Le port de Brazzaville est une ville dans la ville. L’activité y est intense et bigarrée. Le trafic a repris entre les deux capitales, et les échanges sont de plus en plus denses. Alors que le Fespam bat son plein, ce redémarrage du port autonome est révélateur du climat nouveau qui règne dans la capitale congolaise. Reportage à chaud.
Il est presque 10 heures du matin et le soleil inonde déjà le port autonome de Brazzaville. Au loin, le fleuve paresse sous la chaleur et de l’autre côté de ce » lac » naturel, les immeubles de Kinshasa flottent dans des brumes suspectes. Le port de Brazzaville est une ville dans la ville. L’activité y est intense et bigarrée. Cireurs de chaussures, marchands de glaces et de gâteaux, vendeurs d’eau dans des sachets en plastique se faufilent avec adresse entre les chargements et les badauds.
Voitures, taxis, charrettes à bras, brouettes en fer rouillé se croisent dans tous les sens. La cacophonie règne en maître. A l’entrée du port, les taxis chamarrés se pressent. Les douaniers vérifient les cargaisons – et un peu les hommes – qui entrent et sortent sous un soleil de plomb et dans des tourbillons de poussière. » Avant, on entrait et sortait dans le port comme dans un moulin. Nous avons installé des grilles pour tenter de réguler le flot de personnes et maîtriser l’enceinte portuaire « , explique Dominique Bemba, directeur général du port autonome et des ports secondaires.
La vie après la guerre
Le quartier portuaire se trouvait en plein milieu de la zone de front pendant la guerre. Les destructions ont été massives et le quartier en garde encore les stigmates : bâtiments détruits, chaussées défoncées. Les impacts de balles incrustent les murs de béton de la Direction générale du port. » Tout est à reconstruire. Si vous étiez venus en octobre 97, vous auriez été effarée « , raconte un fonctionnaire de la Direction.
Pourtant, la vie a vite repris le dessus dans ce port autonome né il y a à peine un an (le 5 mai 2000) après la scission de l’Agence transcongolaise de communication qui englobait toutes les activités portuaires – chantiers navals et transports fluviaux compris. Pendant la guerre, il n’y avait pas de trafic entre les deux villes – ou alors non officiel – mais celui-ci a repris.
Un bac vient de dégorger sa clientèle : les femmes lissent leurs pagnes, ajustent leur marchandise en équilibre sur leur tête, rattrappent un enfant ou retrouvent une connaissance. Elles vont aller grossir le nombre des vendeurs qui ont élu domicile dans l’enceinte portuaire. » Une grande partie des passagers en provenance de Kinshasa viennent pour faire du commerce. Ils traversent avec leur marchandise qu’ils vendent sur le port pendant la journée et repartent le soir. Ces activités sont difficiles à supprimer mais nous voulons organiser un espace pour que les vendeurs soient regroupés « , explique Dominique Bemba.
Vendre du savon à Kin
Alors qu’un marché a vu le jour à dans la partie ouest du port, au pied de la Direction générale, les vendeurs sont installés à même le sol. Les femmes ont étalé devant elles quelques oranges, des morceaux de savons, des bouteilles de pétrole trouble. Pains, grappes de saucisses, régimes de bananes valsent gracieusement. Les hommes suent en poussant des brouettes de fortune sur lesquelles s’entassent un nombre improbable de sacs de riz ou de farine. Ils iront rejoindre le prochain bac et approvisionner Kinshasa.
» En fonction de la période, des circonstances, des besoins se font sentir d’un côté et sont couverts par l’autre côté. Quand on a besoin de savon à Kin, des marchands de Brazza vont en vendre. Toute l’année il y a un courant d’échanges très important, un trafic permanent « , souligne Dominique Bemba. Mais les Congolais viennent aussi pour voir leur famille. » C’est le même peuple des deux côtés du fleuve. J’ai moi-même des parents qui habitent Kinshasa et je m’y rends régulièrement « , note le directeur général.
Il n’y a pas de classe dans les bacs mais deux sortes de traversées : les vedettes rapides (5 min), exploitées par des particuliers du côté brazzavillois et par une entreprise d’Etat à Kinshasa. La traversée coûte alors 9 000 FCFA (90 FF). Une traversée dans les grands bacs (15-20 min) coûte 4 000 FCFA et c’est la plus prisée de la population. Pour autant, tout le monde ne paie pas ce prix. » Il y a des traversées clandestines à tout moment. Un pêcheur qui fait semblant de pêcher et traverse le fleuve. La frontière est difficile à rendre étanche. Nous avons des policiers mais le fleuve est trop long (1200 kms de frontière). Dans l’esprit des gens qui vont faire leur marché en pirogue, il n’y a rien de clandestin. Pour eux, la frontière n’existe pas et il n’y a pas de différence entre les deux pays « , décrypte le directeur général.
Alors que les cris et les exclamations résonnent, quelques badauds inactifs se reposent à l’ombre d’un arbre solitaire. Sereins, au milieu de cette agitation. Tout comme le port.