La vérité ne s’est toujours pas manifestée sur les commanditaires de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Plus de 20 ans après, la justice attend toujours de juger le principal suspect François Compaoré, frère de l’ancien président Blaise Compaoré,
Le 13 décembre 1998, un véhicule carbonisé est retrouvé à environ sept kilomètres à la sortie de Sapouy (100 km au sud de Ouagadougou). Il contient les corps carbonisés de Norbert Zongo, directeur de publication de l’hebdomadaire L’Indépendant, Blaise Ilboudo et Ernest Yembi Zongo. Le chauffeur, Abdoulaye Nikiema est, quant à lui, retrouvé mort à côté du véhicule, brûlé sur la partie inférieure du corps.
L’autopsie révèle qu’ils ont, tous les quatre, été abattus à bout portant. De violentes manifestations et une mobilisation sans précédent de la société civile pour établir la vérité dans cette affaire, avaient contraint le pouvoir à créer une commission d’enquête indépendante(CEI) par un décret du 18 décembre 1998, modifié par décret du 7 janvier 1999.
Cette commission, dotée de larges pouvoirs, avait pour mission « de mener toutes investigations permettant de déterminer les causes de la mort des occupants du véhicule 4X4 immatriculé 11 J 6485 BF.
La commission, après avoir auditionné 228 personnes, a conclu, dans un rapport rendu public le 17 mai 1999, que « Norbert Zongo a été assassiné dans le cadre de ses activités professionnelles ».
Marcel Kafando, le dernier verrou ?
Marcel Kafando, Adjudant-chef, purge actuellement une peine de 20 ans de prison, suite à l’affaire David Ouédraogo. Seul inculpé dans l’affaire Norbert Zongo, Marcel Kafando occupait aux moments des faits, un poste stratégique : patron de la garde rapprochée du Président.
Il demeurait, aux yeux de tous, le seul fil dont disposait le juge Wenceslas Ilboudo (déchargé de tout autre dossier) pour conduire cette affaire, qui depuis 1998 a bouleversé la sphère socio-politique du pays.
Une reconnaissance à titre posthume pour un journaliste atypique
Celui qui avait créé son propre organe depuis juin 1993 était un journaliste sûr de ses convictions. Le virus du journalisme l’avait piqué plus tôt. Dés la classe de 6è, il était le patron du journal scolaire « La voix du cours normal » à Koudougou.
Dès cette époque, il a maille à partir avec les autorités politiques. Le journal est interdit à la suite de la caricature d’une autorité. On trouve que Norbert Zongo et son journal scolaire font de la politique. Après son BEPC, il s’oriente vers l’enseignement primaire, mais n’oublie pas sa véritable passion : le journalisme. Aussi, prépare-t-il parallèlement le Baccalauréat. Après son succès, il se présente avec succès au concours d’entrée à l’Institut supérieur de presse de Lomé et plus tard à l’université de Yaoundé. Après des stages au Canada et en Europe, Norbert Zongo travaille dans la presse étatique où sa liberté de ton dérange. Quand sonne le printemps de la presse privée burkinabé, après la Baule, il écrit dans des journaux privés de la place. Le journal du jeudi et la Clef lui doivent en partie leur embellie de l’époque.
Sommé de choisir entre le privé et l’Etat, et muté arbitrairement à Banfora (441 km de Ouaga, en direction de la frontière ivoirienne), Norbert Zongo décide de franchir le rubicon : il crée son canard en juin 93.
L’Indépendant devient vite le journal le plus lu du pays.
Son credo, le journalisme d’investigation, fait de lui un média courtisé par les uns et les autres et son tirage, qui oscille entre 15 et 17 000 exemplaires par semaine, lui permet de couvrir tout le pays.
Depuis lors, il est le journal burkinabé le plus lu, longtemps après l’assassinat de son fondateur. Norbert Zongo dérangeait. Sa plume acerbe et iconoclaste ne laissait pas indifférent. Il était le porte voix des sans–voix, des déshérités, marginaux, veuves et orphelins. Il considérait que les politiciens jouaient avec l’avenir du pays. Alors il partait en guerre contre la corruption, contre ceux dont la « richesse n’avait pas d’histoire ».
Il pourfendait l’anormal, l’irrégulier. Le pouvoir redoutait ses révélations. Car il était un véritable objecteur de conscience. Sa plume au vitriol avait révélé plusieurs affaires : Le scandale des parcelles, l’affaire CEMOB une compagnie minière étatique victime d’escroquerie, les passe-droits offerts à la nomenklatura, l’existence de cartes électorales multiples, etc…
Son dernier cheval de bataille était l’affaire David Ouédraogo.
En lui décernant le Prix 2001 de l’intégrité de Transparency International, à l’occasion de la 10e Conférence internationale sur la lutte anti-corruption, à Prague, en octobre 2001, le jury a estimé que le journaliste burkinabé, durant toute sa carrière professionnelle, s’est battu avec acharnement contre la corruption et ses avatars.
Cette distinction est la seconde à titre posthume, pour cet homme de presse émérite, après celle du Festival Médias Nord-Sud , à Genève, qui avait primé pour sa 17e édition, en mai 2001, son hebdomadaire , l’indépendant, dans la catégorie prix « presse et démocratie ».
Ces distinctions maintiennent l’aura d’un journal, qui aura été depuis 1998, sous les feux de rampe, avec l’assassinat de son directeur fondateur.
L’indépendant, sous la plume de Norbert Zongo, pourfendait le pouvoir, dénonçait les passes droits et se faisait le porte-voix des opprimés. C’est alors qu’il menait une enquête sur la mort mystérieuse de David Ouédraogo, chauffeur du frère cadet du président Blaise Compaoré, qu’il a été assassiné. Le pays entra alors dans une zone de turbulences.
Aujourd’hui, les commanditaires de l’assassinat de Norbert Zongo restent inconnus, et la justice n’a pas prévu de rouvrir le dossier. Rien ne laisse supposer que l’affaire pourrait connaître de nouveaux développements, même si la famille et le Collectif s’ accrochent à cet espoir.
Tiego Tiemtoré, correspondant d’Afrik.com au Burkina Faso
Actualisation
La justice burkinabè rouvre le dossier après la déchéance de Blaise Compaoré en octobre 2014. Elle procède à « trois autres inculpations et des dizaines d’auditions » selon l’avocat de la famille, Prosper Farama. François Compaoré, frère cadet de l’ancien président, est considéré comme l’un des principaux suspect. Le Burkina Faso attend toujours que la France accepte de l’extrader.
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