Burkina Faso : Bil Aka Kora remporte un Kundé d’or


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Bil Aka Kora a remporté vendredi dernier, pour la deuxième fois, le Kundé d’or, la plus prestigieuse récompense musicale du Burkina Faso. Le jury a été séduit par le style novateur du chanteur-musicien, qui couple la force et la chaleur de la tradition kasséna à des saveurs plus modernes. Un mélange séduisant sur lequel se couchent des textes pétris d’amour et de faits de société. Interview du père de la djongo musique.

Et le Kundé d’or 2005 du meilleur artiste est… Bil Aka Kora ! Le chanteur-musicien de 34 ans a remporté pour la deuxième fois, vendredi, la plus prestigieuse récompense musicale du Burkina Faso. Sa recette ? La fusion entre les rythmes traditionnels de l’ethnie kasséna et les influences musicales modernes (jazz, reggae, blues…). Un savant, savoureux et séduisant cocktail dénommé djongo musique. Bilgo Akaramata Kora est l’auteur de trois albums (Douatou, Ambolou et Dibayagui), dont il a fait découvrir certains titres au Ghana, au Mali, en France, en Belgique, en Autriche, en Allemagne et au Canada. Le père de la djongo musique revient sur ses débuts et nous explique comment il a donné naissance à un nouveau courant.

Afrik.com : Vous avez remporté, vendredi, le Kundé d’or pour votre dernier album Dibayagui. Quel est votre sentiment ? Quelles autres récompenses musicales avez-vous reçues au Burkina Faso ?

Bil Aka Kora :
C’est le deuxième Kundé d’or que je reçois et je voudrais remercier les partenaires qui m’ont aidé à la réalisation de l’album Dibayagui : le ministère des Arts et de la Culture, l’ambassade de France au Burkina et Mégamonde (société burkinabè, notamment spécialisée dans les télécommunications et l’électronique, ndlr). Sans oublier le public. Cette récompense m’a assez surprise, car c’était le deuxième fois : j’en avais déjà reçu un en 2002 avec l’album Ambolou. Mais j’ai été très content pour le groupe. J’ai tout de suite pensé à lui : nous avons mis tellement de temps à créer cet album ! Ce prix représente une reconnaissance de leur talent. Ce kundé m’a aussi fait plaisir, à l’heure où le coupé-décalé envahit le Burkina Faso. Vendredi, nous avons par ailleurs reçu le prix de la meilleure musique d’inspiration traditionnelle, que nous avions déjà gagné deux fois, et le prix du public.

Afrik.com : Comment avez-vous commencé à faire de la musique ?

Bil Aka Kora :
J’ai commencé à faire de la guitare à Pô, mon village natal, avec Father Ben, un musicien ghanéen. J’étais en 6e. Mais je grattais juste pour le plaisir. Ensuite, j’ai quitté Pô pour Ouaga (la capitale du Burkina Faso, ndlr) pour étudier les mathématiques et la physique. L’orchestre de l’université n’existait plus, mais avec des amis, nous avons restauré les vieux instruments et nous jouions dans différentes facultés et manifestations culturelles pour gagner un peu d’argent. J’ai aussi joué avec des groupes dans les maquis (petits bars de rue, ndlr). En 1997, j’ai remporté le Grand Prix national de la chanson moderne, et c’est là que j’ai décidé de lancer ma carrière.

Afrik.com : Etes-vous le créateur de la djongo musique ?

Bil Aka Kora :
Au Burkina Faso, il y a toujours eu de la musique de fusion. C’est un pays ouvert sur toutes les musiques. Il n’y a pas un genre qui prédomine comme au Mali ou au Sénégal. Nous avons simplement mis à l’honneur les rythmiques traditionnelles kassénas, en travaillant beaucoup l’orchestration et les arrangements. Dans la Djongo musique, on retrouve les percussions kasséna (bendré, lunga…) et l’énergie du chant traditionnel. Mais au départ, le « djongo » est une danse que les hommes dansent pour séduire les femmes et prouver leur vaillance. C’est une danse de force. Elle est accompagnée d’une musique à base de flûtes et de percussions.

Afrik.com : Certains vous cataloguent dans le genre afro-beat. N’est-ce pas pour vous une frustration ?

Bil Aka Kora :
Je ne me définirais pas comme faisant de l’afro-beat, mais comme faisant de la djongo. Certains vont dire que je fais du jazz, du blues, du reggae… Ça me plaît : c’est la preuve que chacun y trouve une émotion, une sensibilité. Le nom importe peu. Tout ce que je souhaite, c’est que ma musique reflète ce que je suis, ce que je ressens, avec mes influences traditionnelles et modernes à la fois.

