Brésil : La représentation des noirs à la télévision


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Dans une entrevue exclusive à l’Observatoire du Droit à la Communication (Observatório do Direito à Comunicação) le publicitaire et directeur exécutif de l’Institut Media Ethnique (Instituto Mídia Étnica) affirme qu’il faut décoloniser les media pour libérer les concepts et des valeurs présentes dans la culture noire.

Selon lui, la structure des media et leur contenu sont extrêmement nocifs à la formation des jeunes et des enfants afrodescendents, puisqu’ils exercent une forte influence sur le mode de vie et de vision du monde. « La tendance est de nier sa propre identité », affirme-t-il. Selon l’activiste, les réflexions sur le racisme doivent nécessairement régler le problème de la conception de la TV publique dans le pays: « On peut tolérer qu’une chaine de télé commerciale ne représente pas le noir, mais il est innaceptable qu’une chaine publique, dont l’objectif est de donner la parole aux divers segments de la société fasse la même chose ».

Ci-dessous les meilleurs moments de l’entrevue:

Observatório do Direito à Comunicação – Le Brésil est connu pour sa diversité, y compris raciale. Cette diversité est – elle présente à la télévision ?

Paulo Rogério Nunes – Cette diversité n’est pas représentée à la télévision car, on continue de valoriser la matrice de pensée et de comportement européenne à la télévision comme dans diverses sphères de la société brésilienne. Les noirs et les indigènes ne sont pas dignement représentés à la télévision : soit ils le sont de manière stéréotypée, soit ils n’apparaissent pas. En fait, une des principales caractéristiques du Brésil est sa diversité culturelle et les diverses contributions des peuples, mais la télévision ne représente pas ces groupes. Cela part de l’idéologie qui fait que les politiques publiques de l’État brésilien et toute la conception au sein de l’école, des universités et dans les médias valorise et privilégie cette matrice européenne. C’est la matrice du colonisateur. Et c’est le Brésil qui sort perdant dans cette histoire parce qu’il ne se connaît pas. En ne valorisant qu’un versant ethnique et racial dans les medias et dans d’autres sphères de la vie, le Brésil perd la chance de comprendre les autres contributions apportées par les africains et par ceux qui étaient déjà ici, c’est-à-dire les indigènes. C’est très grave, car cela donne une fausse image du pays. Le professeur Hélio Santos (économiste de l’USP) dit toujours qu’on voit plus de noirs sur les chaines de télé au Danemark et en Europe en général qu’au Brésil. Notre pays ne pratique pas la diversité, et les institutions comme l’école, l’église ou les media commettent ce racisme insitutionnalisé pour privilégier un type ethnique déterminé et un modèle de beauté, de comportement, et de vie.

ODC – Le racisme qui reste présent au Brésil a-t-il son reflet à la télévision ?

Bien sûr. Quand on y pense, on se rappelle qui était Mussum? Un home noir ivrogne, stéréotype du noir en guenilles, vagabond sans perspective. Dans divers moments de la télédramaturgie et dans d’autres productions de la TV brésilienne, il y a une grande charge de stéréotypes et de préjugés. Il y a une action délibérée qui au-delà de les sous représenter, place les hommes et les femmes noires sommet de l’inégalité, de l’infériorité. Et cela est préjudiciable pour celui qui regarde. Pour le jeune ou l’enfant noir qui est dans un processus de formation identitaire, c’est extrêmement nocif, puisque que cela exerce une forte influence sur le mode de vie et sur la manière de voir le monde. Par conséquent, si nous n’attaquons pas le racisme dans ce cadre de la production, il va continuer à se reproduire à une grande échelle. Il est paradoxal de disposer d’autant d’organisations et des personnes qui parlent de l’inégalité raciale dans le pays et d’avoir une Télévision qui réaffirme les valeurs racistes.

ODC – À quel niveau le racisme se manifeste de la manière la plus évidente?

Il est impossible de dire ou il se manifeste le plus fortement . Il existe une situation institutionnalisée de sous représentation du personnage noir. Des enquêtes récentes démontrent que les télévisions ont à peine 5,5% de présentateurs et de professionnels apparaissant dans les vidéos qui sont noirs. Il y a également une absence de discussion sur la culture noire. Pendant longtemps, on a appris à l’école que le noir fut passif durant le processus de colonisation et d’esclavage dans le pays, que la science et les arts et tout ce que l’être humain à réussi à produire l‘a été par les européens. C’est un mensonge que le Mouvement Noir et la société dénonce depuis les dernières années et que la Télévision doit également dénoncer . Il est nécessaire de raconter les histoires des grands leaders noirs, des scientifiques noirs, de montrer les contributions que les média ont très longtemps nié. Il faudrait qu’à un moment on pense à une décolonisation de la pensée et de la production du contenu pour relever les concepts et les valeurs apportées de l’Afrique.

ODC – Quelle solutions suggérez-vous contre l’invisibilité, la distorsion ce miroir infidèle que représente la télé pour cette population?

