On ne présente plus Boncana Maïga en matière de musique africaine. Si ce n’est que le père du groupe panafricain de salsa, Africando, est le plus célèbre des arrangeurs du continent. Le musicien malien, fort de dix ans de conservatoire à Cuba, défend la noblesse de l’art musical. Lui, qui a appris à lire et à écrire la musique, travaille à créer un orchestre symphonique africain pour conserver et transmettre la musique du continent aux générations futures.
Ecrire un concerto africain. Telle est, aujourd’hui, l’ambition de Boncana Maïga, l’un des meilleurs arrangeurs africains ou, du moins, le plus célèbre. Le musicien malien, qui fut l’un des premiers Africains à faire ses études à Cuba dans les années 60, aura appris, en dix ans de conservatoire, à écrire et à lire la musique, à l’époque où l’Afrique était quasiment analphabète en la matière. Une expérience qu’il aimerait mettre au service du continent en mettant la musique africaine sur partition pour une œuvre symphonique.
Afrik : Peut-on vous présenter comme le meilleur arrangeur d’Afrique ?
Boncana Maïga :Je ne dirais pas ça. Simplement, je fais partie des musiciens qui ont eu la chance d’étudier la musique. Cela m’offre certaines possibilités dans l’écriture musicale et une autre vision de la musique. Je me sens aussi à l’aise dans la salsa, que dans le reggae ou la musique africaine.
Afrik : C’est à Cuba que vous avez appris la musique cubaine ?
Boncana Maïga : On ne va pas à Cuba pour étudier la musique cubaine. On va à Cuba pour étudier la musique tout court. Le solfège. Après cela, on choisit d’apprendre un instrument monophonique ou polyphonique. C’est comme cela que j’ai appris à jouer de la flûte, mais aussi de la guitare et du piano.
Afrik : Vous avez sorti des albums en tant qu’artiste, vous êtes très prisé pour vos qualités d’arrangeur. Comment vous définir ?
Boncana Maïga : Etre arrangeur est une branche de la musique, tout comme être flûtiste ou guitariste. Je suis un musicien avant tout. Etre arrangeur, c’est un don que vous cultivez avec des professeurs spécialisés dans ce domaine, et c’est ce que j’ai fait à Cuba. Un arrangement ça vient du fond de soi, de l’imagination. Pour arranger un morceau, il faut imaginer quelque chose qui n’existe pas pour accompagner une voix.
Afrik : Les Cubains connaissaient-ils la musique africaine ?
Boncana Maïga : Il y a plein d’arrangeurs à Cuba, mais dans leur domaine. Les Cubains connaissaient la musique en général mais ils n’avaient jamais entendu certaines mélodies africaines et en particulier mandingues. J’ai eu l’occasion d’échanger avec les musiciens cubains, surtout au niveau des arrangements.
Afrik : A l’inverse des Africains, les Cubains mettent la musique sur partition. N’y a-t-il pas eu un choc de culture dans vos échanges ?
Boncana Maïga : Il n’y a pas eu de choc car la musique cubaine est à base de syncopes et de ternaires. L’Africain est né dans le ternaire et dans les syncopes. Pour nous, ce sont des choses qu’on avait l’habitude d’entendre en Afrique, mais on ne savait pas les écrire. On les faisait à l’oreille, mais on ne savait pas les mettre sur papier pour les analyser.
Afrik : La musique africaine, du moins dans son approche éducative, n’a-t-elle pas stagné par rapport à la musique cubaine ?
Boncana Maïga : La musique africaine a stagné. La musique cubaine est un mélange de nos rythmes africains, travaillé scientifiquement. Nous nous sommes peut être dit que nous avions ça dans le sang et nous nous sommes reposés sur nos lauriers. Tout ce que les Cubains font nous l’avons en Afrique. Mais les choses changent. Il existe, heureusement, dans la génération actuelle, de nombreux artistes africains qui savent lire la musique. L’Afrique n’est plus analphabète dans ce domaine.
