A Paris les 7 et 8 décembre 2016, les bailleurs de fonds et les investisseurs privés réunis à l’initiative du gouvernement du Burkina Faso ont promis des financements. Plus de 18 000 milliards de franc CFA, soit 23 milliards d’euros, ont été annoncés, ce qui finance l’entièreté du Programme national de développement économique et social (PNDES) sans recours aux ressources propres.
L’opinion, notamment sur les réseaux sociaux, s’est bipolarisée quant à l’appréciation de ce magot. Les uns ont vu en cette opération une opportunité de relancer l’économie grabataire, pour les autres, c’est la souveraineté nationale qui est bradée. Faut-il en jubiler ou rougir ? Le challenge se situe plutôt au niveau des conditions à créer pour une gestion optimale de ces ressources.
L’atmosphère politique du Burkina Faso ces trois dernières années a fortement plombé l’économie. En effet, depuis 2013, année du début des manifestations qui ont emporté le régime Compaoré, les investissements directs étrangers ont chuté. L’onde de choc de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 a également mis à nu le caractère rentier de l’économie, eu égard, d’une part, à la relation incestueuse entre les sphères économique et politique, et, d’autre part, à la main mise sur tous les secteurs lucratifs par la famille Compaoré. Ces pratiques sont-elles à jamais révolues ?
L’élection du nouveau président de la Chambre de commerce et d’industrie a révélé que certains des candidats auraient pour mentors de hautes personnalités politiques. Cela laisse penser que les anciennes pratiques ont la peau dure. Pourtant ce sont ces situations qui ont conduit des entreprises pourvoyeuses d’emplois à mettre la clé sous le paillasson. Ces éléments contextuels montrent la nécessité de reconstruire le tissu économique sur des bases plus saines, qui ne faussent pas le jeu de la concurrence.
un niveau de corruption significatif
Selon l’indice de perception de la corruption de Transparency international, le Burkina Faso est classé à la 76è place au plan mondial et occupe la quatrième place en Afrique de l’ouest pour l’année 2015. Bien que le score du « Pays des Hommes intègres » stagne depuis quatre ans, cette vue globale de l’état de la corruption est l’arbre qui cache la forêt.
La corruption électorale à l’origine des pratiques clientélistes dans la gestion du pouvoir a toujours pignon sur rue. Son niveau de banalisation lors des derniers débats électoraux du 22 mai 2016 en a sidéré plus d’un. La prévarication est toujours ancrée dans les pratiques de l’administration publique et du secteur privé. Bien que selon l’indice Mo Ibrahim de la gouvernance, le Burkina Faso soit au-dessus de la moyenne africaine avec un score de 51,8 sur 100 avec la 23è place sur 54 en 2015, le défi de la « bonne gouvernance et de la qualité des institutions » mentionné dans le PNDES a toute sa pertinence.
C’est justement à ce niveau que la vigie de la société civile et de la presse révèle sa pertinence. La montée au créneau de l’opinion publique dans « l’affaire des tablettes » qui a obligé l’Assemblée nationale à faire profil bas en rétrocédant au gouvernement ces « cadeaux » est un bel exemple de contrôle citoyen à exalter. Bien en amont, l’Assemblée nationale devrait effectivement contrôler l’action gouvernementale comme il lui est assigné par la constitution. L’institution judiciaire et les organes de contrôle et de régulation de la commande publique sont également incités à s’autosaisir.
L’exigence de transparence est d’autant plus importante que des projets d’infrastructures sont annoncés. On se rappelle encore de la mauvaise exécution en 2002-2003 de la route nationale n°1 reliant les deux grandes villes (Ouagadougou et Bobo Dioulasso), obligeant la reprise des travaux quelques années plus tard. Quid des ouvrages inachevés, qui se dégradent avant leur réception, ou de ces entreprises qui ne respectent pas les délais contractuels ?
Supervisant en février 2014 l’avancement des travaux de l’aéroport de Donsin, le Premier ministre Luc Adolphe TIAO en son temps affirmait : « Je constate avec amertume, qu’il y a des entreprises qui sont loin de pouvoir respecter l’échéance ». Tout récemment, en avril 2016, le Premier ministre Paul Kaba THIEBA, alors en mission de supervision des chantiers entrant dans le cadre de la célébration de la fête nationale du 11 décembre, s’est exprimé en ces termes : « Il y a quelques projets, notamment le stade et les cités qui posent problème, mais je donnerai des instructions pour qu’ils soient prêts un mois avant la date des festivités ». Ces quelques exemples incitent à introduire des clauses plus rigides dans les contrats et spécifiquement, pour les contrats de partenariat public-privé, il faudra veiller à ce que ce ne soient pas des éléphants blancs.
Le quatrième vice-président du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), le parti au pouvoir, annonçait récemment que « L’année 2016 a été difficile ». Il faut en convenir. Le retour des investisseurs et les gages de financement du PNDES sont en soi de bonnes nouvelles. Cependant, avec un tel volume de crédits, l’amateurisme et le laisser-aller dans la gestion des ressources se payeront cash. A chacun d’être un lanceur d’alerte en veillant à la loupe à la mise en œuvre de ce programme. A la presse de veiller également au grain, de signaler les trains qui arrivent en retard. Des indicateurs de transformation structurelle avec des valeurs cibles pour 2018 et 2020 ont été définis aux fins d’évaluation. Ce sont là des outils qui permettront de suivre l’action gouvernementale.
Bemahoun Honko Roger Judicaël, Statisticien/Expert burkinabè en sondages d’opinion.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.