Epargné par les affres de la guerre qui ont meurtri presque la moitié des pays africains, le Burkina Faso a néanmoins connu une histoire politique mouvementée le long de son demi-siècle d’existence. Et malgré de maigres ressources, les Burkinabè ont réussi, à force de courage, à se forger un nom et une place en Afrique. De Maurice Yaméogo à Blaise Compaoré en passant par Thomas Sankara, chronique de l’histoire politique contemporaine du pays, qui a célébré ce samedi 11 décembre son cinquantenaire, à Bobo-Dioulasso, en présence d’une dizaine de Chefs d’Etat.
De notre correspondant au Burkina Faso
Quand le 5 août 1960, la Haute-Volta accède à la souveraineté internationale, peu croyaient à la viabilité de cette ex-colonie française. C’est vrai que la Haute-Volta semblait plus que mal partie. Moins nantie par la nature que ses voisins, cette colonie créée en 1919 sera supprimée et partagée en 1932 entre le Soudan Français (actuel Mali), le Niger et la Côte d’Ivoire, pour n’être reconstituée qu’en 1947. Du reste, son rôle dans l’Afrique Occidentale Française (AOF) ne se cantonnait-il pas à fournir des forçats corvéables à merci, comme le décrivait Albert Londres ? « Haute Volta, dans le pays Mossi. Il est connu
en Afrique sous le nom de réservoir d’hommes : trois millions de nègres.
Lors des chemins de fer Thies-Kayes et Kayes- Niger on tapait dans le Mossi. La Côte d’Ivoire, pour son chemin de fer, tape dans le Mossi. Les coupeurs de bois montent de la lagune et tapent dans le Mossi », écrivait le reporter français au début du XXe siècle. De cette réputation de colonisés laborieux, les Voltaïques indépendants n’ont rien perdu et ont légué l’amour du travail à leurs descendants, devenus bien plus tard Burkinabè. Mais l’histoire du Burkina Faso n’est pas un long fleuve tranquille.
Maurice Yaméogo, le père de la Nation
Père de la Nation voltaïque, le président Maurice Yaméogo, n’aura passé que six ans à la tête de l’Etat. À peine réélu en 1965 avec un score de 99,99%, Maurice Yaméogo soumet les Voltaïques à un régime économique austère. L’ancien séminariste, diminue les salaires de 20%, augmente les impôts et décrète la dissolution des syndicats. Mal lui en prend. Les Voltaïques sonnent la résistance en décembre 1965.
Ils investissent les rues de Ouagadougou et contraignent Maurice Yaméogo à la démission le 6 janvier 1966. Sans gloire, il quitte le pouvoir mais avec le grand mérite d’avoir exigé de la France le démantèlement de sa base militaire en Haute-Volta. Le lieutenant-colonel Aboubacar Sangoulé Lamizana, son propre chef d’état-major, lui succède à la tête de l’État.
Sangoulé Lamizana, Militaire et démocrate
À la tête de la nation voltaïque au nom de l’armée, Aboubacar Sangoulé Lamizana, durcit le régime : la Constitution est dissoute, les partis politiques interdits. Mais pressé par les syndicats, Sangoulé Lamizana, devenu général, assouplit le régime et rétablit le jeu partisan. Lamizana parie alors sur l’attelage civils-militaires pour tirer les Voltaïques de leur misère. Sans grande réussite. À l’élection présidentielle de 1978, la Haute Volta donne une leçon de démocratie à toute l’Afrique. Pour la première fois de l’histoire politique africaine, un président en exercice, militaire de surcroît, est balloté dans un scrutin transparent et régulier qu’il remporte finalement au second tour avec 56,27 % des voix. Si cette élection exemplaire fait parler de la Haute-Volta en bien, les lendemains du scrutin sont moins roses. Le climat social se dégrade. Les bruits de bottes résonnent de nouveau. La Haute-Volta, en ce début des années 1980, entame son long chapitre d’instabilité politique.
Le cycle des Coups d’État de la décennie 80
La Haute-Volta des années 80 a une marque de fabrique : les coups d’État. En moins de sept ans, entre 1980 et 1987, le pays enregistre quatre coups de force qui voient défiler à la tête de l’État quatre militaires. Profitant de l’essoufflement économique du régime du général Lamizana et de ses querelles politiques, le colonel Saye Zerbo se permet de siffler la fin de la récréation. Le 25 novembre 1980, il dépose le général et instaure le Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN), qui fera long feu. Dans l’antichambre du pouvoir, un groupuscule de jeunes officiers s’impatiente.
Parmi eux, les deux hommes qui marqueront les 30 prochaines années de l’histoire politique du Burkina : Thomas Sankara et Blaise Compaoré. Mais ils ne laissent pas encore poindre leur ambition et choisissent plutôt d’envoyer en éclaireur un des leurs, le Commandant Jean-Baptiste Ouédraogo.
Le 7 Novembre 1982, il est porté au pouvoir et instaure le Comité de Salut Public (CSP). Comme premier ministre, il choisit le bouillant capitaine Sankara. Très vite, les divergences entre les deux conduisent à
l’arrestation le 17 mai 1983 de Thomas Sankara, qui sera porté au pouvoir moins de trois mois plus tard par Blaise Compaoré. À Ouagadougou, un quatuor de jeunes officiers, le Commandant Jean-Baptiste Lingani, les capitaines Henri Zongo, Blaise Compaoré et Thomas Sankara, instaure alors la Révolution Démocratique et Populaire.
