Les Burkinabè boudent le riz local, lui préférant le riz importé, moins cher. Les producteurs nationaux, dos au mur face à une concurrence qu’ils jugent déloyale, montent au créneau. Ils dénoncent les conséquences de l’aide internationale et revendiquent la qualité de leur céréale. Ils réclament à l’Etat des mesures protectionnistes pour sauver la filière.
Par Bagassi Koura
Dans les rizières du Burkina, on ne rit plus. Augmentation des coûts de production, manque de ressources, manque de compétitivité, absence de soutien étatique conséquent… L’heure est grave. Les quelque 90 000 tonnes de production annuelle de riz paddy (riz non décortiqué), qui représentent seulement le tiers de la consommation des Burkinabè, ne tient plus la concurrence sur un marché national, complètement inondé par du riz d’Asie ou d’Amérique. La gravité de la situation a contraint les paysans à sortir des rizières pour dénoncer le libéralisme et l’aide alimentaire pratiquée par certains grands pays.
L’aide internationale montrée du doigt
Les organisations paysannes pointent du doigt l’aide alimentaire pratiquée par des pays comme les Etats-Unis ou le Japon. Depuis 1995, dans le cadre de l’aide bilatérale par exemple, le Japon donne chaque année plus de 6 500 de tonnes de riz au gouvernement burkinabè. La dernière donation a eu lieu en juillet dernier. Les producteurs, qui exigent depuis plusieurs années d’être associés à la gestion de l’aide alimentaire, déplorent les travers des politiques d’aide des pays riches. « Au lieu que l’ambassadeur du Japon aille acheter du riz américain pour venir le donner aux burkinabè, nous aurions préféré qu’un certain pourcentage de ce riz soit acheté ici. C’est la meilleure façon de lutter contre la pauvreté », souligne Théophile Dipama du comité interprofessionnel du riz.
Face à la situation chaotique de leur filière, les paysans ont interpellé le chef de l’Etat, vendredi 17 décembre à Gaoua, (500 km au Sud-Ouest de Ouagadougou), lors de la journée nationale du paysan. Ils ont demandé l’instauration par le gouvernement d’un système de quotas pour l’importation du riz ou une hausse des taxes d’importation. Ils ont aussi demandé la création d’un fonds de soutien à la filière riz et lait. Mais Blaise Compaoré, ne semble pas partager les préoccupations des producteurs. « On nous demande de mettre des taxes pour empêcher l’importation du riz ; et vous aussi vous voulez vendre de l’autre côté ? Si les gens mettaient des taxes sur votre bétail ? » a-t-il ironisé. Sans proposer de solution concrète, le Président a invité les producteurs à chercher les solutions ailleurs.
Le riz taxé seulement 10% à l’importation
« Je ne crois pas que dans le commerce mondial aujourd’hui on gagnerait à ce que tous les pays imposent des taxes pour verrouiller leurs marchés nationaux. Je ne pense pas que ce soit la solution », a conclu le chef de l’Etat. La taxation sur l’importation du riz au Burkina est de 10%. Selon les organisations paysannes, elle est insuffisante pour protéger la production locale. Ils citent en exemple le cas du Ghana, où la taxe à l’importation du riz serait de 20% et celui du Nigeria de 100%.
En fait les paysans dénoncent une concurrence déloyale du riz importé qui est, à leurs yeux, de mauvaise qualité. Quatre-vingt-quinze pour cent du riz importé est de la brisure de riz « que les Asiatiques ne veulent pas manger ou que les Européens donnent aux oiseaux », déplore le père Maurice Oudet, réalisateur du film « L’Afrique en danger », qui dénonce les travers de la politique rizicole du Burkina. La plupart des consommateurs burkinabè sont convaincus que le riz de leur pays coûte cher. Une vision que réfutent les producteurs nationaux. « Vous ne pouvez pas mettre en compétition un riz qui est souvent âgé de plus de sept à dix ans avec un riz de la même saison (c’est-à-dire moins d’un an) et dire que l’un est plus cher que l’autre. Si vous voulez parler de la compétitivité entre le riz national et le riz importé, il faut que les deux aient le même âge. A partir de ce moment, on peut parler de riz qui est cher ou qui est moins cher », explique M. Dipama de l’interprofessionnel du riz.
Consommez burkinabè !
François Traoré, président de la Confédération Paysanne du Faso (CPF) prévient ses compatriotes sur le danger à consommer des vivres étrangers. « Aujourd’hui, si les Burkinabè continuent de ne pas reconnaître la valeur du riz que nous produisons, ils vont créer la dépendance. Un jour notre pays va être surpris de ne pas avoir à manger parce qu’on est dépendant de quelque chose qui vient de l’extérieur », prévient t-il.
Face à cette concurrence qu’ils qualifient de « déloyale », les producteurs nationaux pensent qu’il faut prendre des mesures pour mieux contrôler la qualité du riz qui entre au Burkina. « Pourquoi ne pas exiger que le riz qui entre au Burkina ne soit pas âgé de plus de deux ans ? A ce moment-là, nous verrons si notre riz est compétitif ou non », lance M. Dipama.
Convaincus donc que leur riz est de meilleure qualité, les producteurs burkinabè ont décidé de convaincre leurs compatriotes de « faire le bon choix » en consommant national. Mais la tâche n’est pas facile. Dans les boutiques, les commerçants préfèrent vendre du riz importé, dont la marge bénéficiaire est largement plus élevée.