Une quarantaine de députés UMP (France) ont signé le 13 juillet dernier une pétition dans laquelle ils soutiennent les anciens combattants et rapatriés d’Algérie, indignés par l’invitation du Président algérien Abdelaziz Bouteflika à la commémoration du débarquement de Provence du 15 août 1945. Ils profitent de l’événement, qui n’a pourtant qu’un lointain rapport avec la guerre d’Algérie, pour demander au chef d’Etat algérien de faire un pas vers la communauté harki.
« Les anciens combattants et rapatriés d’Algérie s’indignent » de l’invitation du Président algérien Abdelaziz Bouteflika à la commémoration du Débarquement de Provence le 15 août prochain. Une invitation qui représente pour eux « une insulte à la mémoire de ceux qui sont tombés pour libérer la France et que M. Bouteflika a toujours ignorés, voire bafoués. » C’est ainsi qu’une quarantaine de députés de l’Union pour la majorité présidentielle (UMP), le parti du Président français Jacques Chirac, introduisaient le 13 juillet dernier une lettre ouverte au ministère des Affaires étrangères en soutien à la communauté harki. « Nous avons l’honneur de vous demander, poursuit le document, qu’à cette occasion le Président algérien puisse annoncer un certain nombre de mesures très attendues par les rapatriés d’Algérie et notamment harki. Et parmi lesquelles la libre circulation des harkis, la coopération sur le sort des disparus et la reconnaissance de la violation des accords d’Evian. »
La pétition fait écho à une lettre, plus engagée, adressée un jour plus tôt au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin par des associations de harkis et d’anciens combattants. Si la justesse du combat de la communauté harkis ne fait pas ici débat, on peut se demander, comme le quotidien algérien El-Watan, pourquoi avoir lié la guerre d’Algérie à la commémoration du débarquement de Provence. Un événement organisé pour rendre hommage aux milliers de combattants « autochtones » et non « autochtones » des colonies françaises morts pour libérer la France de l’occupation allemande.
« Pas d’amalgame »
Sur ce point, Geneviève Levy, député du Var, à l’origine de la pétition avec le député de Paris et vice-président du groupe UMP, Claude Goasguen, s’empresse de clarifier les choses : « le Président Bouteflika aurait pu venir pour autre chose, nous aurions attiré son attention sur la situation des harkis de la même manière. Je ne fais aucun amalgame entre les deux événements. Nous sommes dans le cadre d’un devoir de mémoire, qui m’importe à un plus haut point. Je suis très favorable à la normalisation de la situation avec l’Algérie, mais il faut que cette visite soit au moins l’occasion de revenir sur ce dossier ». La député explique en effet avoir été « sensible à la situation dans laquelle se trouvent les harkis, leur marginalisation, leur interdiction de circuler (en Algérie, ndlr) », alors qu’elle travaillait avec leurs associations dans la ville de Toulon, dont elle est adjointe au Maire. Elle précise d’ailleurs faire le même travail côté français. Afin que les autorités reconnaissent leurs responsabilités vis-à-vis de la communauté harki, notamment leur abandon, en 1962, aux représailles du Front de libération national (FLN).
Le son de cloche est différent du côté des associations de Harkis. « Le FLN, dont M. Bouteflika faisait parti, a fait des anciens combattants de la seconde Guerre Mondiale des cibles privilégiées durant la guerre d’Algérie. Et je trouve un peu déplacé qu’il vienne aujourd’hui nous rendre hommage », argue Mohamed Haddouche, président de Ajir pour les harkis (Association, justice, information, reconnaissance). L’association, qui a contresigné la lettre ouverte au Premier ministre en compagnie d’associations d’anciens combattants, ajoute que « si l’invitation de chefs d’Etat de pays amis d’Afrique, aujourd’hui indépendants, apparaît naturelle, le cas de l’Algérie est bien particulier (…) Elle était la France en 1944 ». Qui alors pour représenter l’Algérie lors de la commémoration ? Jacques Chirac en vert-blanc-rouge ?
Mea Culpa
« Evidemment non », coupe Mohamed Haddouche. « En 1944, l’Algérie étant un département français, on parlait de ‘sujets algériens’. Mais ce sont effectivement des autochtones, des indigènes, comme on les appelait, qui sont allés se battre. Les Algériens ont débarqué !… même si l’Algérie n’existait pas », explique-t-il. Il se désole du fait que le travail historique sur la guerre d’Algérie n’ait pas été fait, la France et l’Algérie n’en retenant « que ce qui les intéresse ». Mais plus qu’une querelle historique, la présente lettre répond à une querelle d’hommes.
« Je ne voudrais absolument pas choquer le peuple algérien », assure le président d’Ajir. Mais, explique-t-il, en reconnaissant à demi-mot être allé trop loin, « la lettre n’aurait sans doute pas été de cette vigueur s’il n’avait pas été question de M. Bouteflika ». La communauté harki reste en effet choquée par la sortie du chef de l’Etat algérien, en 2000, sur l’antenne de la télévision publique française. L’ancien diplomate du FLN, fraîchement élu à son premier mandat de Président, s’était alors montré intransigeant sur la question des harkis, notamment sur leur demande de circulation sur le territoire algérien. « La seule raison qui pourrait expliquer sa venue serait qu’il annonce des décisions en direction des Harkis », estime Mohamed Haddouche. « Et qu’il se comporte aussi dignement que le chancelier allemand lors de la commémoration du débarquement de Normandie ».
Le ministère des Affaires étrangères, à qui la lettre ouverte des députés était adressée, n’a pas encore officiellement réagi devant l’Assemblée nationale. Mais on indique au Quai d’Orsay qu’il n’y a pas de vrai problème, dans la mesure où le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, a évoqué la question des harkis lors de son voyage officiel en Algérie, et que les autorités algériennes sont conscientes de la nécessité d’ouverture, notamment sur la question de la circulation et des archives. Le secrétariat d’Etat français aux Anciens combattants n’a pour sa part pas réagi, pas plus que l’ambassade d’Algérie à Paris – la Présidence algérienne était injoignable. L’Elysée, qui s’est occupé des invitations à la commémoration, indique « avoir invité 22 chefs d’Etats ainsi que des vétérans de pays qui ont versé leur sang pour la libération de la France, et être très fière que le Président Bouteflika ait accepté d’y participer au nom de l’Algérie ».