Au de-delà de la discussion sur la culture noire, il est important qu’il y ait des noirs qui en parlent ainsi que d’autres sujets, que nous soyons les sources, reporters , présentateurs. Même si on parle de physique quantique, il est important qu’il y ait un noir présent, qui exerce son droit à la communication. Ce sont deux versants de la solution. La première est la construction de véhicules de communication faits par les noirs, par des afrodescendants ; qu’il existe un media noir effectif au Brésil. Ce media représentera notre point de vue sur les sujets nationaux, il ne s’agira pas de parler uniquement du racisme ou de la culture noire. Il s’agira de notre point de vue sur l’éducation, la santé, le développement. Il y a déjà eu une presse noire au Brésil. Il y avait des journaux pour afrobrésiliens qui dénonçaient le racisme , mais qui évoquaient également la société brésilienne.

Le second point est celui de la représentation dans les véhicules (de communication)traditionnels. Il faut qu’il y ait des noirs dans les grands véhicules de communication traditionnels, car la communication qui parvient à tout le monde est fondamentale et il est fondamental de la modifier à partir de ces structures. Et tout cela doit être connecté avec la vsion future sur la convergence digitale et les nouveaux outils de communication. Dans l’occupation de ces nouveaux espaces, on doit donner la priorité aux groupes historiquement exclus, comme les noirs et les indiens.

ODC – Y at-il des indices montrant que nous sommes en train d’aller vers le meilleur? Est-il- possible de citer des exemples positifs?

La publicité, ici à Bahia, par exemple a changé en ce qui a trait à l’insertion des noirs. Ce n’est pas dû à la bienveillance, mais c’est plutôt à cause de l’aspect économique. On ne peut pas vendre un produit pour les classes C et D sans qu’il n y ait un noir qui en témoigne , par exemple. Cela a changé et la publicité reflète déjà plus la population noire, comme certains programmes de télévision et des films qui ont déjà abordé la culture noire. En politique en général, on peut voir qu’il y a certaines avancées, comme la création du secrétariat (Spécial des politiques de Promotion de l’Égalité Raciale – SEPPIR), les actions du MEC pour l’implantation de la Loi 10639 (qui a institué l’enseignement systématique de l’histoire et de la culture afro-brésilienne et africaine dans l’Éducation de Base). Ces avancées sont la preuve que le Mouvement Noir a réussi à intégrer un agenda de revendications et de transformation. Mais cela n’est pas reflété dans les média, conservateurs, avec un climat de renforcement du discours contre les quotas, et qui s’articule contre la légitimité des actions affirmatives. C’est normal, car il s’agit d’un combat politique présent dans la société brésilienne d’aujourd’hui. S’il y avait une proposition d’action affirmative dans les médias de communication, elle serait extrêmement mise en question et rejetée par l’élite. Cette élite, en général reconnaît l’existence du racisme, mais ne reconnait pas la nécessité des mesures pour résudre ce problème.

ODC – De quelle manière la communication peut-elle aider à dépasser notre racisme historique?

La communication est stratégique pour l’avancée de notre combat, combat contre le racisme et pour le développement de la communauté noire dans le monde entier. Quand on pense d’une manière globale, en Afrique, dans les Caraibes, dans les pays ou les noirs sont présents, la communication permet que les groupes historiquement sans représentation aient voix au chapitre. Sans appropriation des media, nous ne réussirons pas à mettre notre combat, nos discours à l’ordre du jour. La communication dans le pays a toujours été une communication dans laquelle peu de gens parlent et beaucoup écoutent . Nous devons construire au Brésil une autre communication, dans laquelle beaucoup de personnes parlent et peu écoutent. Il est impossible de démocratiser la communication et faire valoir le droit à la communication sans discuter de la représentation des peuples historiquement exclus dans ce cadre. Dans ce sens, la communication est la possibilité d’élargissement des horizons, la connexion avec d’autres communautés, l’articulation et l’élargissement de la vision du monde . Et les technologies sont des éléments importants dans cette lutte. L’inclusion digitale, par exemple est une nécessité pour le Brésil, mais le cadre d’exclusion, qui est compliqué pour tous est encore pire pour les noirs.

ODC – Les récents débats sur la TV publique devraient-ils aborder cette discussion, ne serait-ce que dans leur? Quel risque courons nous si nous ne le faisons pas?

Le débat sur la Télévision Publique est placé dans l’agenda national et il est d’une extrême pertinence. Discuter de la TV publique c’est discuter d’une communication qui puisse donner la parole à la société telle qu’elle est, qui ne soit pas une communication juste commerciale ou publique. C’est un élément fondamental pour la démocratie. Pour discuter de la TV Publique dans notre réalité politique, il faut discuter de la présence des noirs dans cette télévision. Une enquête récente effectuée par la Fondation Palmares démontre que aujourd’hui seulement 0,9% du contenu des télévisions publiques (TVE, Cultura et Radiobrás) aborde la culture noire. L’espace de la TV Publique doit alors nécessairement chercher à mettre fin à l’hégémonie des grands media de communication et refléter la diversité que nous avons. C’est inacceptable qu’une chaine de télé publique, qui se propose de donner la parole aux différents secteurs de la société, présente un petit écran comme celui que nous voyons aujourd’hui. Il est donc fondamental qu’il y ait une articulation entre la société civile et les mouvements pour que nous fassions pression pour l’engagement des personnes de race noire dans ce débat, en terme de contrat et pour que le contenu relatif aux noirs y soit représenté. Ce serait au minimum contradictoire que les TV publiques et éducatives ne fassent pas une réflexion à ce sujet.

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