La décision du gouvernement militaire de transition du Burkina Faso de suspendre la diffusion de France 24 viole le droit à l’information émise par des médias libres et indépendants, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le gouvernement devrait immédiatement lever cette suspension et permettre à cette chaîne d’information d’émettre.
Dans un communiqué daté du 27 mars 2023, Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo, ministre de la Communication du Burkina Faso, a annoncé la suspension de France 24, chaîne de télévision française d’information internationale, pour avoir diffusé le 6 mars dernier un entretien avec Abou Obeida Youssef al-Annabi, le chef autoproclamé du groupe armé islamiste Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Dans ce communiqué, M. Ouédraogo accuse France 24 de « servir d’agence de communication pour ces terroristes » et d’offrir « un espace de légitimation des actions terroristes et des discours de haine ». France 24 a publié le 27 mars un communiqué rejetant ces « accusations sans fondement qui mettent en cause le professionnalisme de la chaîne ».
« Les autorités burkinabè devraient lever l’interdiction de diffusion de France 24 et mettre fin aux tentatives visant à réduire au silence les médias critiques », a déclaré Mausi Segun, directrice de la division Afrique de Human Rights Watch. « La grave situation sécuritaire au Burkina Faso ne doit pas servir de prétexte pour restreindre les droits fondamentaux du peuple burkinabè à rechercher et à avoir accès à l’information par le biais d’organes de presse indépendants ».
Le Burkina Faso connaît une flambée de violences commises par des groupes islamistes armés. Les attaques perpétrées contre les civils par des groupes armés alliés à AQMI et à l’État islamique dans le Grand Sahara se sont intensifiées depuis 2022, alors que les forces de sécurité de l’État et les groupes armés progouvernementaux ont mené de nombreuses opérations de lutte antiterroriste qui ont été elles-mêmes accompagnées d’abus. Ces violences ont provoqué le déplacement de 1,9 million de personnes. Les dirigeants des deux coups d’État militaires consécutifs de 2022 ont invoqué l’incapacité du gouvernement précédent à faire face à l’insécurité croissante dans le pays.
La suspension de France 24 intervient alors que les autorités burkinabè tentent de plus en plus de restreindre les activités des médias indépendants et que le sentiment anti-français ne cesse de croître. Le 3 décembre 2022, les autorités avaient déjà suspendu la diffusion de Radio France Internationale (RFI) pour de supposées fausses informations et pour avoir donné la parole au chef d’un groupe armé.
Le gouvernement militaire de transition du Mali avait précédemment suspendu la diffusion de programmes de RFI et de France 24 en mars 2022.
La suspension de la diffusion de France 24 par le gouvernement militaire enfreint la législation du Burkina Faso. Un décret de 2013 confère au Conseil supérieur de la communication (CSC), l’organe chargé de réguler les activités des médias, le pouvoir de décider de la suspension ou de la sanction d’un média. « C’est au CSC qu’il revient de prendre des sanctions à l’encontre des médias, et non au gouvernement », a déclaré à Human Rights Watch un avocat burkinabè spécialisé dans les droits humains. « Le CSC est également censé notifier ses décisions à l’avance et toutes ses décisions finales peuvent faire l’objet d’un appel devant les tribunaux compétents ».
Dans une autre déclaration en date du 27 mars, Ouédraogo a accusé le quotidien français Libération de jeter le discrédit sur les forces armées burkinabè avec son enquête sur une vidéo qui aurait été filmée sur une base militaire à Ouahigouya, dans la province du Yatenga, montrant des corps d’enfants au sol, avec sur les lieux des hommes portant des uniformes similaires à ceux de l’armée burkinabè.
Plusieurs journalistes ont déclaré à Human Rights Watch qu’un « climat de peur et d’oppression » caractérisé par un « mélange d’intimidation, de harcèlement et de surveillance » de la part des autorités burkinabè rendait leur travail difficile, voire impossible.
Dans une déclaration en date du 27 mars, Peter Stano, le porte-parole de l’Union européenne, a exprimé sa préoccupation au sujet de la suspension de France 24, affirmant que « la lutte contre le terrorisme est compatible avec la liberté de la presse et la liberté d’informer ».
La liberté d’opinion, la liberté de la presse et le droit d’accès à l’information sont garantis par l’article 8 de la Constitution du Burkina Faso, amendée en 1991, et par l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP). En vertu de la déclaration de 2019 de la CADHP relative aux principes de la liberté d’expression et de l’accès à l’information en Afrique, les limitations à l’exercice de ces droits ne sont autorisées que si elles sont prévues par la loi, servent un but légitime et sont nécessaires et proportionnées.
Le Burkina Faso a ratifié en 1999 le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), dont l’article 19 protège le droit à la liberté d’expression. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, le comité d’experts indépendants qui à l’autorité d’interpréter le PIDCP, a déclaré que les interdictions générales de publication ne sont jamais admissibles, à moins qu’un contenu spécifique indissociable puisse être légitimement interdit.
« Les récentes tentatives d’affaiblissement des médias indépendants remettent en question l’engagement déclaré du gouvernement militaire burkinabè en faveur d’une transition vers un régime démocratique », a conclu Mausi Segun. « Les autorités devraient rétablir la liberté des médias au Burkina Faso, en annulant immédiatement les restrictions illégales à la liberté d’expression. »