« Il n’y pas d’institution forte s’il n’y a pas d’homme fort … l’Afrique a ses réalités », dixit Blaise Compaoré. C’est en ces termes que l’ancien et encore récent président burkinabè avait, cette année-même, balayé d’un revers de main le discours de Barack Obama invitant les Africains à se doter d’institutions fortes. L’ex-Président, désormais expatrié, ne savait pas que l’histoire l’attendrait au tournant… Pour lui démontrer pourquoi c’est l’Américain qui avait raison. Où est passée la popularité dont se réclamait Blaise Compaoré ? Evaporée. Dans quel coin du Burkina se trouve ce peuple sur lequel il comptait pour remporter le référendum constitutionnel? Introuvable.
Chronique de Kodjo Epou
Encore une fin de règne dans l’humiliation. Si la voie démocratique ne redevient pas la règle conformément à l’esprit des années 90, d’autres pays africains entreront dans la tourmente dans les deux prochaines années, surtout les francophones dont les dirigeants ne sont préoccupés que par leur maintien… et à n’importe quel prix, et qui ne partagent la rente illicite du pouvoir qu’avec des proches. Ce n’est pas un pronostic, mais un signe des temps. La solution, la seule, capable de mettre le continent à l’abri de ces soulèvements insurrectionnels hors normes comme on l’a vu au Burkina Faso ces derniers jours, c’est l’organisation régulière de mouvements de personnes à la tête des Etats, par le biais d’élections libres. Les dictatures n’ayant plus d’avenir, ni ailleurs ni en Afrique, il faut que la démocratie marche, celle qui interdit à un individu de s’accaparer des biens de l’Etat pendant des décennies et de s’accrocher contre vents et marrées, celle qui oblige les tenants du pouvoir à rendre compte au peuple qui les aura véritablement élu.
Les peuples qui s’en sortent toujours victorieux
Ce que les palais africains refusent de voir, c’est que lorsqu’éclatent ces révolutions, ce sont, à la fin, les peuples qui s’en sortent victorieux. Toujours. Et non les dictateurs. On a connu dans le passé des cas comme celui du « Zaïre » où le tout puissant chef « Léopard », Désiré Mobutu qui se croyait suffisamment protégé par son armée tribale, s’est retrouvé sans les clés et les gardes de ses arsenaux militaires. La vérité historique – elle n’est jamais démentie – c’est qu’il n’y a pas, dans la plupart de ces cas, beaucoup de fidèles qui acceptent d’offrir gracieusement leur tête pour sauver un chef d’Etat et sa famille dont le peuple ne veut plus. On peut raisonnablement se demander pourquoi alors ces chefs d’Etat amassent-ils tant de matériels de guerre sachant qu’à la fin, leur victoire sur le peuple est illusoire, voire impossible. La leçon burkinabé sera-t-elle retenue, à Libreville, Kinshasa, Lomé, Brazzaville, Yaoundé, Ndjamena et, un peu plus loin, à Paris ?
Pas de doute là-dessus, l’événement qui vient de secouer le pays des Hommes Intègres fera date dans l’histoire des peuples d’Afrique. C’est un stimulus qui ne manquera pas de raviver les révolutions endormies qui avaient, dans les années 90, balayé le continent avec des fortunes diverses. Reste la question de savoir comment les Burkinabés vont gérer l’après-Compaoré. Pourront-ils tirer les leçons des échecs de leurs voisins togolais qui, 24 ans avant eux, s’étaient soulevés avec le même courage contre la dictature d’Eyadema ? Ou, vont-ils, comme ce fut le cas au Togo, laisser des écrémeurs opportunistes récupérer la révolution au profit d’intérêts égoïstes divers ?
Compaoré a un bilan pour avoir viabilisé ce pays enclavé
L’événement dont le Burkina Faso a été le théâtre va longuement marquer les esprits sur le continent. Peut- être faut-il ajouter ce qu’on ne dit pas assez : le président déchu a, malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, changé le visage de son pays qu’il a réussi à sortir de l’anonymat. Le Burkina qui n’était qu’un vaste territoire aride peu fréquenté et sans enjeu est devenu, dans le Sahel, une nation économiquement dynamique, une destination prisée par les hommes d’affaires. Compaoré a un bilan pour avoir viabilisé ce pays enclavé. Il n’y a aucun mal à le dire, malgré ses dérives totalitaires, il était un moindre mal, mais un mal quand même. Son crime principal, c’est de vouloir s’ériger en « Blaise 1er » contre la volonté de son peuple.
Par ailleurs – c’est un phénomène très peu courant en Afrique et il faut le lui reconnaître – l’ancien Président burkinabé a fait preuve d’une grandeur d’esprit, pendant la crise, lorsqu’il a su éviter à son pays un bain de sang là où d’autres, dans la même situation, avaient ou auraient fait le choix extrême d’organiser une résistance meurtrière en s’appuyant sur les services de miliciens et mercenaires glanés çà et là. Il a démissionné plus tôt qu’attendu, sans donner l’ordre de tirer dans la foule.
L’heure est aux revendications, aux tentatives de récupération
A Ouaga, comme on le constate, l’heure est aux revendications, aux tentatives de récupération et, peut-être, à la confiscation des acquis de la révolution. C’est un danger, réel et palpable, qui peut balayer les immenses espoirs nés à la Place de la Nation. Pour les leaders de l’opposition et de la société civile qui ont héroïquement conduit le peuple à faire capituler l’occupant du trône de Kossyam, le temps doit être à une vigilance soutenue. La phase « Blaise dégage »étant accomplie, il leur reste celle du « Tout sauf un militaire ». Les exemples ne manquent pas : une immixtion de l’armée fera fondre la révolution et la transition que les forces vives burkinabé veulent courte et démocratique court le risque de finir comme d’autres transitions ont fini, dans l’amertume et le chaos.