Lorsqu’on évoque le blues africain, le nom de Boubacar Traoré, surnommé Kar Kar, revient dans toutes les bouches. Le bluesman qui a fait danser tout le Mali dans les années 60 continue d’offrir de la joie à ses fans avec un album acoustique dans la lignée de ce qu’il sait faire de mieux. Son style unique et mélancolique se décline au travers de l’album Kongo Magni. Rencontre avec l’artiste, de passage à Paris.
Le blues de Boubacar Traoré, alias Kar Kar, n’en finit pas de nous interpeller et de nous faire voyager par ses sonorités inimitables. Le Mali, terre natale de l’artiste, reste sa source d’inspiration dont il brosse le portrait, tel un sociologue, dans son nouvel album Kongo Magni. Accompagné de sa perpétuelle guitare, secondée par sa voix chaleureuse, Kar Kar est de retour avec ses textes toujours aussi évocateurs des réalités africaines.
Afrik.com : Comment êtes vous devenu bluesman ?
Boubacar Traoré : J’ai découvert le blues grâce à mon grand frère qui était professeur de musique. Il m’a initié à la guitare et je me suis passionné pour le blues.
Afrik.com : Vous avez débuté votre carrière musicale dans les années 60, mais votre discographie ne compte que quatre disques réalisés entre 1994 et 2003. Pourquoi ?
Boubacar Traoré : J’ai fait beaucoup de chansons, mais les titres étaient uniquement diffusés à la radio, donc conservés sur des bandes. A cette époque, on n’enregistrait pas de disques ou de cassettes en Afrique. Ceci dit, toutes mes chansons furent des tubes (« Mali twist », « Mariam », « Djarabi », « Kayéba »…). C’est l’ensemble de ces chansons qui ont lancé ma carrière.
Afrik.com : Vous étiez adulé par le public. Pourquoi avez-vous disparu de la scène musicale de 1968 à 1989 ?
Boubacar Traoré : A cette période, fin des années 60, les artistes pouvaient difficilement vivre de leur musique. Personnellement, je suis de lignée noble et non griot. Donc, bien que je faisais de la musique, l’argent que je gagnais ne suffisait pas pour je puisse vivre convenablement. Il y a des impératifs dans la vie. Donc j’ai dû travailler pour nourrir ma famille en retournant dans ma ville (Kayes), loin de la capitale Bamako. Alors qu’on me croyait mort, j’ai été redécouvert par un journaliste de la télévision malienne à Kayes. Il a fait une annonce nationale, ce qui m’a valu une seconde naissance auprès du public.
Afrik.com : Et tout est reparti avec votre cassette Mariama en 1989…
Boubacar Traoré : Oui ! Un producteur anglais basé à Londres a découvert ma cassette et m’a fait des propositions. Je suis allé à Paris de 1989 à 1991, suite à cette proposition de collaboration, et je me suis rendu en Angleterre où j’ai fait mes premières scènes en effectuant des concerts dans plus 27 villes anglaises. Je dois véritablement mon ascension sur la scène internationale au festival de Lausanne (Suisse), que j’ai fait en 1992. J’ai par ailleurs fait des tournées aux Etats-Unis puis au Canada.
Afrik.com : Vous sortez aujourd’hui un nouvel album, Kongo Magni. Le Mali, reste t-il votre principale source d’inspiration ?
Boubacar Traoré : Oui, car je vis au Mali !
Afrik.com : Vous chantez en kassonké. D’où vient cette langue ?
Boubacar Traoré : Le mot Kassonké désigne une ethnie qui vit seulement dans ma région natale (Kayes). C’est la langue dans laquelle je chante, mais je m’exprime aussi en langue Bamana (plus connu sous le vocable Bambara, ndlr) qui est la langue nationale.
Afrik.com : On note dans cet nouvel album des messages liés à l’amour et à la tristesse…
Boubacar Traoré : Je chante des thèmes qui me ressemblent et qui me sont assez familiers, tel que la tristesse de perdre des êtres chers, l’amour entre les individus, la difficulté de la vie. Ma musique est thérapeutique et me permet de me soulager de certaines de mes souffrances. Et c’est la vocation du blues.
Afrik.com : Justement que signifie Kongo Magni ?
Boubacar Traoré : Kongo Magni signifie littéralement « la faim ce n’est pas bon ». Car actuellement une partie de l’Afrique est dévastée par des guerres, le sol est usé du fait de la sécheresse, ce qui engendre des soucis pour cultiver la terre. Et la famine n’augure rien de bon, c’est une mise en garde pour les personnes inconscientes. L’agriculture est essentielle. En travaillant la terre, le Mali et l’Afrique seront autosuffisants et n’auront plus besoin d’importer certains aliments.
Afrik.com : L’acoustique est omniprésent dans votre musique, notamment avec votre guitare. Pourquoi ?
Boubacar Traoré : Il est vrai que je reste très acoustique musicalement, car c’est ma guitare acoustique qui m’a révélé au public. Donc je tiens à perpétuer et à donner à mes auditeurs une sonorité avec laquelle il me reconnaissent et m’identifient. C’est, par ailleurs, le style de musique que je préfère.
Afrik.com : Les instruments traditionnels sont aussi très présents dans votre musique…
Boubacar Traoré : Tout à fait. On y retrouve la kora, le kamalinkoni (plus grande kora), la calebasse, mais aussi l’harmonica et l’accordéon.
Afrik.com : On serait tenter d’assimiler votre musique à celle de l’autre bluesman malien Ali Farka Touré ?
Boubacar Traoré : C’est une comparaison que beaucoup de gens pourraient faire, mais il y a une variante dans la langue. Ali Farka Touré, qui est d’ailleurs mon ami, chante en langue Korobo (langue Touareg) et en langue Peul, parlée dans la région de Gao et à Tombouctou.
Pour commander le disque de Boubacar Traoré, Kongo Magni, chez Marabi Productions (2005)
Par Badara Diouf