Thomas Sankara, fier d’être Burkinabè
Quand Thomas Sankara parvient au pouvoir 23 ans après l’indépendance de la Haute-Volta, le pays a gardé presque tout de ses traits de l’époque coloniale. Il a très peu progressé. Les épidémies de méningite et de rougeole font des ravages et les populations meurent de faim. Cette image de pays mendiant écœure le jeune capitaine. Son projet révolutionnaire est radical : rompre avec les traditions et les pratiques moyenâgeuses sclérosantes.
Pour se faire, il rebaptise le pays en 1984. Les Voltaïques deviennent Burkinabè. La Haute-Volta, Burkina Faso, patrie des Hommes intègres. Sankara joue sur l’ardeur des Burkinabè au travail et les invite à retrousser les manches avec lui sur les chantiers de développement
engagés : la bataille du rail, la construction des routes, des écoles, des dispensaires etc. Le message est clair : aucune aide extérieure ne pourra tirer les Burkinabè de leur fange.
Dans sa diplomatie, Sankara n’est pas tendre avec ses voisins Moussa Traoré du Mali, Houphouët Boigny, l’ivoirien, et surtout avec les puissances occidentales, dont la France tout particulièrement. Au bout de quatre ans, essoufflé, le peuple burkinabè ne suit plus le rythme des Révolutionnaires. Les contestations syndicales se font jour. Au sein du Conseil National de la Révolution, de graves divergences idéologiques opposent Sankara à ses frères d’armes. Le dénouement sera dramatique. Familiers des coups de force sans effusion de sang, les Burkinabè découvrent, terrifiés, le Coup d’Etat sanglant. Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara est abattu. Numéro 2 du régime et faiseur de roi,
Blaise Compaoré devient président.
Blaise Compaoré, la palme de la longévité
Parvenu au pouvoir dans des conditions troubles, le capitaine Blaise Compaoré instaure le Front Populaire, censé rectifier les dérives de la Révolution. Ses premières années de règne sont difficiles. Des millions d’Africains lui en voulant pour la mort de Thomas Sankara. Blaise Compaoré s’engouffre dans la brèche démocratique du discours de la Baule. Il opère des changements en proclamant la large ouverture. Il phagocyte ainsi certains de ses opposants les plus irréductibles dans des gouvernements d’union nationale. Sur le plan économique, le pays opte pour l’économie de marché.
En dix ans de règne, Blaise Compaoré parvient à s’attacher la sympathie de ses compatriotes. Sur le plan international, il œuvre à faire de Ouagadougou la capitale de plusieurs rencontres internationales qui viennent s’ajouter à des manifestations déjà existantes comme le Fespaco. Tour à tour, Ouagadougou accueille, entre autres, les sommets de l’OUA, le sommet France-Afrique et surtout l’onéreuse Coupe d’Afrique des Nations. En appoint à toutes ces manifestations, le Burkina travaille à moderniser ses infrastructures d’accueil, densifie son réseau routier.
Blaise Compaoré n’aura jamais été aussi adoubé dans son pays, au point d’être plébiscité de 87% à l’élection présidentielle de 1998. Blaise Compaoré surfe sur une vague de popularité jamais égalée depuis son ascension sanglante au pouvoir. On le croyait alors absout de tous les péchés qu’on lui prêtait. Mais voilà, qu’à quelques jours de son investiture, Norbert Zongo, un journaliste d’investigation, est sauvagement assassiné et brûlé avec trois de ses compagnons d’infortune. Le Burkina prend feu. La désapprobation
populaire est sans pareille. Menée par le collectif contre l’impunité, la contestation prend des allures politiques. Le régime Compaoré est dans une mauvaise posture. En fin stratège politique, le militaire devenu civil subit, fait des concessions. Il accepte la mise en place
d’une commission d’enquête indépendante, échafaude un collège des sages qui travaillent à conjurer la violence comme mode de délibération politique. Le 30 mars 2002, Blaise Compaoré organise au stade du 4 août, la journée du pardon, censée solder tous les crimes de sang commis dans l’exercice d’État depuis les indépendances. Mais elle est boycottée par une partie des victimes qui réclament justice d’abord. Aux législatives de 2002, l’opposition, parvient grâce aux réformes électorales à investir l’hémicycle presqu’à égalité de sièges avec le parti au pouvoir. La contestation de la rue est désormais contenue. Tel un phénix, Blaise Compaoré renaît et reprend la main. La tempête passée, ses fidèles s’attèlent à lézarder l’opposition politique et à verrouiller la loi électorale. A l’assemblée, l’opposition est réduite à sa plus simple expression.
L’intérieur aseptisé, Blaise Compaoré, naguère va-t-en guerre et accusé d’ingérence au Libéria et en Sierra Leone, se taille des costumes de médiateur. Il concilie les Nigériens, pacifie les Togolais, rapproche les Guinéens, tempère les Ivoiriens, joue les intermédiaires dans la libération d’otages occidentaux. Réélu à 81% lors l’élection présidentielle de
novembre 2010, Blaise Compaoré règne en maître incontesté. Mais il est fortement soupçonné de vouloir faire sauter le verrou constitutionnel et perdurer son bail au palais présidentiel. Son crédo : parachever l’œuvre déjà entreprise. Sur 50 ans d’existence du Burkina, Blaise Compaoré en aura passé 23 à la tête de l’État.
Le Burkina est toujours dans les profondeurs du classement sur le développement humain du PNUD. Mais avec le peu qu’il a, ce pays a réussi à se donner un nom, à se faire une place et à vivre mieux que d’autres plus nantis.