaine d’hommes pourraient être mobilisée au Siao et aux alentours et que la police mène d’ores et déjà une action de sensibilisation envers la population.
Conscient de la difficulté de la tâche qui leur incombe, notamment celle de déceler les vrais mineurs, le commissaire met en garde contre certains risques. « Cette année, on peut craindre qu’autour du Siao les gens saouls et qui ne se contrôlent pas peuvent être agressés. Quant à ceux qui sont conscients, ils risquent aussi d’avoir des problèmes car la fête finira à 22h. Mais nous allons tout faire pour minimiser ces à-côtés », confie Alain-Joachim Bonzi. Jean-Gabriel Ouango est assez pessimiste. « Il n’y aura jamais assez de policiers : il en faudrait tout au long des rues ! ». Et de conclure : « A terme, je pense vraiment que l’on va finir par interdire cette fête, qui dure en plus sur dix jours ! »