Burkina Faso : des magistrats réquisitionnés par le pouvoir pour aller au front


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Ibrahim Traoré, président de la Transition du Burkina Faso
Ibrahim Traoré, président de la Transition du Burkina Faso

En réponse à des tensions croissantes, le Burkina Faso réquisitionne des magistrats pour combattre au front, soulevant des inquiétudes sur l’indépendance judiciaire.

Au Burkina Faso, le régime militaire dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré est de nouveau au cœur des critiques. Après avoir ciblé les acteurs de la société civile, les politiques et les journalistes, c’est désormais au tour du corps judiciaire de faire les frais des récentes décisions controversées. Le 13 août dernier, au moins cinq magistrats, dont Abdoul Gafarou Nacro, substitut du procureur à Bobo-Dioulasso, ont été réquisitionnés pour servir au front dans la lutte contre les groupes armés. Cette décision, perçue par beaucoup comme une tentative de museler la justice, suscite des interrogations sur l’indépendance des institutions judiciaires au Burkina Faso.

L’ordre de réquisition : une punition déguisée ?

Le 9 août, une missive signée par le colonel Moussa Diallo, commandant des opérations du théâtre national, ordonnait à Abdoul Gafarou Nacro de se présenter au front pour une période renouvelable de trois mois. Ce document, rendu public le 12 août, précise que le magistrat sera détaché au groupement des forces de sécurité du nord, à Kaya. Selon des sources proches du dossier, cette réquisition concernerait également quatre autres magistrats, tous accusés d’avoir « posé des actes qui n’ont pas plu aux autorités ». Ces mesures coercitives, qui s’apparentent à des sanctions déguisées, viennent renforcer les suspicions de contrôle du judiciaire par le régime en place.

Un contexte de tension entre le pouvoir et le judiciaire

Cette réquisition intervient dans un climat de tension croissante entre le pouvoir militaire et les syndicats de la magistrature. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Traoré, les magistrats se sont opposés à plusieurs reprises aux injonctions du régime, dénonçant des dérives autoritaires et des décisions contraires au droit. Lors de son discours de politique générale le 11 juillet dernier, le capitaine Traoré avait clairement exprimé sa volonté de « mettre au pas la justice« , notamment dans le cadre de la lutte contre la corruption. Cette déclaration, perçue comme une menace à l’indépendance de la justice, avait déjà suscité une vive réaction au sein du corps judiciaire.

La relecture du Code pénal : une réforme controversée

Pour asseoir son contrôle sur le système judiciaire, le régime de Traoré envisage également une relecture du Code pénal. Cette réforme, annoncée par le président lui-même, vise à expulser « les corrompus, les vendus et les escrocs » du corps judiciaire. Toutefois, cette initiative est perçue par les syndicats de magistrats comme un moyen de renforcer l’emprise du pouvoir sur la justice, en écartant ceux qui s’opposent aux décisions du régime. Dans ce contexte, la réquisition des magistrats pour le front est perçue par beaucoup comme une mesure de représailles déguisée.

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