Afrik.com : Qu’est ce que l’esprit djongo ?

Bil Aka Kora :
Je le résume en trois mots : émotion, sincérité, énergie. C’est ce que nous appliquons avec le groupe, le djongo système. Lorsque nous sommes sur scène, nous sommes à l’écoute les uns des autres, nous partageons. Il faut dire qu’il existe une grande complicité entre nous, car nous travaillons ensemble depuis de nombreuses années. En dehors de la scène, nous nous retrouvons pour répéter, mais aussi pour boire un verre…

Afrik.com : Quel est le but de la société Djongo diffusion ?

Bil Aka Kora :
Au départ, c’était une association qui devait accompagner les jeunes artistes. Car nous manquions cruellement de structures à même de s’occuper des contrats, de faire un suivi des artistes, de monter des dossiers de presse, d’organiser des tournées… Djongo diffusion assure ces rôles. Elle est devenue l’an dernier une société de production. Dia Dra est le premier artiste du nouveau label.

Afrik.com : Djongo diffusion privilégie-t-elle les artistes qui s’inscrivent dans la même mouvance que vous ?

Bil Aka Kora :
Non, c’est l’approche de la scène et l’état d’esprit qui comptent. Dia Dra ne fait pas de la djongo, mais de la musique mandingue ! Nous cherchons bien sûr à faire la promotion de la musique de chez nous. Mais nous sommes prêts à aider tous les jeunes motivés, qui ont envie de faire de la scène et qui font de la musique pour la musique. Pas pour la gloire.

Afrik.com : Dans vos albums, vous abordez beaucoup de thèmes sociaux…

Bil Aka Kora :
Les thèmes que j’aborde paraissent simples à première vue, mais, derrière, il y a toujours des implications plus fortes. Dans « Faiseur de pluie », j’explique qu’avant les techniques de bombardement des nuages, il y avait des gens qui avaient le pouvoir de faire venir la pluie. En fait, il s’agit de réfléchir aux répercussions de la politique sur la tradition, du fait que les chefs traditionnels sont devenus des « seconds » des hommes politiques, au lieu de rester proches de la tradition. Dans « Wèmatou », qui signifie littéralement « Dieu est mon père », je parle du fait que si une femme reste seule pendant longtemps et qu’elle a un enfant, on dira que c’est un bâtard. Mais si un homme fait la même chose, on respectera son enfant. L’idée plus profonde est que les origines sociales ou les « hasards » de la naissance ne font pas la valeur d’un homme.

Afrik.com : La plupart des chansons de Dibayagui, votre dernier album, sont chantées en langue kasséna, parlée par moins de 1% des Burkinabè. Vous n’avez pas peur que votre message passe inaperçu ?

Bil Aka Kora :
Je crois que si les gens aiment ma musique, c’est surtout par rapport à sa rythmique traditionnelle. On retrouve des similitudes de ma musique chez les Bissa et les Mossi (ethnies du Burkina Faso, ndlr), par exemple. La mélodie est universelle. C’est elle qui emporte les gens, qui contient la force et l’émotion.

Afrik.com : Comment composez-vous vos musiques ?

Bil Aka Kora :
Je commence toujours par la mélodie et après je cherche le thème. Donc c’est toujours la mélodie qui guide le choix du texte. En revanche, je fais beaucoup de musiques pour la publicité, les films ou les documentaires. Là, on m’impose parfois le texte. Ce n’est pas évident comme façon de travailler. Mais il faut s’adapter.

Afrik.com : Vous avez joué dans le film Sofia, du réalisateur burkinabè Boubakar Diallo. Comment s’est passée cette première expérience ?

Bil Aka Kora :
Ce qui m’a plu dans ce film, c’est qu’au début c’est un film musical. J’appréciais aussi beaucoup le réalisateur pour son audace. Il est venu me chercher peut-être parce que je suis connu, que le public apprécie ma musique et que j’ai une bonne tête. Au départ, je me suis dit que cela ne serait pas facile, notamment parce que j’ai des problèmes de diction et qu’être acteur, c’est un métier. Mais j’ai beaucoup apprécié cette expérience. Si je devais jouer dans un autre film, je prendrais des cours de théâtre ou de comédie.

Afrik.com : Vous avez composé la musique du film, mais pas écrit les paroles. Pourquoi ?

Bil Aka Kora :
Le français n’est pas ma langue maternelle et j’ai plus de mal à la « torturer » pour faire des rimes ! Tout ce travail me vient naturellement quand j’écris en kasséna. C’est pourquoi les deux chansons en français du film Sofia, qui figurent sur mon dernier album, ont été écrites par Damien Glez.

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