Un coup de force pour pas grand-chose, est-on tenté de penser après les événements de Bukavu, mercredi dernier. Le général Laurent Nkunda, actuel homme fort de Bukavu, n’a pas redoré le blason de la communauté banyamulenge pour laquelle il prétend avoir les troupes. Il a plutôt réussi à ternir celui de la Monuc qui confirme qu’il n’y a pas eu de problème de cohabitation entre communautés. Le coup de Bukavu a été condamné par la communauté nationale et internationale.
Par Octave Kambale Juakali
La chute de la ville de Bukavu entre les mains des insurgés banyamulenge, mercredi dernier, a provoqué une explosion de violence dans les milieux estudiantins congolais contre la Monuc (Mission des Observateurs des Nations Unies), dans différentes villes de la République démocratique du Congo. Pratiquement tous les campus universitaires sont en effervescence. A Kinshasa, la capitale, comme à Kisangani, Lubumbashi et Isiro, les étudiants ont convergé vers les installations de la Monuc qu’ils ont saccagées. Trois véhicules ont ainsi été incendiés, mercredi, à Kinshasa, dès l’annonce de la chute de la ville de Bukavu.
Dans les autres villes, les dégâts sont de moindre gravité. Les étudiants accusent la Monuc de complicité avec les insurgés dans leur marche sur Bukavu. « Nous ne pouvons pas comprendre que la Monuc négocie la cessation des hostilités quand les forces loyalistes ont l’avantage du terrain et s’effacent devant l’avancée des insurgés », déclare, fou de rage, Omari Nyembo, étudiant à l’Université libre des pays des Grands Lacs à Goma.
Pas d’exactions anti-banyamulenge
Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, est la ville dont est parti le général Laurent Nkunda, le chef des insurgés du nord, pour rallier Bukavu, 100 km plus au sud. Beaucoup de questions se posent effectivement sur le comportement des éléments de la Monuc qui se sont laissés déborder par les assaillants au niveau de l’aéroport de Kavumu à Bukavu. « Nous n’intervenons pas dans les combats entre les camps rivaux », a expliqué Joseph Lapierre, l’officier chargé de la communication au QG de la Monuc à Bukavu.
La Monuc avait mis en garde toute force armée qui l’obligerait à recourir à sa puissance de feu. Cela n’a pas empêché les forces mutinées de passer sur la ligne de démarcation fixée par la Monuc. Le général Nkunda, qui dit être intervenu pour voler au secours des populations banyamulenge victimes d’exactions et de tueries dans la ville de Bukavu, exige aujourd’hui « le remplacement du général Mbuza Mabe, commandant de la 10ème région militaire, par un autre moins sanguinaire ». Y avait-il un danger réel pour la communauté banyamulenge de la ville de Bukavu ? Rien ne l’indique vraiment, d’autant plus qu’un ressortissant banyamulenge interviewé par Radio Okapi, la radio de la Monuc, a nié qu’il y aient eu des affrontements intercommunautaires. Joseph Lapierre, lui-même, a démenti les allégations qui faisaient état d’un conflit entre communautés locales.
Pourquoi alors, le général Laurent Nkunda a-t-il engagé des troupes aussi solidement armées pour se rendre à Bukavu ? Roger Maheta, un très haut cadre du RCD/Goma, explique que Laurent Nkunda souffre beaucoup de son isolement des rangs de l’armée nationale à la suite de sa participation dans les tueries à grande échelle de Kisangani, en mai 2002. « Il a longtemps attendu la signature des mesures d’amnistie annoncées par le Président de la République.»
Inquiétudes à Butembo
A Butembo, à 300 km au nord de Goma, tous les Congolais restent l’oreille collée sur leur transistor pour suivre, minute par minute, l’évolution de la situation. Depuis 1966, ils se disent fatigués de toutes ces guerres qui leur viennent du sud et pratiquement de la même manière. Ils savent qu’après la ville de Goma, ce sera sûrement le tour de la leur. « Ici, nous ne pouvons qu’accepter avec résignation toutes ces crises successives, estime Mme Marie Visika, de l’ONG Paix et Justice. En moins de dix ans, c’est la troisième fois que les Tutsi-banyamulenge nous apportent la guerre. Fin 1996, ils ont fait la guerre pour revendiquer une citoyenneté prétendument confisquée par Mobutu. En 1998, ils ont pris les armes pour renverser Laurent-Désiré Kabila accusé de dérive totalitaire. Aujourd’hui, ce sont les événements de Bukavu… »
Jeudi, le calme était revenu dans la ville commerçante de Butembo. Depuis, la population prie pour que l’aventure de Laurent Nkunda s’arrête à la ville de Bukavu et ne progresse pas plus au nord de Goma. Les nouvelles qui arrivent du sud sont généralement toutes alarmistes et extravagantes. Les événements de Bukavu semblent avoir compromis, et pour longtemps, les chances de réconciliation entre la communauté banyamulenge et les autres communautés ethniques du Kivu.