Burkina Faso : Un Décret contesté, une nation en quête de stabilité


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Ablassé Ouédraogo
Ablassé Ouédraogo

Au Burkina Faso, le décret N°2023-0475 du 19 avril 2023, signé par le Président de la Transition, Ibrahim Traoré, et visant une mobilisation générale pour la défense du territoire, suscite une vive réaction à travers le pays. Alors que le contexte sécuritaire complexe justifie des mesures exceptionnelles, l’application de ce décret entraîne des critiques et des inquiétudes, notamment en raison de ses répercussions sur différentes couches de la société. Des voix s’élèvent, de la société civile aux partis politiques, mettant en lumière les tensions et les défis auxquels fait face la nation dans sa lutte contre l’insécurité et pour la préservation de ses valeurs démocratiques.

Décret de Mobilisation Générale : Contexte et Contenu

La mise en œuvre du décret N°2023-0475/PRES-TRANS/PM/MDAC/MATDS/MJDHRI portant mobilisation générale et mise en garde du 19 avril 2023 ne laisse pas indifférent au Burkina Faso. Des voix s’élèvent de toutes parts pour dénoncer des réquisitions ciblées..

Le 19 avril 2023, le Président de la Transition, le capitaine Ibrahim Traoré a signé le décret N°2023-0475/PRES-TRANS/PM/MDAC/MATDS/MJDHRI portant mobilisation générale et mise en garde. Lequel décret stipule en son article 1er : « la mobilisation générale et la mise en garde, pour une période de douze mois, en vue de défendre l’intégrité du territoire national, de restaurer la sécurité sur l’ensemble du territoire national, de restaurer la sécurité sur l’ensemble du territoire et d’assurer la protection des populations et de leurs biens, contre la menace et les actions terroristes ».

Et l’article 5 de préciser les catégories de personnes concernées par la mobilisation générale : les membres des forces de défense et de sécurité ; les membres des forces de défense et de sécurité en position de non-activité ; « les jeunes gens de 18 ans ou plus, non-membres des forces armées nationales, physiquement aptes, appelés à s’enrôler selon les besoins exprimés par les autorités compétentes ».

Une application du décret vivement critiquée

Si les Burkinabè en général n’ont pas condamné la prise du décret qui intervient dans un contexte sécuritaire difficile où des régions entières du Burkina Faso sont contrôlées par des terroristes, sa mise en œuvre soulève des vagues, tant dans la société civile que dans les milieux politiques. Lundi dernier, la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B) et d’autres organisations de la société civile ont donné de la voix pour dénoncer ce qu’elles appellent « une réquisition massive et ciblée ». Pour le secrétaire général adjoint de la CGT-B, « le pouvoir du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) veut ainsi bâillonner nos organisations sous le couvert de réquisition ».

Le Cas d’Ablassé Ouédraogo : Un Exemple Controversé

Vendredi, c’est au tour du parti Le Faso Autrement de Ablassé Ouédraogo de monter au créneau, à la suite de la diffusion sur les réseaux sociaux de la réquisition de son président. La réaction du parti à travers un communiqué de presse a été vive. « Pour l’heure, l’information n’émane pas d’une source officielle. Dr Ablassé Ouédraogo, qui est en déplacement à l’étranger depuis trois semaines, n’a reçu aucun document ni aucune notification de réquisition à personne. En tout état de cause, Dr Ablassé Ouédraogo ne se sent nullement concerné par cette réquisition qui est illégale », lit-on dans le texte.

Pour les responsables du parti, Ablassé Ouédraogo n’appartient pas à la catégorie de personnes ciblées par le décret du 19 avril 2023. Puisque le texte vise les jeunes. Or, rappelle le communiqué, selon la définition des Nations unies, « les jeunes constituent la tranche d’âge comprise entre 15 et 24 ans, et au Burkina Faso, la politique nationale de la jeunesse considère comme jeune toute personne dont l’âge est compris entre 15 et 35 ans ».

Dès lors, les responsables du parti Le Faso Autrement voient en cette réquisition visant Ablassé Ouédraogo, « une sanction et une répression pour ses prises de position et ses analyses objectives et constructives sur la gouvernance et la situation nationale dans [leur] pays, qui est et doit demeurer un Etat de droit, avec sa constitution et ses institutions ». Par la même occasion, le parti condamne les réquisitions visant « les hommes politiques, les syndicalistes, les journalistes, les acteurs de la société civile et autres pour éteindre leurs voix ».

Le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) réagit aussi

Le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC)  a également publié un communiqué de protestation contre la manière dont les réquisitions se font. il parle de « réquisitions ciblées de citoyens ». Puis précise que « la qualité des personnes concernées qui, pour la plupart, sont des journalistes ayant des opinions critiques vis-à-vis du pouvoir, des hommes politiques et leaders d’opinions dont des membres du collectif d’organisations syndicales et de la société civile qui avaient annoncé la tenue d’un meeting pour à la fois commémorer le 9e anniversaire de l’insurrection populaire d’octobre 2014, et le 8e anniversaire de la résistance populaire victorieuse au coup d’État de septembre 2015 et interpeller le gouvernement sur certains aspects de la gouvernance » ne laisse point la place au doute sur « les motifs réels de ces réquisitions ».

Le communiqué est clair : le gouvernement veut utiliser les réquisitions pour faire taire toute voix critique de son action. Les responsables du Réseau estime que cette façon de faire est contraire à l’esprit du décret qui doit être plutôt un instrument au service de la lutte contre le terrorisme.

Le mouvement BUTS rompt le silence

Les remous suscités par les réquisitions ont motivé la sortie médiatique du Mouvement Burkinabè unis pour une transformation sociale (BUTS) à travers un communiqué de presse aussi. Sur bien des points, le BUTS s’inscrit dans la même logique que le REN-LAC. « Le Mouvement Burkinabè unis pour une transformation sociale (BUTS) suit avec beaucoup d’inquiétude la montée progressive de la tension sociale suite aux réquisitions de leaders d’organisations syndicales, d’organisations de la société civile ainsi que de journalistes », commence le communiqué.

Le BUTS fustige le fait que le décret du 19 avril qui devrait être source de « cohésion sociale » devienne plutôt un « facteur de division ». Un état de choses en lien avec le fait que « des personnalités issues des organisations et de la société civile qui avaient appelé à un meeting d’interpellation de commémoration du 9e anniversaire de l’insurrection populaire le 31 octobre dernier, des hommes politiques connus pour leurs prises de positions sur la gestion de la transition ainsi que des journalistes [aient] été réquisitionnés et cela sans que les raisons objectives de leur interpellation ne soient connues ».

En procédant ainsi, l’objectif fixé par les autorités et qui a présidé à la prise du décret risque d’être dévoyé, et le décret « vidé de sa substance noble ». C’est la raison pour laquelle le BUTS rappelle aux autorités de la transition leur « responsabilité première de créer un environnement national apaisé, condition d’un engagement collectif et enthousiaste de tout citoyen à contribuer à la libération de son pays contre les hordes terroristes ».

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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