Afrik : Quel regard jetez-vous sur la musique africaine actuelle ?
Boncana Maïga : Si on prend l’exemple de la musique congolaise, qui est très symptomatique, je trouve qu’il est dommage que nous n’ayons plus cette génération de musiciens comme ceux de l’African Jazz, de Tabu Ley, de Franco, qui faisait rêver et danser les Congolais. Dans la production actuelle, cela me gène de voir de grands chanteurs qui refusent de chanter. Ils font plus du « spectacle-musique » que de la chanson. Il y a beaucoup de caisse claire et d’animations. Beaucoup d’animateurs sont des vedettes qui ne savent pas chanter. Mais il y a des gens qui aiment cettemusique d’ambiance. Si je ne partage pas cette vision de la musique, je respecte le travail de chacun.
Afrik : La musique est pour beaucoup en Afrique un nouvel Eldorado, à l’image du sport. Qu’en pensez-vous?
Boncana Maïga : Il y a des gens qui ont de la chance, qui font des disques sans avoir vraiment appris la musique et qui deviennent des stars. Mais il y a plusieurs exemples de réussite. Il faut pouvoir vivre de son art quand on a 20 ans et vivre de son art quand on a 70 ans. Les gens pensent que la musique est une porte de sortie quand on a échoué dans les études. La musique est un métier comme la médecine ou l’agronomie. Et quand on apprend bien son art on peut vivre de son métier. C’est ce que je peux donner comme conseil à chacun.
Afrik : Vous êtes le créateur du groupe Africando. Comment est née cette grande aventure ?
Boncana Maïga : J’ai crée Africando en 1992. Après Cuba, j’ai laissé tomber la salsa, je voulais travailler dans la musique africaine. Mais je voulais développer un concept musical basé sur des musiciens africains qui savaient chanter la salsa. Je voulais remettre dans le circuit ceux qui chantaient la salsa pendant les années de l’indépendance et qui avaient été écartés par les autres musiques à la mode, comme le zouk. L’idée était de les faire chanter dans leur langue pour faire de la musique cubaine (la salsa est une appellation un peu trop restrictive) et que je leur donne la base des arrangements. Je n’ai fait qu’appliquer ce que j’ai appris à Cuba.
Afrik : Y a-t-il une différence entre la salsa cubaine et la salsa africaine?
Boncana Maïga : Faire de la salsa cubaine en Afrique n’est pas facile. Il y a beaucoup d’Africains qui font de la salsa africaine mais la salsa africaine ne marche pas aux Etats-Unis, sauf Africando, à ma connaissance. Parce que les Cubains ont ce qu’on appelle le contre-temps dans la manière de jouer la basse par rapport au piano. Et c’est ce contre-temps là qui fait danser les Latino-américains, pour ne pas dire les Cubains. Il faut vivre dans ces pays pour comprendre ces temps-là. Ailleurs, on pense que la musique cubaine se joue avec une cloche, un piano et puis c’est tout. Alors qu’il y a des règles.
Afrik : Quel serait aujourd’hui votre rêve ou votre ambition de musicien?
Boncana Maïga : Créer un orchestre symphonique africain, c’est-à-dire mettre en valeur la musique africaine de manière symphonique, comme un concerto de Mozart. Afin que les gens viennent s’asseoir pour écouter la musique africaine mais sur un tempo qui puisse durer trente à quarante minutes, rien que sur du développement musical avec des instruments uniquement africains. Je connais la musique classique et j’aimerais mettre en pratique ce que j’ai appris pendant dix ans. Il faut développer la musique africaine pour qu’elle soit écrite et conservée, dans un conservatoire ou toute tout autre lieu de mémoire, pour les prochains siècles et les génération futures.
Afrik : C’est uniquement en projet ou c’est en cours?
Boncana Maïga : C’est en cours…