La Francophonie selon Boutros Boutros Ghali ? Une arme politique. Un partenaire ouvert aux autres espaces linguistiques. Un outil idéal pour combler le fossé numérique. Interview exclusive.
A la veille de la journée internationale de la Francophonie du 20 mars qui donnera lieu à une conférence linguistique des espaces francophones, hispanophones et lusophones, Boutros Boutros Ghali, secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie, défend une nouvelle stratégie de promotion du français. Une méthode de développement fondée sur trois idées fortes : une alliance des espaces linguistiques, un développement des nouvelles technologies de l’information en langue française, un ancrage définitif de la Francophonie dans les institutions internationales et le renforcement de son rôle politique. Quatre ans après sa prise de fonction, l’ancien secrétaire général de l’ONU, affiche plus qu’un bilan, de nouvelles ambitions.
Afrik : Comment avez-vous fait la rencontre du français ?
Boutros Boutros Ghali : Ma langue maternelle, c’est l’arabe. Mais j’ai aussi appris le français à la maison. Lorsque mes relations sont excellentes avec mon épouse je lui parle en français, lorsqu’elles deviennent plus difficiles je passe à l’arabe. Vous voyez donc tout de suite la valeur de cette langue pour moi.
Afrik : Quelle place occupait la langue de Molière dans la société égyptienne des années 30/40 où vous avez grandi ?
B.B.G. : Je crois que les Egyptiens de l’époque ont joué la France contre la Grande-Bretagne qui occupait le pays (comme durant la guerre froide, l’Egypte a joué la Russie contre les USA). Donc, la bourgeoisie égyptienne s’est emparée de cette langue, refusant d’utiliser l’anglais dans les foyers. Le français tombait à point nommé tant les écoles françaises étaient nombreuses à l’époque. Il y avait les écoles des bonnes soeurs françaises qui se chargeaient de la transmission de cette langue auprès des jeunes filles de bonne famille, il y avait le lycée français du Caire, puis le lycée franco-égyptien… Bref, tout un maillage institutionnel qui en a fait la seconde langue du pays. Chez-moi, mes parents parlaient le français. Il était tout naturel à chacun d’entre nous de passer du français à l’arabe et inversement.
Afrik : Outre ces raisons affectives, qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ce poste de Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie ?
B.B.G. : L’organisation de la francophonie n’existait pas auparavant. C’était une agence qui traitait uniquement la coopération culturelle. On m’a donné la possibilité, par mandat, de créer une institution forte d’une nouvelle dimension politique : j’ai créé une revue, j’ai créé l’Université Senghor à Alexandrie, des centres de recherches et ainsi de suite. Cette ambition ne pouvait pas me laisser insensible.
Afrik : En se rapprochant des espaces hispanophones, lusophones et francophones, la francophonie essaie-t-elle de constituer une sorte d’alliance contre l’hégémonie linguistique anglo-saxonne ?
B.B.G : Il ne s’agit pas d’une attaque contre l’anglais. Mais d’une alliance qui défend la multiplicité des langues. Nous pensons que le plurilinguisme est une spécificité de l’Organisation internationale de la francophonie. Nous avons tenu à Paris, en mai, une réunion entre le monde francophone et le monde arabophone, nous allons réunir le 20 mars une réunion entre le monde hispanophone, le monde lusophone et le monde francophone. En défendant le plurilinguisme, nous défendons la langue française.
Afrik : Il s’agit bien d’un virage stratégique que vous défendez ?
B.B.G. : Oui. Mais je précise que j’ai reçu mandat pour le faire. Si je n’avais pas bénéficié de cet appui j’aurais été bien incapable de le mener. L’autre virage est un virage politique. Nous avons joué un rôle dans la réconciliation entre les partis de la mouvance présidentielle au Togo et celles de l’opposition. Nous sommes intervenus en tant que conciliateurs à Bangui. Nous ne sommes pas étrangers à l’accord de réconciliation dans la crise comorienne, ni aux pourparlers de paix au Burundi. En trois ans, depuis le sommet de Hanoï, nous nous sommes imposés dans la grande famille des institutions internationales.
Afrik : Quelles seraient les nouvelles ambitions de la francophonie si votre mandat venait à être renouvelé ?
B.B.G : Je ne suis pas sûr qu’on va me réélire. Mais si cela se faisait, je crois qu’il faudrait, en premier lieu, défendre cette nouvelle vision de l’organisation. Ensuite répondre au défi de cette nouvelle vague de pays, qui se pressent aux portes de la Francophonie et rattraper le retard dans les nouvelles technologies. D’où la création du réseau des Inforoutes, de cybercafés en Afrique. Je suis également hanté par cette division technologique entre les pays dits développés et les pays plus pauvres. Et je crains qu’après le mur de Berlin entre l’Est et l’Ouest, un mur numérique ne s’érige entre le Nord et le Sud, divisant les infopauvres et les inforiches. Je crois que la Francophonie essaie de mobiliser les opinions et les autres institutions internationales afin de combler ce nouveau mur. Nous revendiquons aujourd’hui une agence universitaire qui regroupe 1800 facultés, un système de bourses et de réseaux d’échanges, via les campus virtuels. A Dakar, chercheurs et universitaires peuvent désormais, grâce aux nouvelles technologies, être en contact régulier avec les différents centres de recherche et les bibliothèques du monde entier…