Le Burkina Faso hésite de moins en moins à emprisonner les exciseuses récidivistes. Une profession qu’elles exercent par respect de la tradition, mais aussi en raison de la pression sociale et parce que les peines encourues ne sont pas assez dissuasives. Des problèmes que résolvent partiellement la sensibilisation et la reconversion des exciseuses.
« Je ne comprends pas ce qui m’est arrivé. Je ne comprends pas pourquoi j’ai recommencé. C’est un peu comme si c’était une fatalité. Je demande pardon et je ne recommencerai plus », affirme, Talato Diallo, qui a pris six mois de prison ferme pour excision. C’est la deuxième fois que cette Burkinabè de 57 ans est détenue à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou pour ce motif. « Ce n’est pas que j’ai oublié mon premier passage en prison, mais la pression sociale m’a poussée à recommencer », poursuit-elle.
« Pression passive du village »
L’excision suit en effet la règle de l’offre et de la demande, ou plutôt de la demande et de l’offre. Tant qu’il y a des parents qui veulent faire exciser leur fille, les exciseuses peinent à déposer les couteaux. Parfois de gré, pour respecter coûte que coûte la tradition, parfois de force. « Il existe une pression passive du village qui la nourrit, la loge et lui fait du chantage en lui disant que si elle n’excise pas, elle aura des problème », confie une source proche du dossier. « Les exciseuses étant au sein d’une communauté, on les menace de les excommunier », ajoute Alphonsine Sawadogo, chef du service coordination et appui au Comité national de lutte contre la pratique de l’excision (CNLPE).
Un risque que ne peuvent courir ces vieilles femmes, à qui il ne reste plus grand-chose et pas de famille pour les soutenir. La pression est particulièrement forte pour les exciseuses renommées et forcément âgées. « Beaucoup ne veulent pas faire exciser leur enfant par des néophytes, alors ils préfèrent se tourner les femmes âgées, parce qu’on se dit qu’elles « ont la main » », commente Adama Sagnon, procureur du Faso près le tribunal de grande instance de Ouagadougou. La cote des vieilles femmes ne tient pas compte de la baisse de leur acuité visuelle qui conduit parfois à une boucherie mortelle.
Peines minimes = récidive
Dans ce contexte, la justice burkinabè a durci le traitement dans ces affaires. « Dans un premier temps, pour sensibiliser, on fait tout pour donner du sursis, concède Adama Sagnon. Avant que les exciseuses ne partent, nous leur expliquons que si elles recommencent, elles purgeront leur peine. Mais, avec la pression du CNLPE, il y a plus de peines fermes que de peines avec sursis qu’avant. »
Notre source anonyme fait une autre lecture de la situation : « Une fois qu’on arrête la personne, on la défère à la maison d’arrêt. Elle fait un mois de prison et ressort parce que les gens craignent que les femmes décèdent en prison. Parfois, le dossier reste bloqué à la gendarmerie et comme les exciseuses ne sont pas sanctionnées, elles recommencent. Je dirais que dans 80% des cas il n’y a jamais eu de vraies condamnations ».
Le CNLPE fait le même constat et se plaint des répercussions sur leurs actions. « Nous rencontrons des problèmes quant à la relaxation des exciseuses trop vieilles et des peines avec sursis qui sont mal comprises : pour les exciseuses, cela équivaut à une relaxe et une autorisation pour recommencer. Alors elles nous narguent car elles se disent qu’elles s’en tirent à bon compte », commente Alphonsine Sawadogo.
Pour cette responsable, « il faudrait revoir les condamnations et mettre l’accent sur les parents ». Actuellement, c’est l’exciseuse qui est la plus durement punie car c’est elle qui conduit l’acte. « Si l’on veut être rigoureux, il faut poursuivre les deux parents. Mais si la peine de l’acteur principal est la même que pour les parents, avec qui va rester l’enfant ? » interroge Adama Sagnon, qui a vu passer en 2006 une vingtaine d’affaires, dans lesquelles cinq ou six personnes étaient impliquées.
Difficile reconversion
Autre dilemme : la reconversion des exciseuses, qui leur permettrait de se détacher des quelques milliers de francs CFA que leur rapporte chaque opération. « Certains donnent de l’argent aux exciseuses pour qu’elles montent des AGR (activités génératrices de revenu, ndlr), mais il ne faudrait pas que cela finisse en chantage, avertit Alphonsine Sawadogo. La sensibilisation se poursuit en prison et lorsque les exciseuses sortent, si elles le veulent, nous les amenons à s’organiser en association ou à en intégrer qui existent déjà pour monter des AGR. Nous ne voulons pas donner des activités gratuitement. »
L’exercice d’une AGR, qui ne concerne que les femmes suffisamment en forme, n’empêche pas les récidives. Mais pour Talato Diallo, incarcérée à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou, l’excision, c’est de l’histoire ancienne. Elle assure que, cette fois-ci, elle ne cédera pas à ceux qui l’ont choyée pour qu’elle « coupe » de nouveau. « Ce qui me fait le plus mal, c’est que mon fils n’arrive plus à se consacrer à son travail parce qu’il vient me voir toutes les deux semaines pour m’apporter le nécessaire », explique-t-elle.
Comment la native du village de Barkounba (Centre-Nord) est-elle aussi certaine de résister à la pression sociale ? « Dieu seul sait la rancœur que je nourris pour ceux qui m’ont poussée à recommencer, mais je ne livrerais jamais bataille contre eux. Je n’ai pas besoin de l’excision pour vivre car j’ai beaucoup de qualités en médecine traditionnelle », raconte la vieille femme. Une chose est sûre, elle n’entend pas faire profiter de ses soins au groupe qui l’a incité au crime.