L’Europe est blessée, la Grande Bretagne (GB) l’a abandonnée. L’Afrique, bien que hors Union européenne pourrait ne pas être coupée des conséquences de ce retrait. Qu’en est-il exactement ? L’économiste Emmanuel Martin analyse pour Libre Afrique l’impact du Brexit sur le continent africain. L’impact sur le volume des échanges commerciaux risque à ses yeux de déstabiliser les courbes de croissance.
Le Brexit est donc décidé : lors du referendum du 23 juin, les britanniques ont tourné le dos à l’Union Européenne. Trop de bureaucratie, trop de réglementations contraignantes, la peur de perdre leur souveraineté mais aussi la peur des flux migratoires : la majorité a tranché à 52%. Les Africains doivent-ils se préoccuper de cet évènement majeur de la politique européenne ?
Le Brexit aura bien évidemment des conséquences en dehors du Royaume-Uni et de l’Europe. L’Afrique est aussi concernée. Même s’il est à ce jour difficile de prétendre prévoir « ce qu’il va se passer » précisément, quelques possibilités se dessinent.
Une possible récession ?
Il y a d’abord l’impact de l’évolution du PIB britannique. La possible disparition des accords de libre échange avec l’UE pourrait faire chuter l’activité. Avec la peur et l’incertitude liées au Brexit (notamment quant à l’accès au marché européen), nombre d’investisseurs, d’entrepreneurs et de travailleurs pourraient se retirer du Royaume-Uni. Tout cela se traduirait par une baisse du PIB de ce grand marché, aux multiples conséquences pour l’Afrique. Les Britanniques (deuxièmes plus gros investisseurs européens sur le continent après les Français) pourraient alors réduire leurs investissements dans des pays africains. Les consommateurs britanniques quant à eux achèteraient moins aux exportateurs africains. L’exemple des producteurs de roses kenyans très préoccupés est, à juste titre, très souvent mentionné dans les médias.
Le déclin de la place londonienne serait une mauvaise nouvelle pour de nombreuses sociétés africaines, notamment sud-africaines qui sont cotées en double en Afrique du Sud et à Londres.
L’incertitude liée au Brexit pourrait affecter la planète entière, entrainant une récession globale. Ce qui serait évidemment une nouvelle encore plus mauvaise pour les Africains. Notamment en matière de pétrole : la volatilité des marchés financiers combinée au maintien de l’excédent de l’offre de brut par rapport à la léthargie de la demande mondiale, pourrait consolider davantage le trend baissier des cours de pétrole. Les producteurs africains qui se débattent dans la crise, comme le Nigéria, l’Algérie, pourraient en pâtir.
Mais y aura-t-il vraiment une récession ? L’incertitude est une chose, mais le Royaume-Uni est tout de même la cinquième puissance mondiale. L’UE n’a pas intérêt à une attitude protectionniste à l’égard de son ancien membre. Les investisseurs devraient parier sur une attitude raisonnable. D’ailleurs, en quelques jours la bourse de Londres a effacé les pertes subie post-Brexit.
L’incertitude autour des relations commerciales
Bien sûr on ne peut balayer d’un revers de la main l’incertitude liée aux accords de libre-échange signés par l’UE avec le reste du monde, et donc applicables au Royaume-Uni tant qu’il faisait partie de l’Union : ce dernier va-t-il renégocier plus d’une centaine d’accords commerciaux ? La tâche serait pharaonique. Sera-t-il possible de transformer les accords de l’UE, ce qui simplifierait grandement les choses ? Rien n’est certain. Si ce n’est pas le cas, cela signifierait des années de négociations commerciales et leur cortège de gaspillage de ressources. Des pays comme le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Kenya, le Ghana, le Botswana, l’Angola ou le Sénégal, premiers partenaires commerciaux africains des britanniques seraient touchés. Parions ici encore sur le pragmatisme et la raison.
Les 18 pays africains du Commonwealth auront sans nul doute une relation privilégiée avec le Royaume-Uni, relation qui pourra même s’intensifier en dehors des contraintes européennes. Pour autant, le temps de l’Empire est bien mort, et beaucoup en Afrique pourraient résister à ce qui pourrait être perçu comme un effort de néo-colonialisme à un moment où l’Afrique cherche au contraire son unité.
Cependant, il y a plus ennuyeux. Au sein de l’UE, le Royaume-Uni était la voix du libre-échange, de l’anti-protectionnisme et donc favorable aux intérêts commerciaux africains. Les britanniques étaient très critiques des subventions de la Politique Agricole Commune (PAC) et de ses effets désastreux sur les économies très agricoles de l’Afrique. Sans le Royaume-Uni, il y a de fortes chances que la France, traditionnellement protectionniste, en faveur de la PAC et des subventions à ses agriculteurs, donne désormais le La européen. Ce serait une mauvaise nouvelle pour les paysans africains dans leur relation avec l’Europe, même si, d’un autre côté, les britanniques seraient théoriquement plus ouverts. Certains pays africains pourraient d’ailleurs voir là une opportunité de justifier d’une renégociation des APE.
L’aide et l’assistance
Si le PIB britannique souffrait, l’aide extérieure (0,7% du PIB britannique) déclinerait mécaniquement. Dans tous les cas l’aide britannique ne passera plus par les canaux de Bruxelles (sa contribution se monte à près de 15 % du fonds européen de développement). Londres redirigera son aide vers la coopération bilatérale, les pays africains membres du Commonwealth seront sans doute les premiers bénéficiaires. James Duddridge, sous-secrétaire britannique des affaires extérieures et partisan du « Leave », est de l’avis que cela sera une bonne chose, permettant à l’aide britannique d’être plus rapide et effective. L’avenir le dira.
Mais ici aussi les priorités qu’impulsait la présence britannique dans l’UE, vont sans doute changer, la France tentant de tirer la couverture européenne de l’aide vers ses intérêts en Afrique. De même, en matière d’assistance. Le Royaume-Uni s’était par exemple opposé à la baisse du budget européen envoyé à l’AMISOM (mission de l’Union Africaine en Somalie) en février dernier, la France ayant d’autres priorités (comme le Mali). Le Brexit va donc sans nul doute changer la donne de la politique européenne en Afrique. Pour autant une coordination n’est-elle pas envisageable entre l’UE et le Royaume-Uni (comme c’est le cas avec les USA), chacun se spécialisant sur telle ou telle mission en Afrique?
Bref, tout dépendra comment la sortie du Royaume-Uni sera négociée et si le pays reste arrimé au marché européen. Le Brexit pourrait donc ne pas être si catastrophique, même si l’équilibre européen devait se modifier avec plus de poids pour la France. Et peut-être d’ailleurs le Brexit ne sera-t-il pas ? Même les plus fervents partisans du « Leave » appellent désormais au calme et au pragmatisme… Une tempête dans une tasse de thé ?
Enfin, notons tout de même une idée majeure dans tous les commentaires : le déclin des relations commerciales, la montée du protectionnisme européen, tout cela serait une mauvaise nouvelle pour l’Afrique. Effectivement. Mais, de ce point de vue, plutôt que d’attendre que le libre échange vienne de l’extérieur, il faut accélérer les processus d’abaissement des barrières entre pays africains, et s’ouvrir davantage afin de diversifier les partenaires étrangers, et renforcer ainsi la résilience des économies africaines. Dans tous les cas, cela passe par l’assainissement du climat des affaires.
Emmanuel Martin, économiste.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique