Dénonçant les « mesures dilatoires » du gouvernement burkinabè, les membres du Syndicat national des Enseignants-chercheurs (SYNADEC) ont mis à exécution cette semaine leur menace de grève indéterminée, annoncée le 2 Avril dernier dans une lettre ouverte adressée au président Blaise Compaoré. Ils réclament une revalorisation de leur statut et la convocation d’assises nationales sur l’université publique. Mais plus que le spectre de plus en plus réel d’une année invalidée, c’est l’avenir de tout le système universitaire public qui est en jeu.
Notre correspondant au Burkina Faso
L’université de Ouagadougou, l’épicentre du mouvement de la contestation universitaire, est paralysée. Répondant au mot d’ordre de grève, les enseignants des universités et des instituts publics ont massivement abandonné les amphithéâtres et autres laboratoires. « Nous suspendons toutes les activités pédagogiques jusqu’à la signature avec le gouvernement d’un accord pour une revalorisation véritable du statut de l’enseignant-chercheur » déclare formel, Magloire Somé, secrétaire général du SYNADEC.
Cette nouvelle grogne sociale des enseignants a surpris. L’opinion avait cru à une sortie définitive de crise quand, le 2 février dernier, les universitaires annonçaient la reprise des cours, après plus de deux mois de grève. A l’époque, leur syndicat entamait des négociations avec le gouvernement qui, pour détendre l’atmosphère avait satisfait au troisième point de revendication des enseignants en apurant toute la dette sociale des quatre universités publiques du pays. Restaient alors sur la table des négociations, la question de la convocation d’assises pour un réaménagement des universités du Burkina et celle, centrale, de la revalorisation du statut de l’enseignant-chercheur. C’est surtout sur ce dernier point que les négociations achoppent. Les enseignants exigent une revalorisation de leur grille salariale et le rétablissement de certains avantages liés à leur fonction, notamment l’accès au logement, suspendus sous le régime révolutionnaire du capitaine Sankara.
Du côté gouvernemental, on évoquerait l’insuffisance des ressources financières et on rechignerait à accorder un statut particulier aux enseignants-chercheurs, de peur dit-on, d’ouvrir la boîte aux pandores et de créer ainsi une avalanche de revendications auprès des autres corps de la Fonction publique. En outre, le gouvernement évoque le barrage de textes conçus suivant une approche systémique et dont l’éventuel amendement est problématique.
La pérennité de l’enseignement supérieur public en jeu
Les grèves répétées dans le système éducatif burkinabè témoignent d’un malaise profond, affirme Magloire Somé. La fonction d’universitaire n’est plus attrayante et ne suscite plus de vocation auprès des jeunes. La raison : les maigres salaires et le manque de considération sociale. Comparés à leurs collègues de la sous-région Ouest africaine, les enseignants burkinabè sont les moins bien traités. Dans tous les autres pays, brandissent les enseignants grévistes, les autorités ont revalorisé le statut des enseignants-chercheurs dont les salaires ont été augmentés. « En décembre 2008, un assistant nigérien en début de carrière percevait exactement le même salaire qu’un professeur débutant au Burkina. Mieux, depuis Janvier 2009, l’assistant débutant au Niger a un salaire nettement supérieur à celui d’un professeur titulaire burkinabè. Alors que l’assistant nigérien débute avec 520 000 francs Cfa (soit 800€), le professeur titulaire burkinabè gagne à peine 400 000f Cfa (soit 609€) », atteste Magloire Somé.
Les conséquences se font déjà sentir. Des enseignants désaffectent le système public pour les établissements privés, où ils sont des vacataires. La qualité des prestations dans le public en prend un coup. Quant aux plus brillants d’entre eux, ils sont débauchés par des universités et instituts du Nord.
Alors que le personnel enseignant des universités publiques est vieillissant, aucune relève à l’horizon. Déjà 6 ans maintenant que l’université de Ouagadougou cherche vainement à recruter un assistant pour les facultés de droit et d’économie. « Quand on en trouve, il ne reste pas longtemps, préférant aller voir ailleurs. » constate amer Jean- Claude Naba, un enseignant gréviste. Or, selon les estimations des syndicalistes, d’ici 2013, une soixantaine d’enseignants-chercheurs iront à la retraite. En 2016, ils seront 120 à être atteints par la limite d’âge. Au même moment, les contingents de nouveaux bacheliers va grossissant.
Pour la tenue d’assises de l’enseignement supérieur
Les grèves en cascades font planer aujourd’hui le risque d’une année invalidée. Déjà, le CAMES (Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur) organisme de coordination des problèmes de l’Enseignement Supérieur des les pays d’Afrique francophone, mettait les autorités burkinabè en garde quant à la validité de l’année universitaire en cours. Du coup, certains accusent les enseignants de prendre l’avenir des étudiants en otage. « C’est une lutte pour la postérité, parce que beaucoup de professeurs qui sont dans le mouvement, partent à la retraite d’ici 2 à 3 ans. Je ne comprends pas si c’est parce que c’est à l’université qu’on parle des étudiants. Quelque part, à l’hôpital, si le personnel fait grève et les malades meurent, est-ce qu’on se soucie d’eux ? », se défend, Magloire Somé.
Pour une sortie de crise définitive, beaucoup appellent à la tenue d’assises de l’enseignement supérieur au cours desquelles on fera le diagnostic de tous les maux de l’institution. Sans quoi l’institution, estime Christelle, une étudiante, l’université coure à sa perte. Pour le moment, la météo de l’éducation burkinabè n’affiche pas une baisse de température les jours à venir. Déjà, un autre syndicat, celui des enseignants du secondaire et du supérieur (SNESS), annonce vient de déposer un préavis de grève pour les 21 et 22 Avril.