Alors que la première rencontre de la nouvelle équipe gouvernementale au Burkina Faso a eu lieu ce jeudi, le Premier ministre, Christophe Dabiré, dévoile les raisons qui ont sous-tendu le remaniement ministériel. À l’occasion de cette sortie médiatique, le chef du gouvernement a également appelé la classe politique à faire front commun contre l’ennemi. Mais l’appel du gouvernement a été diversement accueilli dans la classe politique et la société civile.
Après les attaques meurtrières consécutives de Solhan et de Barsalogho, la population burkinabè a laissé exploser sa colère, en organisant des marches dans plusieurs localités du pays, comme Dori, Kaya et Titao, et en prévoyant de nouvelles manifestations sur toute l’étendue du territoire. « Des morts et des morts, on n’en veut plus », « Non au délaissement de notre province », « On veut cultiver nos champs », tel est le message d’exaspération adressé par les Burkinabè à leurs dirigeants. Et le Président Roch Marc Christian Kaboré n’a pas tardé à poser un acte fort en limogeant ses ministres de la Défense, Cheriff Sy, et de la Sécurité, Ousséni Compaoré, et en reprenant personnellement en main le portefeuille de la Défense, assisté d’un militaire de carrière, le colonel-major Aimé Barthélémy Simporé.
Au sortir du premier conseil avec la nouvelle équipe gouvernementale, ce jeudi, le Premier ministre, Christophe Dabiré, a ouvertement admis que ce remaniement n’est que la conséquence des deux attaques qui ont frappé dernièrement le Burkina Faso : celle de Solhan et celle de Barsalogho. « L’attaque de Solhan a servi de détonateur car elle a permis de mettre en évidence un certain nombre de dysfonctionnements au niveau de notre dispositif de défense et de sécurité. Et dans la réflexion globale que le chef de l’État a menée, il a intégré cette situation au niveau des décisions qui ont été prises », a indiqué le chef du gouvernement.
Pourquoi le Président Kaboré est-il devenu ministre de la Défense ?
Le Premier explique également que c’est la recherche de l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme sur le territoire burkinabè, à travers une réorganisation de tout l’appareil sécuritaire qui a amené le Président Kaboré à prendre en main le ministère de la Défense : « Cette décision est importante, car elle permet au chef de l’État, qui a été élu par le peuple, de renouer avec le peuple et de recueillir la confiance indispensable pour ce qui concerne la nécessité d’assurer la sécurité des personnes et des biens dans notre pays », a déclaré Christophe Dabiré, avant de poursuivre : « Il (le Président Kaboré, ndlr) prend la responsabilité de gérer désormais la Défense nationale pour pouvoir procéder à une réorganisation interne de l’ensemble des structures chargées de la défense et de la sécurité. Il a décidé d’avoir à ses côtés un officier qui devrait lui permettre de gérer les questions opérationnelles de la défense nationale ».
« Réoccuper le terrain »
Selon le Premier ministre burkinabè, l’objectif principal du gouvernement est de mettre en branle toutes les stratégies pour un retour de l’État sur tout le territoire afin de permettre aux populations déplacées de regagner leurs villages. « Nous allons procéder à cette distribution du dispositif sécuritaire au niveau national et faire en sorte que notre volonté de réoccuper le terrain pour permettre aux personnes déplacées internes de pouvoir retourner sur leur territoire, que ce retour-là puisse se faire dans de bonnes conditions », a rassuré Christophe Dabiré. De ce point de vue, les autorités burkinabè ont du pain sur la planche, car des pans entiers du territoire sont contrôlés par des groupes djihadistes. « Au-delà des 120 kilomètres autour de la capitale, l’État n’a plus la main. Plus de 8 000 écoles ont été fermées », avait indiqué, à la veille de la dernière Présidentielle au Burkina Faso, Bakary Sambe, politologue et directeur du think tank Timbuktu Institute ainsi que professeur à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis, au Sénégal.
« Aller de façon unie contre le terrorisme »
Pour atteindre l’objectif que le gouvernement s’est fixé dans la lutte contre le terrorisme, les autorités et la population doivent faire front commun contre l’ennemi. C’est ce qu’a martelé Christophe Dabiré, à la suite du président de la République. « Aujourd’hui, notre pays a besoin d’aller de façon unie contre le terrorisme. Quand le pays est en danger, il faut qu’on se donne les mains pour combattre l’ennemi. L’opposition a le droit de marcher, mais nous disons que la question qu’il faut se poser : est-ce que c’est le moment ? Nous avons dit qu’il sera mieux de reporter et revenir à la table de négociation », a insisté le chef du gouvernement.
Sur la question du maintien des marches ou pas, l’opposition et la société civile paraissent, aujourd’hui, divisées. Pour Eddie Komboïgo, le leader de l’opposition au régime Kaboré, il n’est pas question d’accéder à la requête du gouvernement, en suspendant les marches prévues, car le tout ne suffit pas de changer les ministres : « Nous ne demandons pas de saquer qui que ce soit, nous demandons des mesures qui ramènent la paix. Nous marchons pour protester contre la mal-gouvernance du Président Kaboré mais également pour soutenir les forces de défense et de sécurité et en compassion avec les personnes déplacées. C’est pourquoi nous devons réussir cette marche dans les 45 provinces », a-t-il affirmé.
Pour sa part, Me Guy Hervé Kam, coordonnateur du mouvement Servir et non se servir (SENS), a revu sa position, estimant qu’il faut donner une chance à la nouvelle équipe gouvernementale : « Le plus important dans pareille situation, c’est l’unité nationale. Tous les Burkinabè sont d’accord qu’il faut un signal fort, un signal est donné et à partir de ce moment, il est peut-être de la responsabilité de la classe politique notamment, de ne pas manipuler les questions sécuritaires à des fins politiques. Je pense qu’il faut donner toutes les chances à ce remaniement de produire ses effets ».