Du 22 septembre 2005 au 26 mars 2006, le Musée Dapper, à Paris, accueille l’exposition Brésil, l’héritage africain. Une centaine d’œuvres font le va-et-vient entre les religions afro-brésiliennes et africaines et leurs représentations esthétiques. L’occasion de voir deux étonnantes reconstitution d’autels, dont un de candomblé brésilien.
Le Brésil est la plus africaines des nations du Nouveau Monde. Pour s’en convaincre, il suffit de pousser la porte du Musée Dapper qui vient d’inaugurer sa dernière exposition, Brésil, l’héritage africain (22 septembre 2005-26 mars 2005), dans le cadre de l’Année du Brésil en France. « Du XVe au XIXe siècle, sur les 11 à 15 millions d’Africains qui ont traversé l’Atlantique, entassés dans les soutes des bateaux négriers, environ 3 millions et demi débarquèrent au Brésil. C’est dans ce pays qu’ils furent les plus nombreux », peut-on lire dans l’introduction du magnifique ouvrage qui accompagne l’exposition.
Erwan Dianteill, anthropologue et sociologue, qui a collaboré au livre, explique : « L’Afrique est à la fois visible et invisible au Brésil. La présence africaine est manifeste sur les visages, dans la culture et la cuisine mais son héritage est minoré, pour ne pas dire ignoré. Car, même si les choses ont beaucoup changé ces dernières années, l’esclavage reste une tache dans l’histoire brésilienne. » Sur la centaine d’œuvre exposées à Dapper, plus d’une soixantaine viennent du Brésil. « Ce sont des pièces afro-brésiliennes et d’art sacré du baroque brésilien du 17e siècle. Ce qu’on trouve au Brésil est très différent de ce que l’on trouve en Afrique. Il y a une dimension métisse, manifeste dans l’exposition. Nous avions aussi le souhait d’étendre la problématique à l’art contemporain, pour montrer que les allers et retours entre le Brésil et l’Afrique sont toujours actuels », indique Christiane Falgayrettes-Leveau, directeur du musée et commissaire de l’exposition.
Liens symboliques
L’exposition met en lumière la relation religion-esthétique. Les esclaves débarqués au Brésil se sont efforcés de perpétuer leurs traditions et les pratiques religieuses des diverses communautés d’origine africaine de sont mêlées les unes aux autres au cours des siècles. A cela se sont ajoutées l’apport du catholicisme portugais, religion imposée par les anciens maîtres, et des croyances amérindiennes. Le visiteur découvre les points communs entre les pratiques religieuses afro-brésiliennes et africaines. Pour ces dernières, trois grandes aires culturelles ont été retenues : yoruba (Nigeria, Bénin), fon/ewe (Bénin, Togo, Ghana) et bantu (RDC, Congo, Angola).
Les œuvres, nées des deux côtés de l’Atlantique, révèlent des affinités formelles ou fonctionnelles, comme les insignes des devins et des officiants. Les objets afro-brésiliens et les sculptures kongo, même sans correspondances plastiques directes, possèdent des liens symboliques. « Il est difficile de transposer point par point les correspondances. On est dans l’ordre du symbolique », insiste Christiane Falgayrettes-Leveau. Dans le système de représentation des divinités, par exemple, le dieu du tonnerre a le même symbole de part et d’autre, celui de la double hache. Shango est une figure complexe du panthéon yoruba et Xangô, un orisha généreux mais au caractère fort voire tyrannique. Quant à Mami Wata, divinité familière à toute la côte de l’Afrique occidentale, elle est à rapprocher de Yemanja, déesse de la mer au Brésil.
L’autel du père Laercio
Pour cette exposition, le musée Dapper a osé une scénographie originale, avec notamment la mise en place de deux autels grandeur nature. La plus impressionnante est celle d’un autel du candomblé angola nkosi. Un autel bantu constitué de végétation, de fers, de poteries et d’offrandes. Il a été recréé par le père saint Laercio Messins do Sacramento, qui jouit d’une belle renommée dans la région de Bahia. « Ce n’est pas une simple recomposition. Laercio a donné une part de lui-même dans cet autel », explique Christiane Falgayrettes-Leveau.
Les autels, qui sont perçus ici comme des installations artistiques, sont les lieux sur lesquels s’intensifient les relations entre les hommes et les dieux. Le candomblé est une « religion d’origine africaine ré-inventée, ré-élaborée au Brésil », note le père Laercio. Une religion qui a longtemps été réprimée, notamment aux 18e et 19e siècles. Il faut attendre les années 50 pour que le candomblé ne soit plus pénalisé ni vu comme un crime. Aujourd’hui, les maisons de candomblé sont légion et la pratique est libre, à Bahia, mais aussi à Sao Paulo ou Rio. Les maisons de candomblé se sont également de plus en plus ouvertes aux Blancs, comme à Rio, où Gisèle, une Française, est chef de culte. « Le pilier de notre religion, ce sont les ancêtres. Et les Blancs aussi ont des ancêtres ! » plaisante Laercio.
Photographies spirituelles
Côté art contemporain, le métissage est aussi de rigueur. « Les arts brésiliens depuis les années 20 ne ressemblent à aucun autre, alliant théorie, intellect et nature, très présente et puissante au Brésil. C’est aussi un mélange d’identité indienne, de racines africaines et d’héritage européen. Le concept d’anthropophagie est très présent : les artistes ont digéré toutes ces influences et prennent à toutes les sources », expose Joëlle Busca, historienne de l’art. « Les artistes brésiliens utilisent une palette très large de techniques et on relève la présence de matériaux bruts de moins en moins utilisés en Occident. Le Brésil est le pays des utopies, sociale, politique, écologique. L’art contemporain brésilien est ancré dans le politique et parle du social. Les artistes pensent les impasses de leur pays et suggèrent des solutions. C’est aussi un pays foisonnant au niveau des collectifs d’artistes, des formations, des galeries.»
Parmi les artistes présentés à Dapper : Jorge dos Anjos, avec une installation en métal découpé, Chico Augusto, avec une sculpture en fil de fer barbelés, acier et carbone. Marco Tulio Resende, avec son installation d’ex-voto de bois, terre et pierres. Et une toile géométrique de Rubem Valentim. Côté africain, à noter : le travail sur toile du Béninois Cyprien Tokoudagba, né en 1939, qui utilise de la terre crue. Dans la première salle d’exposition, la part belle à six photographes « qui montrent une réelle empathie avec le spirituel », observe Joëlle Busca. Et dont les photographies ont un « lien très intense avec la religion et le baroque ».
Brésil, l’héritage africain, du 22 septembre 2005 au 26 mars 2005, au Musée Dapper.
35, rue Paul Valéry – 75116 Paris – 01 45 00 01 50, tous les jours sauf le mardi, de 11 à 19h
Brésil, l’héritage africain, ouvrage collectif sous la direction de Christiane Falgayrettes-Leveau, avec la collaboration scientifique d’Erwan Dianteill, éditions Dapper.